Les visites de veille de vacances n'ont jamais été, en diplomatie, ni des plus courtoises ni des plus efficientes. Celle, de quelques heures, que vient d'effectuer le chef du gouvernement espagnol José Luis Zapatero précédée de celle, fort peu fortuite, du ministre français des Affaires étrangères n'en constituent pas une exception. Elles ont même donné le sentiment d'une pression conjuguée de deux puissances régionales voisines sur un pays qui a fait du « retour sur la scène internationale » le credo de sa politique extérieure. Les socialistes espagnols revenus au pouvoir en partie grâce aux premiers effets des attentats de Madrid du 11 mars 2004 dernier sont confrontés à une nouvelle réalité maghrébine bien différente de celle laissée à leur défaite aux élections générales de mars 1996 : ils considéraient à cette époque-là Sant' Egidio comme unique et inéluctable alternative à la violence terroriste, le Maroc comme seul bouclier contre l'extension de l'intégrisme à l'Europe du Sud et la persistance du conflit du Sahara-Occidental comme un facteur déstabilisant pour la région et, par voie de conséquence, d'affaiblissement de l'allié marocain. L'évolution de la situation dans notre région a démenti ces prévisions énoncées, à l'époque il est vrai, sous l'influence conjuguée de l'Internationale socialiste, du lobby marocain et des analystes de la Rand Corporation. Alors on peut bien se poser la question sur la réalité de ce qu'il est convenu d'appeler une adaptation de la position espagnole essentiellement dictée par la doctrine des socialistes sur le Maghreb plutôt qu'un revirement sur la question sahraouie. En réalité, la conjoncture internationale a fondamentalement changé et n'a pas manqué d'affecter nos voisins. Primo : la menace terroriste n'est pas venue d'Algérie, mais du Maroc. A l'inverse de la gauche, la droite de José Maria Aznar avait clairement soutenu Zeroual dans l'effort de normalisation de la situation en Algérie et Bouteflika dans sa quête d'un statut d'Etat pivot dans la région sans introduire une quelconque conditionnalité interne ou en rapport avec la question sahraouie. Secundo : les attentats du 11 mars ont provoqué autant d'effets sur la société espagnole que ceux de septembre 2001 sur l'Amérique et s'imposent de ce fait comme un acte fondateur de la nouvelle politique de sécurité nationale et régionale, le terrorisme émergeant de nouveau comme le premier problème de l'Espagne et est perçu comme la première préoccupation par 76% des citoyens, selon le sérieux Centro de investigationes sociologicas (CIS). Tercio : considérant l'origine de la nouvelle menace et la provenance des auteurs des attentats du 11 mars 2004, le Maroc devient la source principale de préoccupation dans la recherche des garanties de sécurité nationale pour l'Espagne et la France. Il doit en conséquence être soutenu sur le plan économique et débarrassé de la gestion de la question sahraouie pour conforter l'autorité du Roi et réorienter son potentiel militaro-politique dans la prévention des nouveaux risques majeurs pour l'Europe du Sud : la menace terroriste et la drogue. Cette perspective stratégique recommande d'agir vite et explique en grande partie l'attitude de Zapatero qui a offert une chance inespérée aux conservateurs d'une droite longtemps complexée par leur responsabilité historique dans l'abandon du Sahara-Occidental de réagir promptement et fermement en défendant le plan Baker. En provoquant un débat, la droite ne se résigne pas à laisser le monopole du cœur à la gauche et exorcise les démons qui ont marqué toute une génération de militaires espagnols. Le Polisario, par ailleurs, très populaire en Espagne, où il compte notamment un soutien institutionnel de plus de 400 municipalités socialistes, s'offre une opportunité historique de compter dorénavant également avec la solidarité des forces politiques et sociales du Parti populaire. Il est évident que cette question claire dans le principe et complexe dans la gestion accompagnera toutes les initiatives visant à stabiliser notre région, mais son règlement au détriment des premiers concernés les Sahraouis porte les risques mêmes de la déstabilisation. La France compte sur une influence historique dans le Maghreb, défend à juste titre la primauté de la légalité internationale en Irak et dénonce avec courage les visées impériales des USA, mais serait mal avisée de reproduire ces paradoxes dans notre région. Pour sa part, l'Espagne subit par intermittence la tentation des nouveaux riches et prend des risques en s'engageant dans une affaire dans laquelle l'intransigeance réitérée d'officiels algériens est solidement portée par un consensus politique et social jamais démenti autour de la question sahraouie.