Les consommateurs achètent des millions de baguettes chaque jour et en jettent la moitié à la poubelle. Mohamed Toumi, de la Fédération des consommateurs, en est révolté. Sur la totalité de la production quotidienne des 21 000 boulangeries activant à travers le territoire national, nous explique Tahar Boulanouar, porte-parole de l'Union générale des commerçants et artisans algériens (UGCAA), pas moins de 2 millions de baguettes sont gaspillées. Elles finissent dans les poubelles, surtout durant le mois de Ramadhan. Le pain est pourtant le roi de la table algérienne et jouit d'un caractère presque sacré. Les Algériens, qui vénèrent cet aliment, sont considérés parmi ses premiers consommateurs dans le monde. Selon une étude menée par le bureau Algérie Consultations internationales, présidé par Malek Seraï, expert international, la consommation des Algériens avoisinerait les 15 à 27 millions de baguettes par jour. Et qui dit grande consommation dit aussi grand gaspillage, surtout durant le mois de carême où les dépenses pour l'achat du pain atteignent des seuils élevés. Et une partie de ces dépenses viendrait grossir le volume du gaspillage alimentaire qui dépassait en 2013, selon des statiques, la barre des 5 milliards de dinars (environ 50 millions d'euros). Les campagnes médiatiques de sensibilisation se sont avérées sans résultat. L'Algérien n'arrive pas à acquérir la culture d'acheter seulement ce dont il a besoin. Chehrit Omar, boulanger exerçant à Azazga (Tizi Ouzou), estime que 5 baguettes suffisent pour une famille de 7 à 8 personnes. «Dans notre entreprise, nous faisons attention au gaspillage. Par exemple, si la demande manque dans la matinée, on arrête la production immédiatement pour ne pas gaspiller les ingrédients et l'effort», affirme notre interlocuteur. Un boulanger de Hussein Dey estime, pour sa part, que «le problème ne réside pas dans le gaspillage en lui-même, mais ailleurs. Les gens n'ont plus faim, ce qui fait que le pain s'est banalisé et a perdu de sa valeur. L'Algérien n'a pas la culture du consommateur économe, il consomme anarchiquement». Une campagne par SMS contre le gaspillage Y a-t-il des solutions à ce problème ? Pour Mohamed Toumi, «il est nécessaire que l'Etat arrête la subvention des produits de base, comme la farine, et que les boulangers vendent le pain à son prix réel. Ainsi, le citoyen réfléchira à deux fois avant de gaspiller car le prix du pain augmentera». Les associations affiliées à la Fédération des consommateurs envisagent «de prendre contact avec les opérateurs de téléphonie pour une campagne de sensibilisation par SMS qui débutera bientôt». «Il faut aussi cibler les jeunes par une sensibilisation dans les écoles primaires. Pour cela, on a commencé à filmer le pain jeté dans les poubelles pour faire des projections dans les classes», annonce-t-il. Selon notre interlocuteur, la dissuasion à un rôle capital. Il faut, enchaîne-t-il, que l'Etat «applique les lois en punissant les gaspilleurs». Les citoyens, pour leur part, semblent avoir pris conscience de la gravité de ce phénomène. «Le problème réside dans le fait que les gens gaspillent trop et ont peut-être les yeux plus gros que le ventre. C'est ce que nous constatons, notamment durant le Ramadhan, ils se précipitent chez les boulangers pour acheter du pain qu'ils ne consommeront pas !», explique Zohra, 24 ans, licenciée en langue française. Pour certains citoyens, les gaspilleurs doivent savoir qu'il y a des milliers, voire des millions de personnes qui n'ont pas accès à ce produit essentiel. «Je suis très déçue par ce comportement. Ils doivent connaître la valeur des choses. S'ils se déplaçaient dans les foyers défavorisés, ils feraient attention au gaspillage en général et en particulier à celui du pain», dit Sonia 31 ans, cadre dans une entreprise étrangère à Alger. De son côté, Abdennour, 26 ans infirmier, avoue l'existence de cette mauvaise habitude même chez des gens conscients : «Moi aussi, il m'arrive d'acheter beaucoup et à la fin on ne consomme pas tout à la maison. A la boulangerie, il y a plusieurs variétés de pain, donc je prends un peu de tout…»