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Comment le 8 mars a été vidé de sa substance
Publié dans El Watan le 10 - 03 - 2016

Les annonces des spectacles musicaux ou «déjeuners-gala» organisés à l'occasion de la Journée internationale des droits de la femme donnent la température : «C'est votre fête mesdames, sortez !»
Cette journée en est ainsi réduite à des clichés : nombre d'infographes n'ont pas lésiné sur le rose clinquant pour élaborer les affiches, les chebs ont été appelés à la rescousse pour rendre hommage comme il se doit, semblent-ils croire, aux femmes et les roses rouges ont envahi l'espace. On pourrait même la confondre avec la fête des mères voire la St valentin qui fait une entrée timide mais bien réelle dans le calendrier DZ ces dernières années. Les annonces d'événements sur les réseaux sociaux – inabordables pour la plupart des femmes algériennes – sont légion. Force est de constater que Cheb Yazid n'est plus seul sur la scène.
Lui qui compte arrêter les spectacles chantant les louanges de la femme, pour se mettre au service des enfants, peut désormais compter sur une pléthore de successeurs. De nombreuses boîtes d'événementiels ont surfé sur la vague de la «fête de la femme» pour consacrer un sacro-saint idéal féminin.
Plus que tout, le marketing se met de la partie. On y trouve, entre autres événements, un «déjeuner spectacle et thé dansant avec, en option, un tatouage oriental pour la modique somme de 4800 DA/personne, un tirage au sort pour gagner des places au défilé» de la Algiers fashion week, un massage asiatique traditionnel à 3800 DA au lieu de 4800 DA ou des spectacles musicaux de Houari Manar, cheba Sousou ou cheb Wahid.
Le chanteur Allaoua est aussi appelé à honorer les femmes au chapiteau du Hilton. La représentante de Triana Prod, l'agence qui organise l'événement se voit interrogée, lundi 7 mars, sur un plateau de Canal Algérie sur la raison pour laquelle ce spectacle est payant. «J'avoue, répond-elle, que je suis gênée par rapport à cette question, mais on va y penser à l'avenir.» Elle présente ainsi son projet : «C'est comme un 'ars' (une fête de mariage), il y aura des gâteaux, de la musique et pleines d'autres surprises.» Le mot est lâché. Cette notion de mariage on la retrouve aussi, en filigrane, dans beaucoup d'événements liés au 8 Mars.
Au Salon international de la femme EVE, il est aussi question de gâteaux de fête, de coiffure, de cosmétique, de bijoux, de tenues traditionnelles et de produits de beauté et d'hygiène corporelle. Bref : des trucs de «filles» dans ce que le mot a de plus péjoratif. Même la Société nationale des transports ferroviaires (SNTF) – de même que d'autres compagnies et entreprises en tout genre – s'en mêle, annonçant une «distribution de roses aux voyageuses dans les gares et à bord des trains». «La commémoration de la Journée internationale de la femme sera célébrée à travers une offre spécifique destinée aux femmes par une gratuité sur les voyages effectués ce jour, couvrant tous les trains de banlieue au niveau du réseau ferroviaire national», a indiqué la SNTF. Il y a certes de la bienveillance, mais aussi beaucoup de clichés.
Ce n'est pas faire honneur aux femmes que de leur offrir des chocolats enrobés de condescendance et de mépris.
Du côté des associations féminines proches du pouvoir en place, l'opération de dévoiement d'une journée de revendication de droits en fête a commencé depuis quelques années. Cette fois, l'Union nationale des femmes algériennes s'est contentée d'un «festival», à l'occasion de cette journée, louant les efforts du chef de l'Etat pour consacrer la parité hommes-femmes dans la Constitution avant de faire place à la danse et à la musique.
Sur les ondes de la Chaîne III, un présentateur semble ravi d'annoncer, pour ce samedi 12 mars au centre de la radio Aïssa Messaoudi, un tournoi de jeux vidéos réservé aux filles. Jusque-là, rien de déplaisant dans la mesure où il s'agit là d'un domaine généralement réservé à la gent masculine. Sauf que le tournoi est aussi l'occasion, pour les concepteurs du projet, d'organiser un «Cupcake gaming challenge», soit un concours de gâteaux ainsi qu'un atelier de maquillage. «Ben quoi, les femmes se maquillent, non ?», dit l'intervenant, s'essayant aux blagues de mauvais goût, avant de préciser qu'il s'agit en réalité d'un maquillage de Cosplay (destiné aux déguisements des fans de manga). Là aussi, l'intention de rendre hommage à la femme algérienne est sans doute louable.
Peut-être même que tous ceux qui participent à ce grand n'importe quoi ne se rendent pas compte du tort qu'ils causent à cette journée de revendication. Il faut sans doute rappeler que le 8 Mars n'est pas une «fête» mais la Journée internationale des droits de la femme. Les mots ont un sens et ce glissement sémantique n'est pas fortuit. La journée est aussi riche en récupération politique. Le vernis féministe que se donnent les responsables des partis politiques s'écaille dès que l'on prête une oreille attentive à quelques discours prononcés.
La secrétaire générale du Parti des travailleurs, Louisa Hanoune, a, elle, choisi de ne pas tenir d'activité publique, estimant qu'il était inutile de rajouter une couche à ce qu'elle considère comme une «perversion» qui touche une journée qui est celle de la «femme travailleuse». Fort heureusement, il est encore des voix pour rappeler que la lutte pour l'égalité des droits est encore longue.
Celles-ci, il faut le souligner, sont présentes tout au long de l'année. Portées par le réseau Wassyla, par NADA, le Ciddef, l'Observatoire de la violence contre les femmes et bien d'autres encore, on y parle de violences contre les femmes, de parité dans la Constitution algérienne, de l'égalité des chances, de la recomposition des rapports homme-femme dans la famille algérienne, de l'image des femmes véhiculée dans les médias. Parviendront-elles un jour à se faire entendre dans le brouhaha des youyous et de la zarnadjia ?


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