Avec Raul Castro, tout peut être discuté sauf l'option du socialisme. Il a d'ailleurs privé ses concitoyens et les responsables cubains de leurs alibis habituels, les exhortant à se mettre au travail. Les signes de reprise, ou tout simplement d'une meilleure situation économique, commencent à apparaître. On les voit dans les travaux de ravalement, timides il est vrai, de certaines façades qui en avaient vraiment besoin. A croire en effet que le temps s'est arrêté, il y a des décennies, ajouté en effet aux véhicules qui sillonnent les rues cubaines. Le centre de la capitale cubaine a pris beaucoup de rides, et les habitations donnent des signes de vieillesse depuis bien longtemps que le manque de moyens n'a pu permettre de prendre en charge. On sent que rien, absolument rien n'a bougé, en termes de parc immobilier et automobile. On constatera que quelques nouveaux ensembles d'habitations ont été édifiés en dehors de la ville. Son centre historique est en voie de réhabilitation afin de répondre à sa vocation, celle de patrimoine de l'Unesco. Plus que cela, Cuba doit accueillir en 2010, une conférence internationale sur la préservation des monuments historiques. Une bonne occasion pour en donner l'exemple, mais tout est question de moyens. Dans la province voisine de Pinar Del Rio, distante de 150 km, c'est le même constat, sinon plus avec le constat dressé durant le trajet. Quatre heures de route entre l'aller et le retour. Une très belle autoroute, mais très peu de véhicules, au point que la vision était constamment dégagée. Le temps qu'apparaisse un véhicule. Mais des dizaines de points d'attente des usagers, attendant un hypothétique moyen de transport, faisant l'autostop avec en main, un billet de banque. Autostop payant. Mais cela n'empêche pas de constater que les mouvements de population sont nombreux. Sur place, on remarquera que Pinar Del Rio ne manque pas de charme, mais ce qui est encore plus remarquable, c'est de constater que rien n'a changé depuis certainement plusieurs décennies. Sauf peut être des citernes d'eau, autant qu'à La Havane pour faire des réserves. « Qu'y a-t-il à voir ? » se demandait fort justement un touriste français. Avec Cuba, il faudrait très certainement poser la question autrement. « Que faut-il connaître ? » serait la formule la plus appropriée. Est-ce que la motorisation a été, en effet, un jour synonyme de développement ? Pas si sûr que cela. Cuba répond en alignant les indices de développement, quelques uns pour être plus précis. Comme l'accès aux soins, l'un des meilleurs au monde, comme le constate avec régularité l'OMS (Organisation mondiale de la santé). Plus que cela, Cuba a éradiqué certaines maladies, fabrique ses propres vaccins et l'essentiel de ses médicaments. En termes de scolarité, Cuba figure dans le peloton de tête synonyme de généralisation de l'enseignement. Ce pays en est aujourd'hui à former l'élite d'autres pays, sinon à leur proposer ses propres services en la matière. Jusqu'aux techniques de pointe comme le génie génétique, principalement dans le traitement du cancer. Et puis, il y a ce qu'on appelle le génie cubain. On a eu l'occasion de le constater à l'Institut de génie génétique et de biotechnologie où de jeunes Cubains ont réussi à produire le plus gros ordinateur du pays destiné à la recherche. Un produit que Cuba ne pouvait acquérir librement sur le marché mondial. Habitué aux défis et à certaines formes d'hostilité, Cuba est bien obligé cette fois de se consacrer à ses propres problèmes et à leur trouver rapidement des solutions. Raul Castro, a laissé très peu, sinon aucune, place à ce qui tenait lieu d'argumentation, autrement dit, la terre et les circuits de distribution, les salaires et le blocus américain. En un mot, les Cubains sont appelés à se mettre au travail. Pas aussi simple que cela, avec une génération gagnée par l'âge, et appelée à prendre sa retraite. Même Raul Castro n'est plus aussi jeune, avec ses 76 ans. Et puis assure-t-on encore, sa marge est réduite par la forte présence de son frère, Fidel, âgé aujourd'hui de 83 ans, qui, bien qu'ayant décidé en juillet 2006 de renoncer à toute fonction officielle, n'en demeure pas moins présent. Avec des interventions aussi pertinentes que fortement médiatisées. D'ailleurs Raul Castro assure qu'il continuera à demander l'avis de son frère sur les questions importantes. D'aucuns considèrent que cela constitue un double handicap pour mener à son terme le changement qu'il préconise. Le temps de la relève Quant à la génération qui est appelée à prendre la relève, est-elle prête ? Les multiples reports du congrès du Parti communiste, laissent penser qu'il y a débat et que des questions sensibles n'ont pas été réglées. C'est pourquoi l'année 2010 sera réellement importante pour Cuba. Quel choix faire, ou encore quelle voie retenir, chinoise ou vietnamienne ? Une ouverture vers le libéralisme, à petites doses, et Cuba y est déjà, même s'il est encore et toujours question de socialisme. Et de parti unique. C'est le grand débat, avec une Amérique du Sud qui regarde vers Cuba, et celle-ci est