Il ne croyait ni au capitalisme ni au marxisme, militait pour l'«africanisme», devenu «panafricainisme», porté aujourd'hui par plusieurs voix. Le chanteur et compositeur nigérian, Fela Anikulapo Kuti, était convaincu que la musique pouvait aider à faire avancer les choses, rendre confiance aux gens, combattre la corruption et les dérives autoritaristes. Pendant deux heures, l'Américain Alex Gibney a suivi l'itinéraire étonnant de celui qui allait devenir un phénomène musical et l'ennemi public n°1 pour le régime militaire de Lagos dans les années 1970 et 1980. Finding Fela, projeté dimanche soir à la salle El Mougar, à Alger, à la faveur du 7e Festival international du cinéma d'Alger (FICA), est, sans do ute, le documentaire le plus complet sur la vie de l'artiste nigérian, resté pendant longtemps inconnu en dehors de l'Afrique. A partir de la comédie musicale Fela !, du chorégraphe américain Bill. T. Jones, présentée à Broadway en 2009, le documentaire a remonté le temps pour raconter l'existence fabuleuse de l'auteur de Opposite people. La caméra de Alex Gibney s'est attardée au début sur les prépartifs du spectacle Fela ! Bill.T. Jones expliquait sa démarche artistique, les raisons de son intérêt pour Fela. «C' était un artiste original. Il a créé un sytle qui n'existait pas. Il était fédérateur et visionnaire. Mais, en même temps, il était dangereux», a souligné le chorégraphe américain. Il demande à ses danseurs d'immiter les «pas d'oie», expression corporelle utilisée par Féla pour critiquer la démarche des militaires guidés par Olusegun Obasanjo. Les soldats étaient qualifiés de «zombies» pour leur obéissance aveugle aux ordres de répression. «Les militaires ont pris le pouvoir, les gens avaient peur. Mais, un type s'est mis à critiquer l'armée, c'était Fela!», a témoigné un musicien. Pour ses positions courageuses, Fela a été insulté, frappé, poignardé, mis en prison, torturé, violé… La mort de sa mère, Funmilayo Ransome Kuti, l'avait beaucoup marqué. Beaucoup d'intervenants ont expliqué que l'artiste tirait sa force morale et son engagement politique de sa mère, une nationaliste convaincue. Elle a été défenestrée par des militaires après l'attaque du domicile familial en février 1977. Fela, qui s'est marié avec ses 27 danseuses en 1979, vivait en communauté baptisée «République de Kalakuta». La polygamie était, pour lui, une tradition africaine. Fela, attaché à son origine Yoruba, militait pour «un gouvernement honnête et progressiste, irréprochable et compétent». « as de diplomatie, pas de compromis, pas d'accord», disait-il souvent. En 1979, il fondait Movement of people (MOP) avec l'idée de se porter candidat à la présidentielle. «Fela voulait me nommer ministre de l'Information dans son gouvernement», a confié le correspondant de New York à Lagos de l'époque. Au début des années 1980, le parti a été interdit et Fela incarcéré à deux reprises pour possession de cannabis et «exportation illégale de devises». Les chansons de Fela étaient marquées par leur longueur. Ses groupes, Africa 70, puis Egypt 80, étaient les plus illustres. Son batteur et directeur artistique, Tony Allen, a expliqué, dans le documentaire, les choix artistiques de Fela, qui était également un excellent saxophoniste et pianiste. «En Afrique, la musique ne doit pas divertir mais apporter le changement. La musique est une arme !», soutenait Fela. Alex Gibney a donné la parole aux enfants de Fela, Yeni, Seun et Femi, qui ont fait de petites révélations sur leur illustre père. Ils ont créé le Felabration Music Festival au niveau du New Afrika Shrine à Lagos. Le Shrine est la célèbre salle où Fela animait ses concerts. Des extraits du concert new-yorkais ont été montrés dans le film, recoupés avec les anciens tours de chant du maître de l'Afrobeat ,dont le mémorable spectacle au Berliner Jazztage à Berlin en 1978. «Je suis Fela, je fais la loi, je fais ce qui me plaît. Changeons le Nigeria», a lancé le chanteur qui «joue» le rôle de Fela dans la comédie musicale. Celui qui montait sur scène torse nu, les deux bras en l'air était pour le gouvernement «un dangereux révolutionnaire» . « Pour le monde, il était un musicien visionnaire», est-il souligné dans documentaire qu'a produit Jack Gulick. «Je porte la mort dans ma gibecière, donc je ne peux pas mourir. Il ne peuvent pas me tuer», confiait l'auteur de Beasts if no nation à ses amis.