Dans les deux cas, les cadres en poste choisis sont invités à le rejoindre, et ceux qui se montrent réticents sont souvent placés dans le collimateur. Pourtant, ces cadres de la nation, sans défense, à la merci d'un coup de fil, font partie de l'ossature de l'administration dont l'impartialité est garantie par la Constitution. Est-il possible, dans ce cas, pour un membre d'un parti politique, devenu haut fonctionnaire, d'être neutre dans une campagne électorale, moment attendu par toute formation politique pour défendre son projet de société et élargir sa base sociale ? Comment peut-on expliquer que c'est l'administration qui, au vu et au su de tout le monde collecte, tous les cinq ans, des signatures de parrainage pour le candidat favori à la magistrature suprême ? A l'évidence, la règle de neutralité politique de la haute fonction publique continue d'être ignorée par ce brouillage de frontières entre l'administratif et le politique. Les exemples précédents le confirment et viennent s'ajouter à un autre procédé de dévoiement du processus électoral : l'intrusion de l'argent sale dans le choix des électeurs. Ces réalités rejaillissent à quelques mois des nouvelles élections législatives, et posent avec acuité la question de la représentation populaire. Celle-ci, érigée en pouvoir législatif, demeure encore dans les faits une simple fonction législative, selon les termes de la Constitution de 1976. Aucun indicateur, hormis les bonnes intentions annoncées en grande pompe, ne laisse penser à l'heure actuelle que la prochaine APN sera différente de la précédente. Bien au contraire. Les intérêts privés colonisent le monde politique, la confusion est de plus en plus grande entre l'exercice des charges publiques et le monde de «certaines» affaires, devenu l'allié objectif de ceux qui conçoivent le service de l'Etat comme une source d'enrichissement. Cependant, il y a lieu de se garder ici de faire l'amalgame avec des hommes et des femmes qui se sont construits et ont réussi par leur mérite, qui servent utilement et avec probité leur pays et forcent l'admiration, loin des honneurs de la cour. Ce sont ceux-là qui sont dignes d'accéder aux responsabilités au sein de l'Etat, car leur honnêteté leur interdira de faire de cette fonction, directement ou par personne interposée, un moyen de servir des intérêts privés. Toujours est-il que dans l'état actuel des choses, il est à craindre que la prochaine bataille électorale qui préfigure celle de la présidentielle de 2019 verra, sur fond de crise sociale d'étendue imprévisible — les prémices sont déjà là — les détenteurs de l'argent sale devenir plus actifs parce que suffisamment puissants pour être écoutés en haut lieu. Admettre une telle situation, c'est se rendre coupable d'une violation flagrante de le Constitution qui stipule que «le peuple choisit librement ses représentants», et que «toute personne est tenue de respecter la Constitution et de se conformer aux lois de la République». Un rappel : ceux qui ont profité de la crise des années 90', au moment où la lutte antiterroriste prenait le pas sur tout autre considération, ou ceux qui ont servi et servent encore de paravent aux hommes de «l'ombre» pour s'enrichir dans des conditions douteuses, vivent dans la hantise d'être contraints, tôt ou tard, de prouver la provenance de leur patrimoine constitué en un temps record, et de voir ce capital multinational s'évaporer dans des scandales de corruption. Un constat : ils cherchent des échappatoires pour ne pas être jetés en pâture quand leur compagnie deviendra encombrante. C'est ainsi que certains, constatant que le mandat électif est devenu, par une pratique malsaine, un bien monnayable, se glissent au Parlement en quête d'immunité, source de rente-éclair et d'impunité ; d'autres s'appliquent à placer leurs hommes de main. Une troisième catégorie multiplie les signes extérieurs de fausse religiosité, tout en restant irrigués par une sève nourricière pécheresse. Quelques-uns le font au grand jour, parfois avec arrogance, se vantant même, comme on se plaît à le souligner dans leur entourage, de nommer et de dégommer. Rien que pour cette attitude qui trahit une apparence de fausse sérénité, ils sont plus à plaindre qu'à blâmer. Le peuple le sait. Il le voit. Il en parle, mais heureusement qu'il est encore sensible aux paroles de ses vieux sages qui lui rappellent que pauvreté honnête vaut mieux que richesse mal acquise, et que, si longue que soit la nuit, le jour viendra sûrement. Eux aussi savent que le peuple le sait, mais ils misent trop sur le facteur temps, la lassitude de la société, la prescription ou sur un rapport de force présentement favorable. Les sbires des