Chacun a marqué comme il voulait ou pouvait le nouvel an. On s'est transmis nos meilleurs vœux, les plus sincères d'ailleurs, santé, bonheur, réussite... Qui avec un soupir, qui avec rage, tous avec de fermes résolutions, on a jeté les anciens calendriers. On attend encore les nouveaux. Il paraît que les imprimeries étaient en rupture de stock. Dans tout ça, nous n'avons pas remarqué que nous venions en fait d'entrer dans l'an dix du troisième millénaire. Dit comme ça, c'est impressionnant. On croirait ces mots sortis des lignes d'un grand auteur de science-fiction, H.G. Wells, Philip K. Dick, Issac Assimov, Fréderic Brown... Tous ces génies qui, dans la lignée de Jules Verne, se sont évertués à jeter leur imagination dans les abysses de l'avenir, à triturer les signes du présent pour lui donner des perspectives, à prévoir des évolutions technologiques avec parfois un luxe surprenant de détails. Quand dans 1984, écrit en 1967, Georges Orwell racontait le contrôle futur des pensées et des expressions par Big Brother, ne préfigurait-il pas la concentration actuelle des médias et des industries culturelles entre les mains de quelques mutinationales ? La science-fiction ne se limitait pas à l'imagination des nouvelles technologies mais était surtout une réflexion quasi-philosophique sur le devenir humain, une éthique romancée du futur. Là, elle semble avoir disparu et il n'y a plus que le cinéma et quelques séries télé qui s'aventurent bien rarement sur le terrain, avec de plus en plus d'effets spéciaux et de moins en moins de profondeur. Peut-on citer un seul grand auteur vivant de science-fiction ? Est-ce que le principe littéraire qui veut que la fiction dépasse toujours la réalité se serait inversé comme le sens des tourbillons d'eau à partir de l'équateur ? Est-ce un triomphe du cynisme littéraire et de son nombrilisme ? Est-ce encore un sentiment de finitude qui point avec les angoisses écologiques ? D'autres raisons peuvent être avancées. D'abord la réalité ressemble de plus en plus à une fiction. La seule existence des mobiles – prévus par la science-fiction – est déjà tout un univers. Qui aurait dit que ma tante Halima passerait par un satellite au dessus de la stratopshère pour demander à son fils Omar de rapporter du lait de chez l'épicier du coin ? A peine un an en arrière, elle hélait de sa fenêtre un hittiste de proximité pour qu'il aille chercher son rejeton. On ne se rend pas compte de ce que cela représente, tant ces innovations paraissent évidentes. Il y a ensuite l'accélération de l'histoire, générée par les technologies et la mondialisation et qui semble pousser vers leurs limites les capacités de prévision de l'esprit humain. Comment, par exemple, tant de brillants experts en prospective, ont-ils été incapables de prévoir la crise financière ? Certains prétendent l'avoir prédite sans qu'on veuille les écouter. Alors, peut-être qu'il existe de nouveaux Philip K. Dick rejetés par les multinationales de l'édition ? Ou encore les lecteurs du monde ne veulent plus penser à l'avenir. Tiens, que faites-vous la semaine prochaine ? Trop compliqué, n'est-ce pas ?