confortée dans sa position. Une bouffée d'oxygène pour son économie en termes de marchés et de sources d'approvisionnement, et la rupture de l'isolement. On ne parlera pas de castrisme, car ce concept est rejeté par les Cubains, mais de modèle cubain qui a constitué une source d'inspiration dans cette sous-région, à travers un choix populaire dans le cadre d'élections pluralistes. Et l'on y parle de bolivarisme, du nom du grand libérateur, Simon Bolivar. Une nouvelle théorie, mais le sens est le même, celui de la libération et de l'émancipation des peuples. L'idée avait été lancée en 2001, mais elle attendra l'année 2005 pour sa concrétisation. Elle a pour objectif de promouvoir la coopération entre les pays socialistes d'Amérique latine et des Caraïbes, dans les domaines politique, économique et social. Le premier TCP (Traité commercial des peuples) signé en avril 2005 entre Cuba et le Vénézuéla stipule explicitement l'échange de services médicaux cubains contre du pétrole vénézuélien. Il vise effectivement la logique coopérative, tout en favorisant le secteur public. Mais même là, tout ne va pour le mieux. Mais pour ses membres qui ambitionnent de substituer l'ALBA à l'OEA (Organisation des Etats américains) qui a décidé de réintégrer Cuba qu'elle avait exclue en 1962, c'est clair, tout est dans l'opposition des Etats-Unis à ce projet. A commencer par le Honduras qui a annoncé mercredi 16 décembre 2009 son retrait de l'ALBA qu'il avait rejoint le 25 août 2008, sous la direction du président Manuel Zelaya, chassé du pouvoir par un coup d'Etat le 28 juin. Et puis, constate-t-on, les choses ont tendance à bouger dans cette zone comme l'indique un récent message de Fidel Castro, accusant le président américain, Barack Obama, de poursuivre « avec un sourire aimable » la politique de son prédécesseur, George W. Bush. Il cite pour cela « le coup d'Etat au Honduras et l'établissement de sept bases militaires en Colombie, des faits récents qui se sont déroulés après l'entrée en fonction du nouveau président des Etats-Unis », a-t-il relevé. Difficile de se persuader que tout cela allait passer sans le moindre problème. Mais aujourd'hui, l'heure est au réalisme ainsi que cela apparaît dans le discours officiel. Se consacrer à l'économie, c'est envisager des produits de substitution. Cuba, en effet, importe 84% de ses produits alimentaires, principalement des Etats-Unis, cette catégorie étant exclue de la liste des produits interdits d'exportation vers Cuba. L'heure de vérité A l'inverse, les produits d'exportation se vendent mal. Tel le nickel premier produit d'exportation cubain. C'est la cascade de mauvaises nouvelles. Rien que pour les neuf premiers mois de 2009, les échanges extérieurs ont chuté de 36%, par rapport à la même période de 2008, alors que les importations ont été réduites de pas moins de 80%. Pour les responsables du ministère de l'Economie et du Plan, tout cela s'explique. « Cuba vit des crises multiples comme dans l'énergie, la finance et le secteur alimentaire », elle a « une économie ouverte », malgré elle puisque à titre d'exemple « elle importe plus de la moitié de ses besoins en énergie ». Elle produit 80 000 barils de pétrole par jour, soit tout juste 47% de ses besoins, le reste étant couvert par le Vénézuéla.à un tarif préférentiel. Mais Cuba, qui est persuadée que la zone économique exclusive du Golfe du Mexique serait riche en pétrole, a signé récemment avec la Russie, un accord de prospection et d'exploitation de pétrole dans les eaux et sur le territoire cubains. Ce qui s'ajoute à d'autres accords de même nature signés avec des partenaires d'autres pays. Les besoins sont grands, et le temps est certainement ce qui manque le plus, maintenant que le ton est donné par les plus hautes autorités du pays. Changer ce qui doit l'être est bien plus qu'un simple slogan. C'est une urgence et un besoin impérieux afin de préserver le système cubain que l'on disait vacillant lors de la période spéciale, ces années noires du socialisme. Un héritage peu enviable pour Raul Castro contraint de desserrer les étreintes parfois beaucoup plus bureaucratiques que strictement idéologiques, qui empêchent au moins une amélioration de la situation économique. La presse s'insurge, et les visiteurs davantage. Et ne serait-ce qu'au niveau du discours, Cuba vient de franchir des pas considérables, en brisant ce qui tenait lieu de dogmes, comme le blocus américain, bien réel il est vrai, mais qui a permis de couvrir bien des défaillances, voire des incompétences, et le déplafonnement des salaires, un acte de justice envers ceux qui aident le pays à demeurer sur ses bases. En attendant que les propos soient traduits en actes, ou encore en ligne politique. C'est ce qui est attendu du prochain congrès du PC cubain. L'on saura alors de quel changement il s'agit, et surtout jusqu'où iront les autorités du pays. Même s'il sera consacré essentiellement à l'économie. Les supputations liées au moins aux multiples reports vont bon train. Par ses propos Raul Castro leur a donné plus de consistance. Et aussi suscité de l'espoir.