Ces qualificatifs lui collent à la peau, comme sa chemise sans cravate, depuis son engagement dans les Jeunesses communistes grecques (KNE) durant les années 1980-1990 et les luttes qu'il a menées à la tête du syndicalisme lycéen et estudiantin. «Le jeune militant que j'ai connu a beaucoup changé. Il a acquis une maturité politique à une vitesse remarquable. Le peu d'expérience qu'on lui reproche peut être salutaire, contrairement à l'énorme expérience de ceux qui ont conduit le pays au bord du gouffre durant une dizaine d'années», souligne Aliki Papadomichelaki, ancienne responsable du département de politique extérieure de Syriza. Un papa cool Tsipras n'est plus ce «jeune gaucho, fougueux, rebelle aux cheveux longs». Il a appris à modérer ses convictions. Marxiste romantique, il partage sa vie avec Peristera Baziana depuis les années du lycée. Elle est la mère de ses deux garçons, 5 et 2 ans. Tsipras est un «papa cool» qui aime rouler en deux-roues. C'est donc ce père de famille, d'à peine 41 ans, qui hérite du trône de la plus antiques des civilisations européennes. Stratège comme Athéna, il détient désormais le pouvoir suprême sur toute la Grèce, jadis aux mains de Zeus. A l'instar de ce devin, Tsipras compte renverser «les Titans austéritaires» et envoyer «les diktats» de la troïka au fin fond d'Hadès. «Les intimidations de Bruxelles et de Berlin ne m'ont jamais fait peur. Elles ne font que nous renforcer», disait-il tout le temps à ses proches. Avec la victoire historique de Syriza souffle un vent Notos sur toute l'Europe. La théorie « tsiprasienne» est simple, l'UE ne peut pas exclure la Grèce par peur de l'effet domino. Sur le drapeau européen, il aurait préféré, lui qui ne croit pas aux astres, voir des anneaux olympiques à la place des étoiles. «Les pays qui constituent l'Europe sont entrelacés comme des anneaux. Si l'un d'eux est cassé, la zone euro disparaîtra», telle est sa philosophie. Ceci explique sa tentation d'aller à la provocation de la Commission européenne et du FMI, en déclarant qu'il «ne va pas se contenter de renégocier le remboursement de la dette, mais en annuler une bonne partie».Cette proposition phare de Syriza énerve les conservateurs. «C'est naïf et mensonger de dire que nous pouvons ne pas respecter le payement de nos dettes», s'agacent certains analystes «médiatiques» pro-Nouvelle Démocratie. Leader précoce Pour d'autres sympathisants du libéralisme bruxellois, Tsipras est «un illusionniste qui refuse de regarder la réalité en face». Quelle réalité ? «Il veut nous faire croire que nous pouvons imposer nos règles à l'UE, alors que la Grèce est en faillite. Nous n'avons plus un sou», lance un chauffeur de taxi, se frottant le pouce contre l'index. Or, le nouveau Premier ministre grec est tout sauf naïf. Au contraire, il assume pleinement sa posture de l'éternel «premier de la classe», arrogant et sûr de ses théorèmes. Ingénieur en génie civil, diplômé de polytechnique à Athènes en 2000, il entame le travail dans une entreprise de bâtiment créée par son père. Ce «petit bourgeois» ne résistera pas longtemps au démon qui le hante, sa passion pour la politique. Brillant et précoce, comme tous les surdoués, Tsipras sera élu en 2004 membre du comité central du Synaspismos (l'un des partis principaux de Syriza), puis à son secrétariat politique. En 2008, il devient président du même parti. En 2009, il est élu député sur la liste de la coalition Syriza et choisi par ses camarades pour présider leur groupe parlementaire. Il avait, alors, juste 34 ans. Sa jeunesse et son sens de l'ironie sont devenus une caricature de la classe politique grecque et méditerranéenne en général, vieillissante et meublée par la langue de bois.Pour ses amis, c'est «un tribun du peuple» comme le fut Socrate, tandis que les anti-Syriza le considèrent comme «un show man populiste».Alexis Tsipras refuse de se mêler aux débats élitistes et n'aime pas les expressions savantes. Il a adopté, dans ses discours, un style dépouillé. Il a l'aptitude de vulgariser des concepts économiques et politiques complexes. Pragmatique Après tout, un message politique est fait pour être compris par le maximum de récepteurs. Posé, jamais en colère, tout le temps souriant devant les objectifs braqués sur lui, Tsipras ne laisse personne indifférent. Il incarne la carrure d'un chef d'Etat serein qui tient bien son cap. Futé comme Ulysse, Alexis n'a jamais confondu rapidité et précipitation. Il n'a grillé aucune étape. En 2006, il est élu conseiller municipal de la mairie d'Athènes, poste pour lequel il refuse la candidature aux législatives de 2007. Il voulait se montrer respectueux du mandat que lui ont donné ses électeurs, et surtout préparer son ascension à la tête de son parti. Il refuse de perdre le moindre combat. Après les élections de mai 2012, il est chargé de former un gouvernement. Une mission impossible, Syriza n'avait obtenu que 52 sièges. A l'époque, ses interlocuteurs lui ont reproché sa méconnaissance des enjeux de la politique européenne, pourtant vice-président du Parti de la gauche européenne (PGE) depuis décembre 2010. Bousculé par cette critique, il décide alors d'aller faire campagne à Paris, le 21 mai, et à Berlin, le 22. Quelques semaines plus tard, lors des nouvelles élections législatives de juin 2012, le résultat de sa «tournée européenne» est sans appel. Syriza remporte 71 sièges. Tsipras devient le patron de l'opposition grecque. Depuis, il ne cesse de prendre des galons. En décembre 2013, il est choisi comme candidat du PGE à la présidence de la Commission européenne durant les élections de 2014. Le temps est révolu où on se moquait de ses arguments anti-austérité. Pragmatique, il négocie depuis hier, avec d'autres partis, la formation d'un gouvernement de coalition. Bien entouré dans la direction de son parti, Tsipras n'hésite pas à réajuster, ne serait-ce que sur la forme, ses positions. Laïc convaincu, défenseur de la séparation totale de l'Eglise orthodoxe et de l'Etat, il a préféré occulté ce sujet, encore tabou en Grèce, durant toute sa campagne électorale. «En ce temps de crise, les questions sociales et économiques priment», se défend-il auprès de ses camarades mécontents. Maintenant, il reste au nouveau «héros grec» de joindre les actes à ses paroles simples. Les promesses électorales de Syriza ne doivent surtout pas être renvoyées aux calendes grecques sinon, aussitôt, Tsipras les rejoindra, la popularité de Syriza aussi. Le locataire de la Villa Maximos devrait avoir l'ambition d'un général offensif, menant la gauche radicale vers une «guerre de conquête» de l'Europe, et non pas «une guerre servile» contre l'Europe. On le sait, dans toutes les guerres serviles, les maîtres ont fini par reprendre le dessus.