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Aït Ahmed en sa terre éternelle
Publié dans El Watan le 31 - 12 - 2015

Village d'Ath Ahmed, commune d'Ath Yahia. Il souffle un vent glacial sur ce hameau de la Haute-Kabylie, situé à une douzaine de kilomètres de Aïn El Hammam et à une cinquantaine de la ville de Tizi Ouzou. Mais la chaleur humaine compense largement le froid ambiant. De fait, le village natal de Hocine Aït Ahmed connaît, depuis mercredi 23 décembre, date de la disparition de l'ancien chef de l'OS, une ferveur populaire exceptionnelle qui enveloppe d'emblée le visiteur, d'où qu'il vienne.
Un débordement d'affection qui vaut tous les manteaux. Nous sommes à J-2 des funérailles de Dda L'Hocine et les flux de population, entre citoyens anonymes et anciens compagnons de combat du défunt président du FFS, ne font que grossir, si bien que le paisible petit village entourant le mausolée de Cheikh Mohand Ou L'Hocine est en proie à des embouteillages dignes du centre-ville de Tizi Ouzou. Un poster géant de Si L'Hocine orne la façade d'un bâtiment attenant au m'qam accompagné de ces mots : «Repose en paix Da L'Hocine».
Tout le charisme de Hocine Aït Ahmed, son aura, son regard profond et tendre, son élégance naturelle sont résumés dans ce portrait. La même image nous accueillait dès l'entrée de Tizi, poster géant accroché à la façade de l'ancienne mairie devenue musée. Des posters de plus petit format, toujours à l'effigie de feu Si L'Hocine, scandent le trajet jusqu'à Ath Ahmed. Une iconographie qui revient un peu partout, aux devantures des cafés, des boutiques, des immeubles, des stèles commémoratives, à Mekla, à Ath Hicham, à Aïn El Hammam…
«L'Algérie orpheline de Da L'Hocine»
On les retrouve également sur les capots des voitures et les fourgons de transport collectif. Sur une artère de «Michelet», une large banderole, de couleur noire, est déployée entre deux immeubles avec ces mots : «L'Algérie orpheline de Dda L'Hocine». Si ces mots disent bien la tristesse qui accompagne inévitablement le deuil, force est de souligner que l'émotion toute légitime qui se lit sur les visages est extrêmement digne. A certains égards, le deuil, en l'espèce, a même des airs de fête citoyenne tant le village d'Ath Ahmed respire la vie et la jeunesse.
Même si le recueillement est de mise, la placette attenante au m'qam de Cheikh Mohand Ou L'Hocine s'est transformée en une magnifique agora où se mêlent, dans une atmosphère guillerette, des gens de tous horizons, de tous âges et de toutes conditions : des jeunes, des moins jeunes, des femmes, des vieux, des enfants, des militants aguerris, d'autres tout frais émoulus de l'école politique du FFS ou d'autres formations, des compagnons de lutte qui prennent spontanément la parole pour relater tel ou tel épisode du parcours trépidant de
Dda L'Hocine…
Des portraits de l'ancien chef de l'OS accrochés à un mur reproduisent, en outre, quelques moments forts de sa biographie hors normes. Une file s'est formée derrière une table pour laisser quelques mots sur un registre de condoléances. L'on se bouscule presque pour échanger une accolade fraternelle avec Boussaad, Tayeb, Rachid ou quelque autre membre de la famille du défunt. Des boissons chaudes et des rafraîchissements sont proposés aux visiteurs. Et l'on peut tranquillement prendre place sous un chapiteau sans que quiconque vous demande votre nom ou votre fonction.
C'est tout l'esprit des funérailles désirées par Aït Ahmed : dignes et sobres, des obsèques sous le signe de l'humilité, au plus près des gens. «Depuis le premier jour (après le décès d'Aït Ahmed, ndlr), ce sont des centaines et des centaines de personnes qui viennent présenter leurs condoléances, dans le calme», témoigne Boussaad Aït Ahmed, un proche de Dda L'Ho, particulièrement sollicité ces derniers jours.
