-L'Algérie vient d'autoriser l'exploitation du gaz de schiste. Est-ce que le FCE y est favorable ? Nous ne sommes pas spécialistes dans ce domaine, nous avons suivi l'actualité comme tout le monde. L'exploitation est interdite dans plusieurs pays. La technologie est bien maîtrisée par les Etats-Unis et par eux seulement. Ca demande beaucoup d'eau et utilise des produits chimiques qui risquent de se mélanger avec les nappes phréatiques. Ces questions devraient faire l'objet d'une étude approfondie. Donc, on émet des réserves parce que ça a peut-être été vite décidé. Cela étant dit, c'est une richesse de l'Algérie, bien sûr qu'il faut l'exploiter ! Ce serait aberrant de disposer d'une telle richesse et de ne pas en tirer profit puisqu'il semble qu'on est le troisième pays le plus doté. Ce qu'on se dit, c'est que peut-être dans dix ans, ou moins, on aura plus de possibilités techniques pour éviter les conséquences négatives. Et il serait opportun d'avoir des partenaires qui nous conseillent dans cette étude et dans cette mise en œuvre. -Le modèle de rente algérien finance la consommation et les importations, mais stérilise l'industrie privée et handicape le tissu de PME. Certains plaident pour un Small Business Act. Est-ce votre cas ? Le FCE a exprimé à maintes reprises, dans les propositions qu'il formule, le besoin d'une politique qui mette l'entreprise algérienne au centre de ses préoccupations. Le développement économique ne peut être porté que par les entreprises locales. Les sociétés étrangères, une fois leurs contrats terminés, partent sans que nous puissions les remplacer. Ce qu'il faut, c'est que les entreprises algériennes participent avec les partenaires étrangers engagés dans de grands projets, pour construire, faire des voies ferrées, des hôpitaux, des barrages. C'est de cette façon que nous pourrons parvenir à ce que toutes ces opérations puissent être exécutées plus tard par des acteurs algériens. Tout le monde s'accorde à dire qu'un « Small Business Act » serait opportun pour l'Algérie mais on a beaucoup de mal à traduire sur le terrain ces bonnes dispositions. Nous, ce que nous disons est simple : « arrangez-nous un environnement économique satisfaisant ». L'administration doit simplifier les procédures et accompagner les investisseurs, les banquiers, donner du financement aux entreprises, etc. Au lieu d'être un partenaire qui accompagne le développement, on a aujourd'hui une administration castratrice : elle contrôle, elle surveille et elle sévit. Quelque part, cela est compréhensible parce qu'il y a beaucoup d'informel. Mais cela donne une conception d'ensemble qui pénalise l'économie parce qu'on n'arrive pas à distinguer les bons entrepreneurs qui créent de la richesse et de l'emploi de ceux qui ont des positions plus mercantiles. On doit pouvoir, dans notre pays, cesser de suspecter tout le monde ; les entreprises qui oeuvrent dans la légalité absolue sont la grande majorité ; c'est pour ces entreprises-là que nous devons consacrer nos efforts ; ce sont ces entreprises-là que nous devons accompagner, aider et protéger ; ce sont ces entreprises-là qui pourront affranchir notre pays du cercle vicieux de la rente et de l'importation. -On estime que 75% de la consommation des ménages passent par l'importation. Vous êtes vous-même importateur. N'étant pas créateur de richesses, que répondez- vous à ceux qui disent que vous n'avez aucune légitimité à la tête du FCE ? Nous avons les deux activités : importateur et producteur. On produit des briques et des peinture. On importe des boissons mais on est en contact avec des fournisseurs pour faire des usines en Algérie. Il faut se mettre en tête que les partenaires étrangers, quand ils s'intéressent au marché algérien, distinguent deux phases dans leur stratégie d'implantation. Une première phase commerciale où ils testent le marché pour se rendre compte de façon très précise que ledit marché est favorable à leurs produits. A partir de ce constat, ils décident d'aller dans l'investissement, d'acheter des machines, de prendre le risque industriel. Dans notre économie, très peu de producteurs ne sont que producteurs. Celui qui fait de la céramique par exemple la produit localement à un prix relativement bas et il importe une céramique de plus grande qualité. On est très souvent à cheval sur deux activités. -Vous plaidez pour un assouplissement des conditions d'investissement. Je vous cite : «Il n'y a que les pays sous-développés qui ont un code de l'investissement.» L'Algérie est un pays sous-développé ? Aucun pays développé n'a de code d'investissement. Ils ont une loi générale mais sans pour autant avoir de code. Je persiste : seuls les pays sous-développés ont un code de l'investissement. Après, l'Algérie est sous-développée pour beaucoup de choses, pas seulement pour l'investissement. -L'abrogation de l'article 87 bis du code du travail sera dans la loi de finances 2015. Une mesure présentée comme en faveur des salariés qui va entraîner une hausse