Excellence et cher frère, J'ai bien reçu votre invitation pour la participation aux consultations en vue des réformes politiques. Je vous en remercie. Mon intime conviction est que la situation du pays appelle au changement, dans les meilleurs délais, de tout le système de gouvernance. C'est pourquoi je ne pourrai participer à des consultations sur des réformes lorsque j'appelle au changement. Permettez-moi de vous proposer cette analyse qui ne relève d'aucun pessimisme, mais qui est l'aboutissement d'un travail basé sur des instruments scientifiques des plus fiables. La nation est en danger. Notre pays est mené à la dérive !Sous l'effet de l'accumulation de crises et de maux qui s'alimentent mutuellement, la désintégration sociale et la généralisation de la violence entre individus, entre groupes d'individus, voire entre le peuple dans son ensemble et le pouvoir défaillant annoncent des conflits incontrôlables. Il va de soi que cette dérive n'est pas le scénario que je voudrais voir se produire dans notre pays, mais en tout état de cause, ce sont là des prévisions que les événements qui sont intervenus ou qui sont en cours dans la région ont rendu plus que probables. A l'heure des grands bouleversements dans tout le Monde arabe, où en est-on et que peut-on encore faire en Algérie ? Notre société a perdu toutes les références historiques et toutes les valeurs qui ont marqué sa place dans la communauté des nations. Elle sombre dans une régression civique généralisée, intériorise une forme de violence qu'elle ne pourra pas contenir plus longtemps et subit la prédation et la corruption qui tendent à devenir le seul mode de fonctionnement d'une classe dirigeante incompétente et à bout de souffle. Le changement est plus que jamais urgent. Il ne peut ni découler du bon vouloir des autorités en place ni se limiter aux réformes cosmétiques que le système actuel cherche à promouvoir pour sauvegarder sa position et ses privilèges à la tête de notre pays. La situation présente exige la mise en place d'un programme d'une toute autre nature, ambitieux dans sa perspective historique, ouvert dans la sélection de ses choix de société, généreux dans la répartition de ses efforts et rassurant dans l'instauration d'une démarche qui fonctionnerait à l'abri de tous les excès vécus depuis l'indépendance. Ce programme ne pourra dépasser l'impasse existentielle qu'avec la promotion d'une éducation citoyenne et le retour à la confiance réciproque entre une population rétablie dans ses droits et un pouvoir nouveau, issu de cette même population, convaincu de la nécessité, pour son ancrage dans la société, de sa mission au service de tout le peuple pour un avenir meilleur pour l'Algérie dans son ensemble. C'est dire toute l'ampleur d'un changement impatiemment attendu par notre peuple. Il faut œuvrer, dès à présent, à préparer la mise en place, le plus rapidement possible, d'institutions crédibles unanimement acceptées et capables de veiller à éviter à l'Algérie toutes formes de défaillances susceptibles de verser le pays dans l'anarchie. La prééminence de la loi doit, nécessairement et en toutes circonstances, s'imposer dans la vie de la nation et la transparence devenir la règle pour empêcher toute velléité de détourner les nouvelles règles au sein de la société moderne. L'équité empêchera toute dérive et les défaillances corrigées sans discrimination d'aucune sorte. Au delà de tout a priori sectaire ou politique, il convient de noter qu'aujourd'hui, la société algérienne n'a plus besoin d'arguments supplémentaires pour être convaincue par des démonstrations plus ou moins élaborées sur les faiblesses de gestion de notre pays. La période des analyses, des bilans, voire des propositions de gestion de la crise est aujourd'hui largement dépassée. En fait, la paupérisation s'est déjà largement installée dans le pays, prétendument riche de ses ressources et fort du dynamisme de sa population. De fait, la mission urgente, qui s'impose de plus en plus à tous ceux qui n'acceptent plus la fatalité d'aujourd'hui, est d'œuvrer à la préservation des valeurs qui caractérisent, au plus profond de sa spécificité, le peuple algérien à travers son courage, sa créativité, son sens aigu de la solidarité avec toutes les causes justes et préparer dès à présent sa rédemption dans le travail de reconstruction d'un pays au bord de la tragédie et de la violence fratricide. Cette mission est d'autant plus cruciale que l'Algérie, aujourd'hui, connaît un isolement international patent. Notre déclin s'inscrit jusqu'à l'exercice d'une diplomatie inconsistante, où les errements se multiplient et les défaillances nous valent de nouveaux problèmes d'incompréhension qui nous fragilisent encore plus dangereusement. Cette régression est d'autant plus dramatique que le monde entier est unanime pour relever les incohérences de notre pays et son manque d'appréciation des réalités de notre sous-région. La perpétuation d'un tel déphasage par rapport