«Ce qui est bien avec Ferrante, c'est qu'en deux jours on n'a pas encore entendu parler de technique», s'amuse Bouchra, l'une des participantes. Ferrante Ferranti, photographe professionnel reconnu (1) est un prof un peu différent. Pas question de juger le travail de ces «élèves», d'aborder d'emblée des notions trop techniques souvent repoussantes pour le débutant. Pour le premier jour, samedi, ils étaient une dizaine à participer. Des artistes, des étudiants, des salariés des télécommunications, une spécialiste des ressources humaines… Tout le monde vient ici avec son bagage et son niveau en photo. Ces trois jours de travail, Ferrante les conçoit comme une séance «de révélation à sa propre sensibilité». Et les exercices prennent des airs d'analyse de personnalité. Ferrante Ferranti fait prendre à chacun une photo d'un même objet, au même moment, au même endroit. Les photos, une fois analysées, sont pourtant loin d'être similaires. Le regard, la subjectivité de chacun apparaissent alors évidents. «Je dis tout le temps qu'une photo existe sans le photographe, c'est juste son œil qui va la révéler», rigole Ferrante. Presque une mise au monde. Après des voyages aux quatre coins du globe, c'est la troisième fois que Ferrante Ferranti pose ses bagages en Algérie. Explosion En 2006, pour sa première venue, lui le fils de pied-noir né en 1960, s'est dit «bouleversé». «J'ai découvert une ville, Alger, malaimée mais magnifique. Mettre sur pied un atelier ici, c'est important, car un regard extérieur permet souvent de prendre conscience de la beauté du patrimoine dans lequel on vit au quotidien.» Pour les participants, tous passionnés de photos, le constat sur l'état de la photographie algérienne est sans appel. «En Algérie, il n'y a pas d'école de photo. Les beaux-arts ne proposent même pas de cursus en photo. C'est donc précieux un atelier comme celui-ci», juge Maya. Pourtant, l'heure est à l'explosion. Via les réseaux sociaux, une jeune génération de photographes éclot. Les photos circulent sur le net, mais leurs auteurs ne se connaissent pas vraiment. «Avec l'atelier, c'est la première fois que des photographes se rencontrent dans un cadre établi», s'enthousiasme Maya. Même constat pour Bouchra, la quarantaine, consultante en ressources humaines : «Sans ce workshop, je n'aurais jamais pu rencontrer tous ces gens.» Hakim, un des jeunes photographes amateurs présents, tient peut-être un début d'explication. «Ici, c'est compliqué de faire des photos. Les gens ont peur. Ils sont méfiants.» Quand on lui demande pourquoi, le jeune homme avance des raisons historiques. La décennie noire a marqué les esprits. Et selon lui, les soupçons qui existent envers les photographes en sont, en partie, des dommages collatéraux. Un constat partagé par l'ensemble des stagiaires. Alors, Hakim envisage aujourd'hui de partir. L'Europe, la Turquie, il ne sait pas encore. Une chose est certaine, il n'y a pas d'autres solutions s'il veut se former sérieusement à son futur métier de photojournaliste. «Je veux faire comprendre aux Algériens qu'il y a d'autres styles de vie. Les gens n'ont pas forcément une image très réelle du monde», estime-t-il. L'année prochaine, pour Ferrante et les stagiaires, c'est certain, ils se retrouveront à nouveau, pour un autre atelier.
(1) Il a cosigné avec Sabah Ferdi le livre Voyage en Algérie antique, publié aux éditions Barzakh et chez Actes Sud.