Les Grecs éliront aujourd'hui les 300 députés composant la Vouli, unique Chambre du Parlement hellénique. L'enjeu de ces élections législatives anticipées est vital, à plusieurs égards, pour l'avenir de la Grèce, un pays au bord de la dislocation socioéconomique, mais aussi celui de l'Union européenne (UE). Tous les sondages d'opinion, depuis plusieurs jours, annoncent une grande vague rouge, aux couleurs de Syriza. Ce parti, représentant une large coalition de la gauche radicale grecque, dirigé par Alexis Tsipras, est clairement antilibéral et anti-austérité.Les partis politiques de la gauche radicale européenne se réjouissent déjà de la victoire annoncée de Syriza. Pour eux, ce serait un déclic historique pour battre démocratiquement l'Europe austéritaire et basculer vers une Europe des peuples. «Syriza vous demande de lui donner sa première chance, ce sera peut-être la dernière pour la Grèce. C'est la seule manière pour mettre un terme à l'humiliation nationale. Dès lundi, nous en aurons fini avec les ordres qui nous sont imposés de l'étranger», a déclaré Alexis Tsipras lors de son dernier meeting, jeudi, place Omonia, à Athènes. Devant des milliers de ses partisans, il a réitéré son appel à voter massivement pour son parti «afin d'appliquer notre programme sans aucun compromis». L'enjeu de la majorité absolue Le seul suspense, en effet, c'est de savoir si Syriza obtient ou non la majorité absolue. «Vu les résultats des sondages, je suis confiante que les Grecs vont donner le plein pouvoir à Syriza en lui offrant la majorité absolue», a indiqué Aliki Papadomichelaki, journaliste et ancienne responsable à Syriza. «Tsipras incarne l'espoir du peuple grec et de sa jeunesse.Il veut nous offrir une chance de sortir de la crise. Dans son dernier discours, il a bien résumé le programme de Syriza : renégocier le remboursement de la dette, en annuler une partie, créer de l'emploi et s'occuper du plan humanitaire, par exemple en offrant une aide financière aux couches les plus défavorisées», a-t-elle développé. Bénéficiant d'un soutien populaire sans précédent, Syriza veut imposer à l'UE une vision économique et sociale aux antipodes du plan d'austérité appliqué par le gouvernement sortant d'Antonis Samaras, soumis à la houlette de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et FMI).La percée de la gauche radicale grecque a même fait réagir la vraie patronne de l'UE, Angela Merkel. La chancelière allemande a brandi le risque que la Grèce sorte de la zone euro en cas de victoire de Syriza. Ainsi le concept «Grexit» est exploité dans la campagne électorale de Nouvelle démocratie (ND), parti du Premier ministre Samaras. Vainement. Les sondages lui sont défavorables. Les électeurs ont senti dans son discours des intimidations et du chantage. Dans son dernier discours électoral, prononcé vendredi soir à Athènes, le Premier ministre conservateur a réaffirmé son argument fétiche : «la Grèce est en train de retrouver sa santé économique. Il n'est pas de notre intérêt de rentrer dans une lutte contre l'UE.» Il a ensuite prédit l'échec du programme de Syriza concernant le rééchelonnement du remboursement de la dette publique. «Dans ce cas, la Grèce pourrait être contrainte de sortir de la zone euro», a-t-il averti. Or, son adversaire et très probable futur Premier ministre, Tsipras, a réfuté, à maintes reprises, «toute volonté de sortir de la zone euro». Antonis Samaras prône la «poursuite des réformes qui commencent à donner des résultats» et parle dans ses prévisions d'«une croissance économique annuelle de 4%». Cette dernière promesse est considérée, par beaucoup d'observateurs, comme utopique à cause du contexte économique et social de la Grèce.«Nouvelle démocratie (ND) est un parti sans programme économique. Il s'aligne sur celui de l'UE. Tout au long de la campagne électorale, il n'a fait que jouer sur la peur des gens avec un discours alarmiste. Il met en avant notre sortie de l'UE et le risque que Syriza confisque l'argent épargné dans les banques pour financer ses projets», constate Giannis, étudiant en droit à Paris. Situation économique effrayante «Je suis venu à Athènes pour trois jours, uniquement pour voter. Je connais plusieurs amis qui ont fait la même chose. En tant que jeune, ce qui m'intéresse le plus, dans les promesses de Syriza, c'est le rétablissement d'un SMIC de 750 euros, lutter contre la précarité et contre le chômage», a expliqué ce jeune