«Il sera enterré dans la tombe de sa mère»
«Tout le monde lui rend hommage : les anciens du PPA, du MTLD, des Scouts musulmans, de 1954, du FFS… Il y a toutes les générations, ici. Et cela dure jusqu'à 2h. Ça n'arrête pas. Nous recevons tout le monde dans le calme et la sérénité, comme il l'a souhaité.» Boussaad revient sur le choix fait par Si L'Hocine de reposer en paix dans son village natal : «S'il a choisi d'être enterré au village, c'est précisément dans le but de permettre à tous les citoyens de se recueillir à sa mémoire.
Durant toute sa vie, il a été un homme simple. Il a toujours refusé le leadership. Il disait toujours : ‘Je suis un militant de la cause nationale, un militant du FFS et un militant des droits de l'homme.' Il n'a jamais voulu être un chef. Il a toujours rendu hommage au peuple algérien. Il disait : ‘Sans le soutien du peuple, la France ne serait jamais sortie.' Il n'était pas élitiste. Il a toujours été du côté des humbles.
C'est pour cela qu'il a voulu un enterrement simple, comme tout le monde.» Notre hôte précise, par ailleurs, que Hocine Aït Ahmed sera inhumé dans la tombe de sa mère, à côté du mausolée abritant Cheikh Mohand Ou L'Hocine. «En 1983, les autorités l'ont empêché de voir sa mère une dernière fois et c'est maintenant l'occasion pour lui de la rejoindre. Un jour, il nous a fait cette confidence : ‘Ourwighara ma famille' (je ne suis pas rassasié de l'affection des miens, ndlr)». Boussaad indique que l'enfant prodigue d'Ath Ahmed, malgré un agenda chargé, avait trouvé tout de même le temps de faire quelques retours-éclairs dans son village natal, notamment en 1990 et 1996. «Il faisait de petites virées intimes car il était très occupé, toujours en mouvement.»
«On reçoit tous les citoyens, sans protocole»
Concernant les derniers «réglages» organisationnels, tout est fin prêt pour accueillir la dépouille du président du FFS. Boussaad a tenu, à ce propos, à saluer la mobilisation des villageois qui se sont formidablement impliqués dans les préparatifs des funérailles. «Depuis qu'on a reçu la nouvelle de sa mort, on a commencé à se préparer. Et là, spontanément, les gens se sont proposés par centaines pour nous aider. Ils se sont constitués en comité, ils ont fait des listes et le FFS a chapeauté l'événement. Le parti s'est chargé de préparer des badges pour le service d'ordre, pour la presse, pour les gens qui vont intervenir sur les lieux, ici.» Notre interlocuteur souligne, dans la foulée, que c'est le parti qui prend en charge «le volet politique».
Boussaad Aït Ahmed a insisté sur le fait que tout s'est fait dans l'esprit des obsèques souhaitées par Si L'Hocine, c'est-à-dire dans la sobriété la plus totale. «Le testament de Si L'Hocine était d'organiser un enterrement simple, simple, simple, dans l'humilité. Et nous, notre rôle est de recevoir tous les citoyens, de toute l'Algérie, sans protocole. Toute personne qui veut venir est la bienvenue. Nous recevons tout le monde.» Boussaad explique que l'essentiel de la cérémonie funèbre se déroulera sur une plateforme qui domine le village, située à quelques encablures d'Ath Ahmed.
Les travaux se sont intensifiés ces derniers jours autour de cette plateforme, sise au lieudit Thissirth n'Cheikh (la meule du cheikh). Un gigantesque chapiteau a été monté pour accueillir la cérémonie de recueillement prévue demain. Le terrain a été diligemment bitumé. «Il a été transformé en un temps record en aérodrome», glisse un haut fonctionnaire. «Nous avons mis en place un circuit balisé par un cordon, et les gens vont défiler autour de sa dépouille pour un dernier hommage». détaille Boussaad Aït Ahmed avant de lancer ce message : «Je lance un appel à la population : s'il vous plaît, celui qui fait le recueillement est prié de repartir tout de suite après, autrement, nous allons être débordés.»
Appel à la sagesse
Boussaad Aït Ahmed exhorte également ceux qui feront le déplacement pour accompagner Si L'Hocine à sa dernière demeure à faire preuve de «sagesse» «et je sais que les gens sont sages. Qui va vouloir faire du mal à Si L'Hocine ? C'est le coeur même de son message». Boussaad Aït Ahmed a tenu à délivrer un dernier message à l'intention, cette fois, des nombreux adeptes des zaouïas qui ont coutume d'observer tous les jeudis soir des veillées spirituelles au m'qam de Cheikh Mohand Ou L'Hocine, sachant que nombre d'entre eux passent la nuit dans les dépendances du mausolée.
