« Un général ne se rend jamais, même à l'évidence. » Jean Cocteau Mon devoir élémentaire n'est pas de m'accrocher à des charges, ni encore moins de fermer la voie à des personnes plus jeunes », avait-il déclaré il y a deux mois. Il aura fallu quelque 50 ans de règne sans partage sur Cuba pour que Fidel Castro arrive à cette conclusion. Mardi, le lider Maximo a jeté « l'éponge ». Il a clairement déclaré qu'il laissait sa place. Une véritable révolution dans la révolution. Après 18 mois de convalescence, et à la veille de la désignation, dimanche, des membres du Conseil d'Etat, Fidel annonce officiellement qu'il renonce à la présidence de Cuba. Le vieux révolutionnaire, rongé par la maladie, explique ne plus être en capacité physique d'assumer cette charge, mais entend rester « un soldat des idées » car, selon lui, les révolutionnaires ne se retirent jamais. L'annonce, véritable onde de choc sur toute l'île de la Liberté, met fin ainsi à une période d'incertitude qui dure depuis le 31 juillet 2006, date à laquelle le leader cubain avait provisoirement délégué ses pouvoirs à son frère cadet Raul, à la suite d'une intervention chirurgicale qui l'avait laissé très affaibli et qui avait donné lieu aux spéculations les plus invraisemblables. Alors que Cuba fêtera l'année prochaine le cinquantenaire de la révolution cubaine, Fidel, âgé de 81 ans, a annoncé dans une lettre publiée dans le quotidien officiel Granma « qu'il n'aspire ni n'acceptera un nouveau mandat présidentiel. » 50 ANS DE RÈGNE absolu « A mes chers compatriotes, qui m'ont fait l'immense honneur, ces derniers jours de m'élire au Parlement, je vous informe que je n'aspirerai ni n'accepterai, je répète, que je n'aspirerai ni n'accepterai la charge de président du Conseil d'Etat et de commandant en chef. » En fait, Fidel est éloigné du pouvoir depuis juillet 2006, depuis son hospitalisation. Son dernier discours, il l'a prononcé le 21 juillet 2006, lors d'un rassemblement à Cordoba en Argentine. A la fin du même mois, son secrétaire particulier, Carlos Valenciaga, lit à la télévision une lettre signée de la main de Fidel, où il annonce qu'il délègue à titre provisoire ses fonctions de premier secrétaire du Parti communiste, du président du Conseil d'Etat et de chef des forces armées à son frère Raul. Victime d'une crise intestinale aiguë et d'une « hémorragie digestive importante », Fidel dit avoir subi une opération chirurgicale qui « l'oblige à prendre plusieurs semaine de repos ». A Miami, en Floride, la communauté cubaine anti-castriste célèbre bruyamment, le 1er août, l'annonce de la détérioration de l'état de santé de Fidel Castro. A Cuba, la maladie de Fidel est classée secret d'Etat, mais La Havane bruisse de rumeurs. Privés d'informations sur la santé de leur Président, les Cubains attendent résignés. Beaucoup pensent que le lider Maximo ne reviendra pas. Le 14 août 2006, La Havane diffuse les premières images de Fidel sur son lit d'hôpital et en survêtement. « Je vous suggère d'être optimistes », avait-il rassuré ses compatriotes, tout en les prévenant de rester prêts à affronter toute mauvaise nouvelle. Son retour sur la scène politique est attendu, mais jamais effectif. Il est d'abord annoncé pour le sommet des non-alignés, organisé à La Havane en septembre. Mais il n'y assiste pas. Il n'est pas non plus présent aux cérémonies de son 80e anniversaire. Son ombre y plane cependant. Le 2 décembre 2006, 300 000 personnes défilent en rangs serrés aux cris de « Viva Fidel », en agitant des petits drapeaux cubains. Pour la première fois, lundi 17 décembre, Fidel s'exprime sur sa succession, dans une lettre lue à la télévision en assurant qu'il ne « ferait pas obstacle à l'émergence de personnes plus jeunes ». Pour gérer son absence, des images du convalescent et des nouvelles sur sa santé sont distillées par le pouvoir. Comme si, à intervalles réguliers, La Havane devait donner une preuve de vie du caudillo. Il apparaît sur un enregistrement vidéo diffusé le 28 octobre 2006 et se livre à quelques exercices de gymnastique devant la caméra. Il apparaît aussi régulièrement en compagnie du président vénézuélien Hugo Chavez. DES RUMEURS SUR SA SANTE Un célèbre chirurgien espagnol se rend à son chevet en décembre. Sa venue ne manque pas de relancer les spéculations sur la santé de Fidel. Seul Hugo Chavez, parmi ses proches, se risque à un diagnostic, affirmant « que Fidel Castro n'a pas le cancer, même s'il mène une grande bataille contre une maladie grave ». Successeur de Fidel, son frère Raul marque peu à peu sa différence. « Fidel est irremplaçable, je le sais, moi