Près de 70% des parents n'ont pas vacciné leur(s) enfant(s) contre la grippe. La raison : plus de 26% s'y opposent. Ce sont les résultats d'une étude épidémiologique sur la vaccination réalisée en novembre et décembre derniers par le professeur Mostefa Khiati, chef du service pédiatrie à l'hôpital Belfort, et Abdelkader Tahar Sahraoui, médecin membre de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem). L'étude a aussi révélé que 77% des personnes interrogées estiment qu'il ne faut pas vacciner tous les enfants. C'est le cas de Nadia, une maman de 43 ans, contactée par El Watan Week-end. «J'ai deux enfants, un garçon de 16 ans et une fille de 11 ans. Je n'ai fait vacciner aucun des deux contre la grippe car je veux qu'ils développent seuls leur immunité.» Pour Souad, 34 ans, la raison est tout autre. Elle explique : «J'ai une fille de 7 ans. A chaque vaccination, elle fait une poussée de fièvre. Je ne veux pas lui ajouter un autre vaccin.» Si certains parents estiment qu'il est difficile d'ajouter au calendrier de vaccinations, déjà chargé, un vaccin contre la grippe, à renouveler chaque année – car le virus évolue – et que d'autres doutent de l'efficacité de la vaccination antigrippale, faut-il finalement vacciner tous les enfants contre la grippe ? «Oui, affirme le professeur Khiati, aussi président de la Forem. Il est établi aujourd'hui qu'il vaut mieux vacciner tous les enfants contre la grippe en raison des nombreux risques.» La grippe saisonnière peut en effet se compliquer. «Plus l'enfant est jeune, plus ces complications sont fréquentes et graves. On peut observer des pneumonies, dont certaines peuvent entraîner la mort de l'enfant», poursuit-il. C'est aussi la conclusion de l'étude menée par les deux médecins. Propagation D'abord, les enfants jouent un grand rôle dans la contamination de la grippe. Pour le pharmacien Ahmed Benfares, «la propagation de la maladie se fait beaucoup par les enfants compte tenu de la promiscuité en milieu scolaire». Ensuite, le virus reste hébergé pendant une longue période dans le rhinopharynx de l'enfant. «Généralement, le rhinopharynx constitue pour le virus un gîte idéal où il peut se multiplier rapidement passant de quelques germes à des milliards en quelques heures, ajoute Mostefa Khiati. De plus, le virus de la grippe se transmet par l'air à la faveur de la toux ou de l'éternuement. Il est inhalé et se loge tout de suite dans le rhinopharynx, il peut aller profondément dans le poumon.» Enfin, les titres viraux qui sont le nombre de copies d'un virus dans un volume de fluide dans le nasopharynx chez l'enfant sont beaucoup plus élevés que chez l'adulte. Le pédiatre Nadir Benlakhdar, quant à lui, déconseille la vaccination des enfants. Il affirme suivre les recommandations de l'OMS pour qui le vaccin contre la grippe est contre-indiqué avant 6 mois. «On pourrait penser que vacciner systématiquement tous les enfants participerait à diminuer la diffusion du virus dans les collectivités, mais la grippe saisonnière est une maladie bénigne qui ne dure que quelques jours, il est donc inutile de vacciner tout le monde.» Épidémie Qu'en est-il vraiment ? L'ONG a établi un classement des priorités de vaccination contre la grippe : les enfants âgés de 6 mois à 5 ans figurent à la seconde place derrière les femmes enceintes. «Comme nous pouvons le constater, la vaccination antigrippale chez l'enfant est recommandée par l'OMS parce que la grippe est très dangereuse – dix fois plus mortelle chez l'enfant que chez l'adulte», explique Ahmed Benfares. Il précise : «La grippe saisonnière est une infection virale aiguë qui se propage très rapidement d'une personne à une autre en réalisant ainsi des épidémies et la seule solution contre cette maladie reste la vaccination.» Cependant, «dans la pratique et en référence à la commercialisation du vaccin antigrippal dans les pharmacies, rares sont les prescriptions destinées aux enfants. Ils ne sont généralement pas vaccinés contre la grippe, sauf ceux qui sont porteurs