«Exceptionnellement, pour ce jeudi, nous demandons aux visiteurs du mausolée de s'abstenir de passer la nuit sur les lieux. Ce n'est nullement pour les rejeter. C'est juste que nous avons besoin de cet espace pour préparer l'enterrement. Nous comptons sur leur compréhension.» A noter enfin que «toute la cérémonie funèbre se déroulera à Thissirth n'Cheikh. Après, l'enterrement se déroulera dans l'intimité familiale».
Tayeb Seklaoui, autre proche du défunt du côté maternel, est au four et au moulin. D'une disponibilité à toute épreuve, il veille au grain avec sollicitude. Lui aussi salue la mobilisation citoyenne exceptionnelle qui aura permis à ce petit village de relever brillamment le défi d'organiser des funérailles de cette ampleur en l'honneur de Si L'Hocine.
«Pour l'instant, tout va très bien, conformément à son souhait. Son vœu sera exaucé», soupire notre ami. M. Seklaoui nous confie que les volontaires qui se sont proposés généreusement pour offrir leurs services sont originaires de plusieurs villages et même d'autres wilayas. «Certains sont venus même de Bouira», dit-il. Idem pour les travaux d'embellissement qui, outre les communes environnantes et la wilaya qui ont mobilisé de gros moyens, ont vu l'implication de nombreux entrepreneurs privés.
«Si L'Hocine fait partie de toute la famille Algérie. C'est un proche, certes, mais il était proche de tous les Algériens. Il appartient à toute la nation et à tout le Maghreb de façon générale» fait remarquer Tayeb Seklaoui, avant d'ajouter : «Il a toujours voulu être enterré parmi les siens avec simplicité, sans tambour ni trompette.»
Comment Aït Ahmed s'est évadé d'El Harrach
Et pendant que les différentes équipes techniques s'attellent à apporter les dernières retouches, des flots de visiteurs continuent à converger vers le hameau d'Ath Ahmed pour un dernier hommage à Si L'Hocine. Les témoignages sur la vie et l'œuvre du chef historique fusent de partout. Nous eûmes ainsi le plaisir d'écouter le récit truculent que nous a fait son oncle, Mohand-Saïd Aït Ahmed, 90 ans, un ancien de 1963, qui joua un rôle décisif dans son évasion de la prison d'El Harrach, le 1er mai 1966, après deux ans de détention.
Si Mohand-Saïd nous livre un témoignage saisissant sur cet épisode rocambolesque : «J'allais régulièrement lui rendre visite à la prison d'El Harrach. Et ce 1er mai 1966, je suis allé le voir accompagné d'une Anglaise qui avait soutenu la Révolution algérienne. C'était une journaliste, elle s'appelait Miss Pop. Comme il devait y avoir une importante réunion ce jour-là entre l'UGTA et le gouvernement, tout le monde était préoccupé par cette réunion. Même le directeur de la prison était réquisitionné pour cet événement.
On avait choisi cette journaliste car elle était grande de taille, comme Hocine. Avec la complicité d'un gardien acquis à notre cause, il a revêtu le vêtement kabyle que portait cette Anglaise. Il a également mis une perruque. Nous sommes sortis sans que personne ne s'en rende compte. Nous avons été hébergés pendant quelques jours dans un appartement, à El Biar, mis à notre disposition par un député qui s'appelait Bentoumi. Après un certain temps, ce même député nous a conduit chez son beau-frère, qui était poissonnier dans un petit port, près de Bordj El Kiffan.
Il a donné à Aït Ahmed une caisse de poissons pour le camoufler. Nous avons ensuite embarqué dans un bateau qui nous a conduit jusqu'à Marseille…» De là, Aït Ahmed a gagné Lausanne après avoir transité par Paris. Et le délicieux baroudeur de lancer en parlant de son neveu : «Il a milité toute sa vie pour la démocratie, pour la liberté d'expression et d'association. Il n'a jamais cherché à être président de la République !»


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