militant communiste. Son père, Geórgios, est plutôt sympathisant de la social-démocratie. «D'habitude je ne vote pas pour la gauche radicale mais cette fois-ci Syriza s'impose comme la solution incontournable du moment», a-t-il indiqué. Cadre de la marine, notre interlocuteur pense également que «Syriza est le seul parti capable, et qui a le courage, de s'attaquer à la corruption et de sauver le secteur public de la ruine». Les deux mémorandums d'austérité (2010 et 2012) ont asphyxié l'économie de la Grèce, détruit son système social et ruiné le secteur public sur tous les plans. L'UE et le FMI, en contrepartie de 226,7 milliards d'aide, ont exigé des augmentations d'impôts et des coupes budgétaires très douloureuses, notamment dans le service public. Elles sont appliquées à la lettre par le gouvernement néolibéral de Samaras. En quatre ans, le taux de chômage a explosé. Selon Eurostat, service statistique de la Commission européenne, 25,8% de la population active grecque était sans emploi en octobre 2014 (près de 50% chez les jeunes).Depuis 2008, près de 100 000 petites et moyennes entreprises locales ont été fermées. 30% des Grecs ne bénéficient pas de couverture sociale et médicale. Des centaines de milliers de citoyens sont privés des simples commodités de la vie comme le chauffage, l'électricité et le logement. En 2013, la dette publique grecque a atteint 175% du PIB (chiffre de la Banque centrale européenne). Vers la fin de l'austérité «Tsipras veut exactement faire le contraire de ce qu'a fait le gouvernement Samaras. Je lui fait confiance», lance Dimitri, sirotant une bière sur un banc public en face du Parlement. Comme 18% des seniors (OCDE, avril 2014), il est au chômage, sans revenus. A quelques pâtés de maisons, des femmes de ménage se relaient depuis plus d'une année pour occuper l'entrée du ministère des Finances, leur employeur. Elles sont au nombre de 595 à dénoncer leur licenciement dans le cadre de l'application du programme d'austérité. «C'est vraiment injuste, dit l'une d'elles dans un anglais approximatif. Nous voulons simplement reprendre notre travail.» Syriza, qui a accompagné leur combat, a décidé de les réintégrer en cas de victoire. La coalition de gauche a assuré une large campagne de proximité pour mettre en avant le caractère social et antilibéral de son programme : effacer une partie de la dette et inclure une clause de croissance dans le remboursement, augmentation du salaire minimum de 580 à 751 euros, restauration de la prime de Noël pour les retraités (une sorte de 13e mois), soins médicaux et pharmaceutiques gratuits pour les chômeurs sans assurance, et électricité gratuite pour les foyers vivant sous le seuil de pauvreté. Syriza compte, par ailleurs, réformer la fiscalité pour qu'elle soit plus favorable aux couches populaires et veut réduire les dépenses de l'Exécutif en se contentant d'une dizaine de ministres. Grâce à la renégociation de la dette, Syriza espère pouvoir créer rapidement 300 000 emplois. Apprécié dans le milieu culturel et médiatique, Alexis Tsipras n'a pas omis, dans ses déclarations, de mettre l'accent sur «la nécessité de rétablir les libertés d'opinion et d'expression, biaisées par le gouvernement austéritaire». Il envisage de renforcer le service public et de relancer l'ERT (l'entreprise publique qui regroupait la radio et la télévision), fermée abusivement, le 11 juin 2013, sur décision gouvernementale, en limogeant plus de 2500 personnes. «Ce n'est pas sérieux tout ça. Syriza promet tout à tout le monde, alors qu'il n'a pas les moyens de satisfaire toutes ces promesses», a lancé Antonis Birbilis, militant de ND, rencontré hier au stand du parti à la place Syntagma. «Malgré les mauvais sondages, je pense que nous avons fait une bonne campagne. Nous croyons toujours que les Grecs sont conscients de l'enjeu de ne pas donner le pouvoir à un parti comme Syriza. Nous pouvons créer la surprise», espère-t-il. Pas loin, à la sortie de la bouche du métro, Shoula, la quarantaine, s'active encore à distribuer des tracts du KKE (Parti communiste grec), seul grand parti de gauche qui n'est pas membre de la coalition Syriza.«Même si, nous savons que Syriza peut apporter une politique plus sociale, on refuse de s'associer à eux, car, une fois au pouvoir, ils seront de toute façon contraints de se soumettre aux exigences du capitalisme européen», a-t-elle émis. Les urnes, quant à elles, se prononceront ce soir.