qui le connais depuis que j'ai l'âge de la raison et pas toujours avec les meilleures relations », confie-t-il. Mais l'irremplaçable Fidel était une fois de plus attendu pour le traditionnel défilé du 1er Mai. Il n'a finalement pas assisté aux cérémonies. Les Cubains l'aperçoivent aux côtés de la délégation du Parti communiste chinois, le 20 avril 2007. C'est encore aux côtés de Hugo Chavez, lors de son émission « Alo présidente », qu'il apparaît une nouvelle fois, toujours amaigri, mais en meilleure forme, le 14 octobre 2007. Ses plaisanteries ne sont guère appréciées par ses opposants qui y voient une forme de cynisme, notamment lorsqu'il fait mine d'envisager de partir tout en vantant l'architecte Oscar Niemeyer « qui travaille toujours à 101 ans ». Personnage charismatique à l'image ambivalente, il cultive le paradoxe. Alors, faut-il pencher pour le Castro révolutionnaire qui mène une lutte implacable contre l'impérialisme où pour Fidel, l'homme qui a mis sous l'éteignoir les libertés fondamentales de ses concitoyens ? Tout le monde se souviendra de son coup de gueule à l'ONU où il s'est fait l'avocat des opprimés. « Nous sommes déjà six milliards sur cette planète. Et nous serons presque, à coup sûr, neuf milliards et demi dans 50 ans. Garantir la santé, l'éducation, l'emploi, des vêtements, un toit, de l'eau, de l'électricité à une quantité aussi extraordinaire de personnes qui vivront précisément dans les pays les plus pauvres sera un défi colossal. » L'ONU DOIT CHANGER « On ne saurait continuer d'imposer les goûts et les modes de vie des sociétés industrielles, fondées sur le gaspillage, car ce serait non seulement suicidaire, mais tout bonnement impensable. » Son coup de gueule contre la mainmise des puissants sur les richesses du monde et l'appauvrissement des plus pauvres est légendaire. « L'ONU, admet-il, est un bon point de départ, car elle détient une grande quantité d'informations et d'expériences, mais il faut tout simplement se battre pour la démocratiser, pour mettre fin à la dictature du Conseil de sécurité et à la dictature au sein-même de celui-ci, ne serait-ce qu'en y admettant de nouveaux membres permanents, en renforçant l'autorité de l'Assemblée générale. » Dernier survivant de la guerre froide, il a réussi à maintenir le seul régime communiste du monde occidental, 17 ans après la chute du mur de Berlin et 15 ans après celle de l'Union soviétique. Fils d'un immigrant espagnol devenu riche propriétaire terrien, cet ancien élève des jésuites est entré dans l'histoire les armes à la main en tentant, à 27 ans, de s'emparer de la caserne de la Moncada avec une centaine de conjurés. L'échec sanglant de l'opération qui vaudra la prison et l'exil au jeune avocat n'altère pas sa détermination. Trois ans après, il lancera une guérilla de 25 mois qui aura raison de la dictature de Batista en janvier 1959. Depuis, il gère son pays à marche forcée. 50 ans de solitude en fait, puisque la population en paie le prix fort. Ses hauts fait d'armes ? La cuisante défaite infligée aux Américains dans la Baie des Cochons en 1961, où il devient le chantre du tiers-monde avec une image qui plaît : cigare, barbe, treillis et casquette. Il ne troquera sa tenue de guérillero pour un modeste survêtement qu'avec sa maladie. Le nom de son successeur sera dévoilé, dimanche prochain, lors d'une session de l'Assemblée nationale. Ce sera vraisemblablement son frère Raul. Une page vient de se tourner pour le dirigeant en activité, lui qui a conservé le pouvoir le plus longtemps de tout le XXe siècle. Ses successeurs devront-ils se suffire du slogan officiel « La patrie ou la mort », qui ne semble ne rien signifier pour une population au destin confisqué durant près d'un demi-siècle, et qui aspire à un avenir meilleur ? PARCOURS Il est né à Mayrai, province d'Oriente en 1927. Issu d'une riche famille de propriétaires terriens, il fait des études d'avocat à La Havane, où il se lie à la gauche insurrectionnelle. En 1947, il participe à un complot contre le dictateur dominicain Trujillo, puis mène la lutte contre Batista qu'il renverse en 1959 aux côtés du mythique Che Guevara. Depuis cette date, il règne en solitaire sur Cuba. Ses principaux adversaires constituent une forte minorité et sont établis en Floride. Ils n'ont de cesse depuis de critiquer sa dictature. Ses partisans voient en lui un leader charismatique, toujours attaché aux valeurs socialistes. En juillet 2006, il tombe malade. Affaibli, il ne pourra gouverner. Il a annoncé mardi dernier qu'il renonçait au pouvoir. C'est vraisemblablement son frère Raul qui lui succédera.