– Que savez-vous de l'intérêt que peut susciter l'agroécologie en Algérie ? On s'est aperçus, via internet et par le bouche à oreille, que de nombreuses personnes, exposées au stress de la ville, cherchent à manger sainement et vivre plus près de la nature. La rencontre «Manger bio en Algérie», organisée par une association de développement durable (Djanatu alarif) en octobre 2013 à Mostaganem, a eu un succès fou. On s'est dit qu'à Alger, on pouvait aussi formaliser toutes les activités que nous menions (collecter des graines locales, monter un atelier de compostage avec les enfants, sensibiliser les gens aux dangers des pesticides…) à travers une association. L'agroécologie, c'est ce que faisaient nos grands-parents et nos arrière-grands-parents, à la différence qu'aujourd'hui, le concept est devenu moderne parce qu'il s'est enrichi des technologies et de nouvelles approches innovantes respectueuses de la vie des sols, à l'image de la permaculture, l'agroforesterie et la technique du BRF (bois raméaux fragmentés, mélange très fertile de résidus de broyage de rameaux de bois frais et de jeunes branches, ndlr). – Ceci dit, comparé à l'Europe, l'Algérie produit des fruits et des légumes de bien meilleure qualité… Il est vrai qu'on mange plus sainement en Algérie, mais l'agriculture est en train d'amorcer un virage vers plus d'intensification. Par ailleurs, 60% de ce que l'on mange est importé. Comme il n'existe aucun laboratoire de contrôle à l'importation, nous ne savons pas vraiment ce que nous mangeons. Sur les 40% produits en Algérie, seuls 20% le sont encore de manière agroécologique. Parmi les agriculteurs qui utilisent des traitements chimiques, on sait que la plupart ne respectent ni les doses ni les délais avant la récolte. On pourrait aussi parler des semences : les agriculteurs achètent leurs semences tous les ans, ce qui n'est pas naturel. Encore une fois, nos grands-parents ne faisaient pas cela ! La pression des multinationales est telle qu'aujourd'hui il n'est plus possible d'acheter des semences autres que hybrides, génétiquement «améliorées». Pour notre autonomie et notre indépendance, il est primordial de protéger, utiliser et améliorer nos semences locales (pommes de terre, tomates, oignons, navets, blé…), comme cela est prévu par un programme de l'INRAA. – En pratique, le consommateur a-t-il réellement le choix d'acheter des produits exempts de substances chimiques ? C'est difficile mais c'est la raison pour laquelle avec l'association, nous allons organiser une centrale d'achats avec des producteurs qui adoptent notre éthique, sur le modèle de ce que fait le réseau Association pour le maintien de l'agriculture paysanne et biologique (AMAPB). Nous avons déjà deux agriculteurs qui acceptent de jouer le jeu : un à Bouinane et un à Ouled Fayet. Avec une superficie de 1 hectare, nous pourrons produire 100 paniers par semaine. – Avez-vous des études sur le potentiel de ce marché en Algérie ? Combien pèse-t-il ? Parler de «marché» est une démarche du secteur de l'agriculture biologique certifiée, pas de l'agroécologie, dont la préoccupation n'est pas la rentabilité mais la santé publique. Ce qui nous intéresse pour le moment, c'est de produire par nous-mêmes et de sensibiliser les gens à devenir des consom'acteurs. Aujourd'hui, 80% de la population vivent dans les villes, ils sont coupés de la terre. Manger est devenu un acte mécanique qui n'est plus relié à la nature. Chacun doit ré-apprendre à s'impliquer et tout le monde peut le faire, même sans avoir de jardin. Nous allons d'ailleurs organiser des formations pour des cultures sur terrasse où l'on distribue des sacs de mélange terre-compost. Un sac de 8 kg de terre permet de produire 4 kg de tomates. Avec six sacs, on peut nourrir une famille tout l'été.