de 20% des salaires. Est-ce que cela inquiète le FCE ? Bien évidemment, nous sommes les premiers ravis que la classe ouvrière algérienne ait plus de moyens, soit mieux lotie, ait un pouvoir d'achat supplémentaire. Qui serait contre ça ? Pour elle, ça lui permettra d'avoir un niveau de vie plus intéressant, synonyme pour nous, hommes d'affaires, de plus d'argent à dépenser pour acheter nos produits. Cela étant dit, il faudrait dépenser l'argent qu'on a déjà gagné ! Sur le 87 bis, on aurait voulu avoir une évaluation pour savoir ce que ça va coûter à l'économie, étant entendu que tout pouvoir d'achat supplémentaire risque de prendre le chemin de l'étranger en gonflant les importations. Pour l'instant, ce qui préoccupe le FCE, c'est l'unilatéralisme de la prise de décision. Le 87 bis a été évoqué lors de la tripartie, mais aucune décision n'avait été prise. Ce qui nous inquiète, c'est que la question des salaires ne fasse pas l'objet d'une réflexion globale. -C'est un cadeau de Bouteflika en contrepartie du soutien des travailleurs ? Ça c'est vous qui le dites. Si on reste dans le champ économique, le 87 bis n'est pas gênant pour les entreprises privées dont les salaires n'excèdent pas les 18 000 DA. Nous ne sommes pas frappés de plein fouet par cette mesure. Mais indirectement, sachant qu'il y a une échelle de salaire où chacun observe ce que l'autre gagne, il peut y avoir un effet d'accordéon. Si la mesure ne bénéficie qu'aux bas salaires, personne ne s'en plaindra. Le risque, c'est la propagation, et c'est cela qu'il faut éviter ou limiter. Après, à la décharge des autorités, c'est un sujet lancinant qui date de plus de vingt ans en raison d'une analyse un peu spécieuse qu'avait faite le FMI dans le temps sur le SNMG. A l'heure actuelle, il n'est pas logique qu'à la faveur d'une redéfinition du salaire de base, cela entraîne une hausse généralisée des salaires. C'est une question de rigueur et de méthode. -Le FCE a lui-même soutenu Abdelaziz Bouteflika. Comment expliquez-vous que ce soutien ait créé tant des remous ? C'est faux ! Vous avez alimenté un non-événement parce que le FCE a parmi ses membres un enfant gâté qui ne fait rien sans en informer la presse. A part lui qui a démissionné, suivi par quelqu'un d'autre, le FCE n'a pas été ébranlé et n'il y a pas eu de dissensions internes. Je n'ai pas eu à gérer des situations d'implosion. Rien ! Je vais vous dire ce qui s'est passé. Le FCE, c'est le miroir de notre pays. Toutes les tendances politiques y sont représentées : pro-Bouteflika, pro-Benflis, … J'ai eu à gérer cette diversité avec beaucoup de doigté, en impliquant toujours l'Assemblée Générale. La première n'a rien donné puisque le quorum n'était pas réuni. La seconde s'est tenue avec un incident dès le matin à El Aurassi quand des partisans de Bouteflika ont vu les deux urnes dans la salle. On s'est mis en aparté et ça s'est tendu. Ils ont rappelé que, selon nos statuts, l'Assemblée Générale est souveraine. Autrement dit : c'est à elle de décider des modalités de vote. Cette dernière décide d'un vote à main levée. Et pas une voix ne s'est élevée pour contester ! Après, à chaque élection présidentielle, il y a une crise interne à gérer. Aussi, dans quelques semaines, on va réunir une Assemblée Générale pour réaffirmer que le FCE n'a pas vocation à être un acteur politique. Mais de vous à moi, nombreux sont ceux qui me remercient discrètement aujourd'hui d'avoir fait le bon choix. -Vous avez été réélu à la tête du FCE en décembre 2013 pour un quatrième mandat de deux ans. Est-ce que vous souhaitez passer la main en décembre 2015 ? Bien sûr, c'est dans l'ordre des choses ! On est en train de voir toute une jeune génération arriver. On a réussi à faire passer la moyenne d'âge de l'équipe dirigeante de 66 à 48 ans. Donc, il y a un rajeunissement du secteur privé dans son ensemble, en tout cas, ceux qui font partie du FCE et de l'encadrement du Forum. D'ici 2015, il y aura certainement des femmes et des hommes qui auront les capacités et le niveau de compétence requis pour se porter candidats. Ce n'est pas pour autant que je quitterai le Forum, mais je n'en serai plus le président opérationnel -Le secteur privé est-il aujourd'hui un contre-pouvoir ? On a le sentiment que le patronat s'est invité dans le tango entre présidence et services de renseignement… Ca va de pair avec le poids économique croissant du privé ! Cela le pousse naturellement à exercer une action à caractère politique. En plus, les autorités ont fait aussi un bout de chemin. La prise de conscience générale de la nécessité du dialogue favorise cette perception. A part pour le 87 bis, il y a moins d'unilatéralisme, plus de consultation, de concertation, des va-et-vient entre les cercles dirigeants et le monde économique. Sans constituer un contre-pouvoir, le secteur privé aspire en tout vas à prendre de plus en plus part à la décision économique. Quant à la seconde partie de votre question, elle n'a pas lieu de se poser pour le Forum.