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Algérie : trois hypothèses budgétaires légères qui font de 2019 «hikaya jamila»
Publié dans El Watan le 31 - 10 - 2016

Il a cadré sa politique budgétaire sur les trois prochaines années. C'était là un des chantiers de la task-force auprès du Premier ministre. Réfléchir sur un terme multiannuel.
C'est donc fait. Et c'est un progrès. Seulement la trajectoire du solde budgétaire proposé sur la période 2017-2019 pose problème. Trop optimiste. Elle prévoit de passer à moins 1,9% de déficit budgétaire (rapporté au PIB) en 2019. Performance hypothétique. Pour illustrer la difficulté, petit retour au point de départ de la trajectoire. Le déficit budgétaire de 2016, révisé à la baisse, n'en est pas moins à 11,6% du PIB. Il s'agirait donc de le diviser par quasiment dix en trois ans. Pour y arriver, le gouvernement a pris le parti d'agir un peu sur les dépenses et beaucoup sur les recettes. Le gros du rabotage des dépenses est adossé à l'année 2017. 1,7% de baisse par rapport aux prévisions de clôture de 2016.
Plus rien ensuite. La trajectoire budgétaire triennale prévoit des dépenses inchangées en 2018 et en 2019, environ 6800 milliards de dinars par an. Comment donc le déficit budgétaire prévu encore à 6,7% en 2017 par le projet de loi de finances va-t-il fondre à moins de 2% ? Grâce à la croissance consistante ensuite rapide des recettes budgétaires : 5002,4 milliards de dinars en prévisions de clôture de 2016, 5 635,5 milliards de dinars en 2017, puis 5798,1 milliards de dinars en 2018, et enfin 6424,4 milliards de dinars en 2019.
Le cœur du discours lénifiant sur l'évolution de la conjoncture algérienne se niche là. Les recettes de l'Etat vont se redresser de manière spectaculaire. Pour atteindre environ 28% de hausse en fin de période (2019) rapportés à l'année de base, 2016. Il existe ici de sérieuses raisons de rester sceptiques. Non pas parce que «le rapport de présentation du projet de la loi de finances pour 2017 et prévisions 2018-2019», soumis aux parlementaires, ne dit pas comment ce bond de recettes va avoir lieu. Mais parce qu'il le dit.
Trois hypothèses de travail du gouvernement suggèrent une prévision de fonte très optimiste du déficit budgétaire en 2019. Elles sont toutes les trois légères. La première est liée au redressement de la fiscalité pétrolière. Le document du gouvernement table sur un prix du baril à 50 dollars en moyenne annuelle en 2017, puis à 55 dollars en 2018 et à 60 dollars en 2019.
En conséquence, la fiscalité pétrolière passerait de 1682 milliards de dinars en 2016 (révisée) à 2200,1 milliards de dinars en 2017, puis à 2359,7 milliards de dinars en 2018, pour atteindre 2643,6 milliards de dinars en 2019. La prévision sur le redressement des cours du pétrole en 2018 et 2019 est controversée chez de nombreux experts. Elle peut paraître réaliste dans les limites des 55 à 60 dollars. Ce que n'intègre pas la prévision algérienne c'est l'effet volume sur les revenus du gaz naturel. 2019 est, dans de nombreuses projections, l'année où la consommation domestique de gaz devrait passer devant les exportations si son rythme de croissance n'est pas sérieusement ralenti.
Or, ce qui peut ralentir ce rythme est toujours dans l'ornière : une rapide montée d'un modèle non énergétivore et une émergence tout aussi rapide de la génération électrique verte. Les recettes de la fiscalité pétrolière sont exagérées en 2018 et en 2019 si rien ne se passe sur ces deux fronts. Et le délai est trop court pour capter un effet palpable sur trois ans. La seconde hypothèse du gouvernement qui enjolive 2019 est tout aussi aléatoire. Il s'agit du décollage prévu des recettes fiscales ordinaires : 2722,6 milliards de dinars pour l'année de référence, 3505,8 milliards de dinars en 2019. Là aussi, un bond de l'ordre des 28% sur trois ans. Une partie de cette hausse des recettes devrait provenir de la hausse de la pression fiscale. Le relèvement de deux points du taux normal de la TVA, de même pour le taux réduit, en est une illustration. De nouvelles taxes sur les transactions entre particuliers et la hausse de celles existantes sur les carburants et les tabacs en particulier constituent l'armature de cette amélioration attendue des recettes fiscales de l'Etat.
Le PLF 2017 prévoit également un élargissement de l'assiette fiscale par l'encouragement à l'investissement. Et c'est là où la prévision balbutie. Les commandes publiques chutent de plus de 8% avec la réduction du budget d'équipement en 2017. C'est le principal indicateur sur l'évolution de l'activité dans le pays sur la période 2017-2019. Ce freinage de l'investissement public n'est pas compensé par une libération des activités. Le périmètre de l'investissement restant quasi constant, le risque est plus grand de voir l'assiette fiscale se tasser. Sa hausse de 28% en trois ans est, là aussi, une «prévision augmentée». La 3e hypothèse, qui rend jolie l'année 2019, n'est pas plus réaliste que les deux premières.
Il s'agit du contexte macro-financier de la croissance. Le document officiel prévoit une inflation à 4% soutenue notamment par une parité dinar-dollar inchangée à 108 dinars le dollar. Cette prévision ignore la monétisation du financement du déficit budgétaire à partir de 2017. Mécanisme déjà lancé en 2016 avec le refinancement par la Banque d'Algérie à la fois du Trésor public (avance) que des banques commerciales (réescompte). La trajectoire du solde budgétaire n'est pas du tout la même si l'inflation est proche des 10% en 2019, au lieu des 4% intégrés généreusement dans les prévisions 2017-2019.
L'histoire ne dit pas encore si le document proposé par le gouvernement correspond vraiment aux prévisions de la Task-Force auprès du premier ministre. Difficile de le croire tant il raconte une «hikaya Jamila» peu rigoureuse. Mais alors que va-t-il se passer si la trajectoire budgétaire sort de son orbite à la fin de l'année 2017 ? Le gouvernement s'est laissé une marge de manœuvre du côté des dépenses. Le seul versant à sa main. En 2017, une première baisse historique du budget de fonctionnement est proposée dans le projet de loi de finances. Plus rien ensuite. En fonction de l'évolution de la conjoncture, de la résistance sociale aux mesures impopulaires, l'exécutif avancera de nouveaux pions pour réduire les montants des transferts sociaux dans les catégories où ils se justifient le moins. C'est sans doute pour cela que sa prévision sur le front des dépenses n'est pas dynamique pour 2018 et 2019.
L'idée est toujours la même en territoire bouteflikien : ne rien anticiper qui puisse changer peut-être le climat social de court terme, et politique de moyen terme. Si au-delà de cet horizon, artificiellement maintenu lumineux, de 2019, il y a un avis de dépression, faute de gouvernance préventive, tous n'auront pas perdu. Le 4e mandat aura gagné d'aller jusqu'à la fin du bail. Cette prévision du gouvernement aussi est trop optimiste.


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