d'affections rendant cette vaccination indispensable. Pourtant les enfants sont dix fois plus atteints que les adultes – en période d'épidémie, un enfant sur trois est atteint contre un adulte sur dix», affirme le pharmacien Benfares. Un avis partagé par Mostefa Khiati qui estime : «Dans la réalité, il y a très peu d'enfants qui ne doivent pas être vaccinés : ceux malades momentanément, ou qui présentent une maladie grave avec déficit de l'immunité.» Nourrissons Par ailleurs, le spécialiste explique : «Les enfants à risque, qui peuvent plus facilement attraper la grippe saisonnière et avoir des complications, sont d'abord les asthmatiques (dix fois plus que les enfants ‘‘normaux''), les enfants qui ont une cardiopathie (quatre fois plus), les prématurés (deux fois plus), les jeunes nourrissons, les moins de 2 ans (la grippe est plus grave chez les moins de 6 mois).» Mais concrètement, d'où proviennent ces vaccins ? «Les vaccins sont des médicaments préparés à partir de virus, de bactéries, tués ou vivants mais atténués, ou d'antigènes, qui peuvent procurer l'immunité sans donner la maladie. Une fois injectés dans l'organisme, ils font réagir le système immunitaire en lui faisant fabriquer des anticorps capables de se prémunir de la maladie contre laquelle s'est faite la vaccination», explique M. Benfares. Selon le professeur Khiati, «la vaccination est basée sur l'immunité. Lorsque l'on vaccine, cela veut dire que l'on amène l'enfant, à partir de sa propre immunité, à développer une immunité spécifique contre une maladie donnée. En l'absence d'immunité, on ne peut pas vacciner car on risque de tuer le malade». Ainsi, pour M. Benfares, «cette vaccination ne connaît aucune contre-indication si ce n'est l'allergie aux œufs, un asthme grave, une immunodépression grave, ou un syndrome de Guillain-Barré, une maladie autoimmune inflammatoire du système nerveux périphérique, apparue précédemment». Prévention Alors pourquoi autant de réticences quant à la vaccination des enfants contre la grippe ? Pour le professeur Khiati, «les personnes qui s'opposent à la vaccination se basent sur des arguments peu crédibles, car le contraire est toujours bien établi. L'Algérie, à titre d'exemple, a évité des centaines de milliers de décès et de handicaps chez les jeunes enfants grâce à la vaccination antipolio, anticoqueluche, antidiphtérie et antitétanos». Autre problème : la prévention. «Il y a certainement un manque d'information sur le sujet», admet le professeur Khiati. Selon lui, «la prévention est basée sur l'information et la sensibilisation. Il faut toujours informer, expliquer et convaincre pour obtenir de bons résultats. Lorsque certaines personnes accordent peu d'intérêt à la vaccination, cela veut dire qu'elles ont été mal informées. Et il faut mieux les informer et leur expliquer l'importance de se vacciner». Un avis partagé par Ahmed Benfares qui ajoute : «Si la campagne de vaccination connaît une certaine publicité pour les personnes âgées et celles à risque, il y a un déficit d'information sur l'utilité de cette vaccination chez l'enfant : aucun placard, aucune sensibilisation auprès des parents ni des soignants, aucune campagne officielle ne sont entreprises dans cette direction. De plus, nombreux sont les médecins qui préfèrent laisser les enfants ‘‘développer naturellement leur système immunitaire'', une idée relayée à tous les niveaux, y compris les parents.» Intérêt Finalement, «au vu de la gravité de la grippe chez l'enfant, particulièrement chez les moins de 2 ans, et au vu de son rôle dans la propagation de l'épidémie, la vaccination des enfants, à part ceux atteints de certaines affections, ne fait pas l'objet de recommandations particulières des pouvoirs sanitaires», conclut Ahmed Benfares. «Cette vaccination mérite un intérêt plus marqué pour toutes les complications qu'elle permettrait d'éviter. Dans cette démarche, tous les soignants, les pédiatres en particulier, les pharmaciens peuvent jouer un rôle important dans la sensibilisation des parents.»