Sans débat public, sans consultation du Parlement, sans avis des experts, sans écouter la classe politique et la société civile, le Conseil des ministres a décidé donc d'ouvrir les portes de l'enfer. Car l'exploitation du gaz de schiste par la technique très dangereuse du fracking (fracture hydraulique de la roche) est une menace directe sur les ressources en eau, sur le sol et sur l'air. Pour un pays semi-aride comme l'Algérie, la menace est mortelle. De plus, la prospection et l'exploitation des «formations géologiques argileuses et schisteuses», pour reprendre l'expression du communiqué du Conseil des ministres, nécessitent des milliers de forages sur un vaste territoire. Aussi, les zones qui seront explorées et exploitées, ressembleront à terme à d'immenses décharges chimiques, des terres mortes ! Le méthane et le radon (gaz radioactif connu par sa densité) se dégagent dans toutes les zones proches des champs d'exploitation du gaz de schiste, selon plusieurs études menées en Amérique du Nord et en Europe. En plus de grosses quantités d'eau, le fracking utilise également du sable et des produits chimiques. Des produits qui, au fil du temps, vont polluer les eaux souterraines. Or, les plus grandes réserves de l'Algérie se trouvent dans le Sud avec les nappes phréatique et albienne. Donc, au lieu de déployer les moyens de l'Etat pour préserver ces richesses naturelles, propriété de la nation, le gouvernement les livre avec une incroyable irresponsabilité à une pollution graduelle et une exploitation toxique. Tous les géostratèges sont d'accord sur l'idée que les futurs conflits dans le monde auront pour origine l'eau qui se raréfie. Comme en Algérie, il n'existe aucune étude futuriste, on navigue à vue, on dilapide les trésors du pays, on détruit le patrimoine naturel, on salit les sous-sols, on bétonne les terres agricoles… La décision du Conseil des ministres compromet d'une manière dramatique, l'avenir de plusieurs générations d'Algériens et va à contresens du développement durable. Aussi, cette décision doit être annulée sans aucune possibilité de retour. Par tous les moyens ! Au Sahara, on garde toujours le souvenir douloureux des essais atomiques des années 1960. L'exploitation du gaz de schiste n'est pas une priorité, ni aujourd'hui ni dans cinquante ans. A supposer qu'un potentiel schisteux existe, il est important d'attendre que les techniques d'exploitation ne soient plus polluantes et de posséder ensuite la technologie nécessaire au niveau national. Avant d'y arriver dans 1000 ans, l'Algérie doit d'abord élaborer un modèle énergétique adapté aux exigences économiques, environnementales, stratégiques et sociales du pays. La priorité doit être donnée au développement des énergies renouvelables, comme le solaire et l'éolien. Des énergies qui préservent la nature et qui ont l'avantage de la durabilité et de l'efficacité. **************************** Ce qu'en pensent les experts : Moussa Kacem. Coordinateur du Collectif euromaghrébin antigaz de schiste : Pourquoi on n'exploite que 40% des gisements conventionnels ? Les autorités veulent faire croire à un consensus autour de cette option énergétique entre tous les partenaires : Sonatrach, les investisseurs étrangers et la communauté scientifique. Personne n'a le droit, apparemment, de remettre en cause l'option du gouvernement. Personne ne peut interroger les autorités sur le fait qu'on exploite – et rien qu'au Sahara – à peine 40% des gisements d'hydrocarbures conventionnels. Des experts mettent déjà en garde les gouvernements contre l'adoption du protocole américain dans l'exploitation du gaz de schiste : l'argent et l'équipement ne suffisent pas, il faut surtout un savoir-faire que l'Algérie ne possède pas. A l'instar de la technique de récupération assistée des anciens puits, qu'elle a abandonnée depuis les années 1970.
Sylvain Lapoix. Journaliste spécialiste du gaz de schiste : L'Algérie, terrain d'expérimentation pour la France C'est malheureusement la vieille histoire de l'Algérie, terrain d'expérimentation pour la France. Nous savons qu'un deal a été passé entre Alger et Paris : en fait, le président Bouteflika était en colère quand Fabius a fait fuiter l'information sur un partenariat algéro-français sur l'exploration du gaz de schiste, car le gouvernement algérien n'avait pas encore choisi à quel pays le marché sera octroyé. Puis, pour appuyer son option du 4e mandat, il a accepté le deal français : faire passer le projet d'un nouveau mandat, en échange de l'octroi du marché. Car en France, la loi interdit la fracturation hydraulique, mais Total par exemple expérimente plusieurs techniques à travers le monde (Danemark, Etats-Unis, etc.) pour dépasser cet interdit.
Mourad Preure. Economiste : Il faut que Sonatrach s'affirme d'abord dans ce domaine En ce moment l'Algérie connaît une baisse de production du gaz conventionnel, sa production ralentit. On ne découvre plus de grands gisements de pétrole. L'Algérie ne peut pas rester en marge d'une industrie émergente qui va peser demain. Il faut aussi qu'elle gagne une expertise dans ce domaine. Il faut qu'on évolue au niveau technologique et qu'on se prépare à ce nouveau concept si l'Algérie veut rester un acteur de l'industrie pétrolière et gazière. Le gaz de schiste va bouleverser l'industrie mondiale. Il faut que Sonatrach s'affirme d'abord dans ce domaine et qu'elle innove. Les entreprises étrangères viendront seulement si Sonatrach fait cet apprentissage. Ensuite, il faudra prendre en compte toutes les conséquences environnementales, mais il y a des solutions technologiques à ces problèmes.
Mabrouk Aïd. Membre de Nabni, spécialiste de l'Energie : Le choix est stratégique si le risque est maîtrisable Le gaz de schiste n'est pas un gaz conventionnel et donc pas une source qui peut offrir une rente pour l'Algérie, car il nécessite d'importants investissements et implique un taux de rentabilité limité et des risques techniques importants. Il faut prendre en compte le risque, la rentabilité, et comparer à d'autres productions. Donc pourquoi aller vers ce terrain ? Le choix est stratégique si le risque est maîtrisable. Le déclin lent de la production des hydrocarbures peut être une explication de l'exploitation du gaz de schiste. Le potentiel de ressources conventionnelles existe en Algérie et sur le long terme, on en a encore à découvrir et à produire. Nous vivons sur des gisements découverts depuis longtemps, découverts pendant les dix dernières années. Donc le problème n'est pas si on a du potentiel, mais comment mobiliser nos ressources.