aux réalités augure de grandes menaces pour l'unité de notre nation, y compris l'intégrité territoriale de notre pays. Il n'est que temps de s'inquiéter de cette dérive mortelle. La mauvaise gouvernance, voire la non-gouvernance actuelle bouleverse tous les fondements de la nation algérienne découlant de la lutte de Libération nationale et risque de favoriser toutes sortes de démembrements et de dislocations avec, en prime, un terrorisme endémique. L'on peut ainsi mesurer toute l'ampleur de la menace qui plane sur notre devenir. La sauvegarde de la nation algérienne devient, par-delà les vicissitudes du moment, l'objet principal de notre mobilisation et de nos préoccupations quotidiennes et nous incite à préparer, dans les plus brefs délais, la transition que le peuple algérien, dans son ensemble, souhaite voir s'installer dans les plus brefs délais. Vous comprendrez, cher frère, que face à une situation aussi périlleuse, il devient impératif de passer de la complaisance à la vérité et de la dénonciation à la mise en place des remèdes. Les expériences de nos voisins ne peuvent pas ne pas avoir d'impact sur notre mode de gouvernance. Elles s'imposent à nous dans la mesure où le système de gestion autocratique des affaires d'Etat, chez eux comme chez nous, n'est plus accepté par l'ensemble des peuples de la région. Pour mettre fin aux errements de pouvoirs aujourd'hui discrédités et dépassés, il n'est que temps d'imposer l'arrivée des forces du changement et du progrès et donner enfin sa chance à l'avènement d'un «espoir» pour un avenir meilleur pour le peuple. A cet espoir et à sa réalisation, nous devrons tous travailler pour son avènement dans les plus brefs délais. Nous sommes déterminés à aller dans cette direction, d'autant plus courageusement que les peuples ne croient plus en la sincérité des systèmes de pouvoirs actuels et réaffirment leur conviction que l'heure des réformes de façade est largement dépassée. Plus que jamais, les peuples exigent le changement et veulent éradiquer les stigmates des malheurs qu'ils ont endurés. Pour sa part, la communauté internationale ne pourra plus rien pour protéger ou sauvegarder les intérêts financiers détournés par les autocrates durant de longues années de spoliation de leur peuple. Les dirigeants actuels ne pourront même plus bénéficier d'un semblant de paradis dans l'exil. Pour eux-mêmes comme pour leurs familles et leurs proches, les avoirs illicites placés dans des banques à l'étranger sont désormais hors de portée. De fait, tout est déjà en place pour assurer la fin de partie pour les gouvernants reniés par leurs peuples. Il reste à gérer le dossier de la violence qu'il faudra bien canaliser pour épargner de nouveaux malheurs au peuple algérien. La suite des événements pourra alors s'envisager dans un esprit nouveau d'ouverture, de justice et de sagesse. Une transition sera instaurée, comme diverses personnalités n'ont pas manqué d'y faire référence. L'heure est certainement grave. Cependant le peuple algérien, comme il l'a déjà démontré, saura y faire face. Il saura surmonter toutes les épreuves et vivre sa modernité dans la sérénité et la liberté ! La question à laquelle chacun, en particulier les tenants du pouvoir, doit répondre aujourd'hui est : à titre individuel, que puis-je faire pour éviter à mon pays cette dérive ? Il faut bien noter que ce qui compte pour un homme d'Etat, c'est ce qu'il aura laissé après son départ et non les honneurs protocolaires du poste. Or, il y a aujourd'hui une opportunité ultime pour sauver la nation, après 2011-2012, ce sera trop tard ! En effet, pour redresser la situation il faudra dégager des ressources financières importantes pour : – Améliorer sensiblement le revenu des salariés sans contrepartie productive pour un temps. – Financer les réformes nombreuses à entreprendre. – Dégager une épargne publique pour financer les investissements productifs du secteur privé. La situation de l'économie algérienne, aujourd'hui, ne permet pas ces financements, sauf à utiliser la rente des hydrocarbures. Et toute la stratégie consistera à sortir la rente au service de la corruption et de la prébende pour la mettre au service du développement et de la protection pour une période de 4 à 5 ans, avant que l'économie ne soit redressée. A la question que puis-je faire, il y a deux réponses. Ne rien faire ou faire semblant par des réformes cosmétiques et se laisser prendre au piège du fatalisme. Alors, il ne restera que le regret face à la dislocation de la nation. Ceux qui en ont la possibilité ne pourront pas s'empêcher de se sentir coupables parce qu'ils auront appartenu à la génération qui aura achevé la destruction de la nation algérienne, en ne prenant pas au sérieux des avertissements nombreux, dont celui-ci. Ils verront qu'ils ont appartenu à la dernière équipe qui aurait pu changer le cours des choses mais qui, en toute connaissance, en a décidé autrement. Décider de se mettre au service de la préparation