La visite de deux jours que vient d'effectuer en Algérie le ministre marocain de l'Intérieur, Mostafa Sahel, n'a pu assouvir les curiosités qu'elle a, du reste, peu suscitées. Le dégel entre les deux pays voisins est vraisemblablement en train de s'opérer, mais il manque de spontanéité, voire de sérieux. La vigilance a cédé le pas à la prudence, les deux hauts responsables s'étant gardé de faire la moindre déclaration malencontreuse publique. Au final, une franche intention de réunir un groupe de travail susceptible d'examiner les problèmes sécuritaires aux frontières terrestres et de veiller à éliminer le commerce illicite et l'immigration clandestine. M. Sahel, invité, hier, de M. Zerhouni à la Fête de la Police, a laissé entendre que les questions de fond relevaient du ressort exclusif du président Bouteflika et du roi Mohamed VI. Avant-hier, lors du Forum de la télévision, M. Abdelaziz Belkhadem avait tenu un discours similaire. Or, un sommet entre le chef de l'Etat et le souverain chérifien ressemble à la légende de l'armée des Tartares ; on en parle depuis 1999, mais il n'a jamais eu lieu. Il semblait parfois imminent, comme en février 2003, lors de la visite au Maroc du chef de la diplomatie algérienne. Reçu par Mohamed VI, celui-ci avait affirmé que le sommet “aura lieu dans plus d'un mois, mais dans moins d'un an”, et que le souverain lui a fait part de ses intentions de “rencontrer M. Bouteflika prochainement”. Depuis, Mohamed Benaïssa, homologue marocain de M. Belkhadem, est venu à deux reprises à Alger (juin 2003 et mai 2004) sans jamais rien régler de ces questions de fond. Auparavant, M. Zerhouni s'était rendu dans le royaume (en mars 2002), presque deux ans après la mémorable révolte de M. Ahmed Midaoui, ministre de l'Intérieur sous Youssoufi, à la résidence El-Mithaq (avril 2000). C'est dire si le dégel est encore fragile. Mostafa Sahel vient dans un contexte marqué par la résurgence provoquée —par Madrid et Paris— du dossier du Sahara Occidental. Il succède à Alger à trois ministres dont deux ont spécialement fait le déplacement pour les besoins du conflit. Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères, et Jose Luis Rodriguez Zapatero, Président du gouvernement espagnol, sont rentrés avec une fin de non-recevoir trop ferme pour être mal comprise. Demeure entre l'Algérie et le Maroc l'histoire inachevée d'une relation bilatérale réduite à sa plus simple expression. Les frontières terrestres demeurent toujours fermées, et la plaie de l'été 1994 se referme difficilement. Au mois d'août de cette année, le Maroc avait accusé les services secrets algériens d'être derrière les attentats terroristes de Marrakech, perpétrés un mois plus tôt, et ses autorités s'étaient aussitôt décidées à imposer un visa d'entrée aux ressortissants (Algériens). La réaction, de l'autre côté, a été aussi brutale que catégorique : réciprocité et fermeture des frontières terrestres. Au moment de la fermeture, le Maroc engrangeait chaque année environ 1,4 milliard de dollars de recettes provenant de sources diverses. En termes diplomatiques, et jusqu'à nouvelle donne, l'histoire inachevée de cette relation ne peut être qu'une forme atténuée d'un statu quo flagrant. La visite annoncée du Premier ministre marocain, Driss Jettou, à Alger, respectera juste un vœu de courtoisie. L. B.