L'histoire est peu commune : Umar Farouk Abdulmutallab, 23 ans, fils d'un ancien ministre nigérian et riche banquier, choisit de faire exploser un avion américain assurant un vol entre Amsterdam et Detroit, le soir de Noël. L'attentat est déjoué et le jeune radicaliste s'en sort avec des brûlures. Devant les agents du FBI qui l'ont interrogé, l'auteur de l'attentat s'est présenté comme un membre de la nébuleuse Al Qaîda. Le Nigeria, l'un des pays les plus peuplés d'Afrique, peut être considéré comme l'un des bastions de l'islamisme radical. En 2001, l'Egyptien Ayman Al Zawahiri, le « cerveau » d'Al Qaîda, prédisait que le Nigeria constituerait bientôt un nouveau front-clé dans la guerre terroriste contre l'Occident. Dans les faits, il apparaît que la situation de ce pays est bien plus compliquée. Dès 1999, 12 des 36 Etats qui composent le Nigeria décident d'appliquer la loi islamique, la charia. Les conflits religieux opposant musulmans et chrétiens nigérians sont légion. La profusion de groupuscules islamistes, dont certains se disent proches des groupes talibans, a fini par faire basculer le pays dans le chaos. Les affrontements entre le groupe dit « Boko Haram » et les forces de l'ordre nigérianes ont fait plus de 700 victimes. Le mouvement des talibans, dont le nom Boko Haram en langue haoussa veut dire l'éducation moderne est un péché (haram) est, pour les spécialistes de cette région, un véritable mystère. Le groupe fait tout pour faire croire ses liens présumés avec les talibans. Leur camp d'entraînement, non loin des frontières avec le Niger, a même été baptisé « Afghanistan ». « On ne sait pas qui est leur leader. En 2006, un imam nommé Mohamed Yusuf avait été identifié et arrêté. Il avait reconnu avoir des "talibans" parmi ses fidèles, mais il ne se reconnaissait pas comme leur chef. Or, dans la longue histoire des mouvements islamiques radicaux au Nigeria, les "prophètes" autoproclamés ou millénaristes ne se sont jamais cachés », explique Marc-Antoine La Pérouse de Montclos, chercheur à l'Institut français de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste du Nigeria, dans une intervention médiatique. Dans ce pays coupé en deux (musulmans au nord et chrétiens au sud), les mouvements et les puissances étrangères qui espèrent étendre leur influence ont utilisé le Nigeria pour arriver à leurs fins. Les wahhabites d'Arabie Saoudite et les Frères musulmans égyptiens y ont fait leur apparition au milieu des années quatre-vingt-dix. « La Libye et l'Iran ont eu des velléités au Nigeria, via des fondations. On sait aussi que des pays arabes du Golfe ont financé le gouverneur de l'Etat de Zamfara, Ahmed Sani, lorsqu'il a voulu étendre le domaine d'application pénale de la charia », a encore expliqué M. de Montclos. Pour autant, le Nigeria n'est pas considéré comme un Etat terroriste. Les spécialistes estiment que les groupes islamistes qui s'affrontent dans ce pays sont motivés par des facteurs endogènes. Au Nigeria, plus de 70% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et la corruption mine le pays. Les paradoxes du sixième producteur de pétrole sont nombreux et l'Islam devient un argument politique. Les chantres de la charia prônent un système plus « juste », dans lequel tout le monde y trouverait son compte. Pour certains, la loi islamique appliquée depuis 1999 n'a fait qu'assommer les pauvres et privilégier les riches. Mais alors, comment expliquer le geste de ce jeune Nigérian promis à un riche avenir loin des bidonvilles d'Abuja ? Ce n'est là qu'une des nombreuses contradictions nigérianes sur laquelle planchent actuellement les agents du FBI et de la CIA.