au changement du système de gouvernance dans le calme et la sérénité.Si l'option pour un changement du système de gouvernance est retenue par les tenants actuels du pouvoir, il faudrait adopter une méthode et choisir un scénario. La méthode se définit en quatre points essentiels Les dirigeants actuels devront intérioriser très fortement (et y croire très fort) l'urgence et l'absolue nécessité du changement du système de gouvernance dans le calme et la sérénité, mais aussi en préservant au mieux les intérêts de tous, de sorte que beaucoup gagnent et ceux qui ne gagnent pas n'auront pas à perdre. Il s'agit d'installer un nouveau système de transparence dans la gestion des affaires publiques. Le système sera mis en place graduellement avec le souci maximum de pédagogie pour permettre à tous de s'y adapter progressivement et s'y conformer au-delà d'une période de grâce suffisante. Ce n'est qu'après la période de grâce clairement affichée que des institutions performantes, et non des individus, quel que soit leur niveau dans la hiérarchie de la nouvelle gouvernance, mettront un terme aux défaillances de ceux qui refusent de se conformer aux nouvelles règles de transparence dans la gestion des affaires. La garantie du traitement équitable sera assurée pour tous, dans le seul respect de la loi. Préparer scientifiquement le changement en s'inscrivant dans le progrès et la préservation des intérêts des générations futures. Il faut un moral très fort et beaucoup de ressources pour défier la dominance de l'argent. Même s'il y a urgence, il faut prendre le temps de préparer les ressources humaines et les ressources financières nécessaires à la réussite. Comprendre les raisons du désordre ne suffit pas. Il faut le personnel adéquat pour y remédier. Engager les réformes du changement au plus tard en 2012, parce que la cohésion sociale nécessite des financements qui ne peuvent être dégagés que des hydrocarbures sur une période de cinq ans. Or en 2017, le pays amorcera la baisse de production d'hydrocarbures et l'augmentation importante de la demande nationale, ce qui accélérera la baisse des capacités d'exportation. L'assimilation de la méthode est fondamentale pour la réalisation du changement avec succès, quel que soit le scénario retenu. Le scénario du changement Pour une période d'un mois (le mois de juin 2011) ouvrir un débat interne parmi les principaux responsables actuels du pays, sur la nécessité du changement du système de gouvernance, l'assimilation de la méthode ainsi que sur les modalités de sa mise en œuvre. Annoncer à «fin juin 2011» (à l'occasion de la fête nationale du 5 Juillet 2011) une élection présidentielle anticipée pour la mi-décembre 2011, sur un programme de changement du système de gouvernance, avec une présentation des objectifs du changement par le Président en exercice dans un discours à la nation. Ces objectifs pourraient se résumer ainsi : – Unifier autour de l'amour du pays et de l'intérêt général les forces du changement pacifique, existant au sein de la société civile et des fractions saines du pouvoir et de l'administration, pour obtenir l'instauration des conditions minimales (effectives et pas cosmétiques) du changement pacifique : la levée de l'état d'urgence, l'ouverture du champ politique avec la possibilité de créer de nouveaux partis politiques représentatifs de la population et de la jeunesse en particulier, ainsi que l'ouverture du champ médiatique. – Promouvoir, par une saine compétition politique arbitrée par le peuple lors d'élections non manipulées, l'arrivée à tous les échelons du pouvoir, d'une nouvelle génération de dirigeants politiques compétents et honnêtes, aptes à mener un véritable programme de développement assis sur un projet démocratique et moderne et à bâtir des institutions et des mécanismes de gouvernance et de fonctionnement solides et modernes. – Sauvegarder les ressources de l'Algérie par la constitutionnalisation de l'utilisation des recettes d'hydrocarbures et l'arrêt urgent du plan de développement 2010-2014 qui hypothèque gravement le présent et l'avenir, en organisant le pillage de la moitié des réserves d'hydrocarbures sans bénéfice pour le pays. – Lancer un programme urgent pour la refondation de l'Etat, la refondation de l'école dans tous ses niveaux, la refondation de l'économie. La compétition électorale des candidats à la présidence de la République se fera alors sur leur capacité à mettre en œuvre efficacement les missions nécessaires à la réalisation de ces objectifs. – Ouvrir, dès l'annonce des l'élection présidentielle anticipée, les médias lourds (TV et radios) au débat contradictoire. Conclusion : Quand la situation devient insupportable, quand le sentiment d'injustice domine, l'expérience montre qu'il suffit d'incidents mineurs pour provoquer des embrasements majeurs. En vous réitérant mes remerciements pour l'invitation, je vous prie d'agréer, Excellence et cher frère, l'expression de mes sentiments fraternels.