présidents Ben Ali, Moubarak et El Gueddafi, hier adorés et encensés, aujourd'hui maudits et pestiférés, en savent quelque chose depuis le renversement de leur maître respectif. Décidément, ou les leçons de l'histoire sont mal apprises, ou les limites de l'irréparable ont été franchies. Sont-ils atteints de cécité pour ne pas observer que la restructuration du DRS et le dernier changement à la direction du parti FLN indiquent que les lignes du pouvoir sont mouvantes ? C'est précisément pour cela que le citoyen, l'élite engagée, et d'une manière générale tous les hommes et les femmes qui ont en commun le souci du bien national, doivent résister, chacun dans son domaine, aux sirènes de la capitulation actionnées par les partisans du statu quo. Peu de gens contesteront le fait que le système politique a démontré par son déficit d'anticipation ses limites dans la canalisation et l'encadrement de l'évolution sociale. La preuve est que l'Etat de droit, axe permanent dans le discours officiel, n'est pas encore une réalité. C'est un objectif qui reste à atteindre. C'est une réalité qui nous interpelle tous, car elle permet de mieux comprendre nos difficultés de développement actuel. A ce titre, nous devons avoir le courage d'admettre que notre pays a vécu au-dessus de ses moyens depuis les années 70'. Durant des décennies et grâce à une aisance financière relative, le citoyen a bénéficié d'une politique sociale généreuse qui a amélioré son niveau de vie, mais qui, en même temps, a fait aussi de lui un éternel assisté, assuré du gîte et du couvert même sans travail. Aujourd'hui, il doit se rendre à l'évidence que l'ère de la rente pétrolière est révolue. Le FMI est à nos portes avec sa recette douloureuse pour le budget de millions de citoyens. Son retour probable consacrera l'échec d'une démarche. Le citoyen doit se retrousser les manches pour produire, et attendre en contrepartie une répartition plus juste des richesses. Sans le travail, point de croissance et point de bien-être. Il est honteux de voir nos rues envahies par la main-d'œuvre étrangère, alors que de jeunes Algériens par milliers chôment, parce que, exigeants en matière d'emploi. Aide-toi, le ciel t'aidera. Quant aux élites, toutes catégories confondues, il leur appartient de mériter leur légitimité en renouant avec le peuple pour préserver la chose publique, chasser l'indifférence, le scepticisme et le fatalisme. Comme le devoir d'abnégation dicte à tous ceux qui, au-dedans et au dehors des institutions nationales, assurant ou non des fonctions dirigeantes, ou accomplissant une mission de représentation populaire, et qui ont en commun le sens de l'Etat, de s'impliquer activement dans le champ politique. L'objectif étant d'imposer un nouveau mode de gouvernance par l'instauration d'une nouvelle manière de penser la politique et d'exercer le pouvoir. Se contenter, en privé ou dans les médias, d'affectionner des attitudes plaintives n'est pas suffisant. L'esprit nationaliste, et c'est le sens de l'engagement, gagnerait à remplacer l'esprit de parti ou de courtisanerie. La lutte contre l'inconsistance des institutions, pour le respect de la loi, le rétablissement de l'échelle des valeurs et l'assainissement de la vie politique est un devoir. Ce n'est certainement pas le cadre d'action qui manque face aux dizaines de formations politiques et aux milliers d'associations civiles qui occupent l'espace sociopolitique. Sans cette démarche qui est de nature à provoquer un sursaut, il ne peut rien s'élever de grand, car le mérite par l'argent ou le clientélisme prive le pays de toute élévation et pénalise ses compétences. Notre société mute et bouillonne. En difficulté, elle s'agite pour exprimer un besoin de changement incompressible et irrépressible dicté par son niveau d'évolution et les impératifs du renouvellement générationnel. Installée dans la méfiance à l'égard de ses propres institutions et nourrissant le sentiment d'être livrée à elle-même sans aucune visibilité, notre société risque à tout moment de basculer dans l'inconnu. Face à ce risque de naufrage collectif — et ce n'est pas de l'alarmisme — aucune issue ne sera alors exclue. Nous serons tous, à des degrés divers, responsables — pouvoir dans toutes ses composantes, acteurs politiques actifs ou à la retraite, acteurs économiques et sociaux privés et publics — d'avoir été incapables de réconcilier les Algériens et les Algériennes autour d'un projet national de renaissance semblable à celui du 1er Novembre. A chacun de méditer les voies et moyens pour transformer ce risque réel en opportunité. Qu'il le fasse en son âme et conscience, mais en ayant à l'esprit les conséquences d'un éventuel échec.