Après un semblant d'ouverture de négociations avec les syndicats autonomes, le gouvernement a finalement opté pour la manière forte pour gérer le mouvement de contestation du corps enseignant. La répression tous azimuts a repris ses droits et redevient le seul et unique moyen d'arbitrer les conflits sociaux… Oui. Il y a seulement une dizaine de jours, le gouvernement donnait encore les signes de vouloir négocier, maintenant, il est dans une phase répressive. La finalité étant bien sûr d'intimider, de faire peur à tout le mouvement syndical autonome. Un mouvement qui porte d'une manière extraordinaire des revendications socioprofessionnelles des plus légitimes. Certaines d'entre elles, la question des salaires, du statut, des indemnités par exemple, sont posées depuis plus de deux décennies. Il faut rappeler à ce titre les engagements de l'Etat algérien, signataire de toutes les conventions et lois du travail, les conventions de l'Organisation internationale du travail et du Bureau international du travail. Le gouvernement est tenu au respect, à la fois du pluralisme syndical, des libertés syndicales et du droit de grève. C'est important. Dans le secteur de l'éducation, au-delà des revendications sur les salaires et autres, des syndicats autonomes comme le Cnapest et l'Unpef posent en réalité des questions stratégiques, éminemment démocratiques. C'est le cas pour ce qui est de la gestion des œuvres sociales. Il n'y a aucune raison pour que ce soit le même syndicat qui gère les œuvres sociales, alors que cela devrait concerner l'ensemble des enseignants. Ce sont les travailleurs de l'éducation qui doivent trouver la formule la plus démocratique pour le gérer, car il s'agit avant tout de leur l'argent, les cotisations des 600 000 travailleurs de l'éducation nationale. Les revendications en rapport avec la médecine du travail, le départ à la retraite après 25 ans de service ne sont pas un hasard par les syndicats autonomes. L'enseignement est un métier extrêmement pénible et il est considéré comme tel dans le monde entier. En Algérie, il l'est encore davantage eu égard à la faiblesse des moyens, la surcharge des classes, etc. Ce sont ainsi des questions stratégiques qui sont posées, qui engagent à la fois le bien-être des élèves, des enseignants, de tout le secteur éducatif. Le gouvernement aurait dû répondre d'une manière positive à ces revendications. Le ministre de l'Education nationale a tout fait pour dresser l'opinion publique contre le mouvement des enseignants. Boubekeur Benbouzid a menacé de dissoudre les syndicats grévistes, de radier des effectifs de la Fonction publique les enseignants en grève, de procéder au remplacement de 50 000 enseignants, etc. Le recours à de telles méthodes vous inspire quoi ? Du point de vue pédagogique, le remplacement d'un enseignant au milieu du cursus scolaire relève de l'aberration. C'est la rupture du rythme pédagogique, plus grave, du contrat pédagogique entre les élèves – surtout ceux en classe d'examen – et leur enseignant. Rompre ce contrat, c'est aller vers un échec annoncé. L'expérience de 2003 (grève des enseignants) nous a appris l'inanité de ce procédé. Les élèves avaient refusé à l'époque le remplacement de leurs professeurs. En place et lieu du remplacement des enseignants, le gouvernement ferait mieux de créer de nouveaux postes pour alléger la charge de travail, car il y va de la réussite du système éducatif, un système qui structure toute la société ; il y va de l'avenir de 8 millions d'élèves. La nouvelle posture du gouvernement traduit en réalité plus une panique et un désarroi qu'une attitude rationnelle dans le processus de règlement des conflits sociaux. Cela étant, il n'est jamais trop tard pour ouvrir des négociations avec les syndicats autonomes. Si on veut éviter à l'Algérie d'autres fractures sociales Les enseignants se disent « humiliés » par les procédés utilisés par le ministre de l'Education pour casser la grève… C'est un sentiment que je comprends. On ne répond pas par la menace à des revendications aussi légitimes, dans un secteur aussi stratégique que l'éducation nationale. On ne règle pas les conflits sociaux par la répression, avec des procédés d'un autre âge. La méthode du gouvernement est inopérante et ne fait qu'élargir le fossé entre les enseignants, leurs syndicats et les pouvoirs publics. Ce n'est dans l'intérêt de personne si les enseignants reprenaient le travail sous la menace. Il faut toutefois rappeler que les libertés syndicales et pluralisme syndical, le droit de grève sont garantis par la Constitution. Ils sont consacrés aussi dans toutes les conventions internationales ratifiées et signées par l'Algérie depuis 1962. Il est inconcevable que les syndicats autonomes assistent, sans rien faire, à la remise en cause de ces acquis. Le cas échéant, cela voudrait dire qu'on rentre dans une nouvelle donne où la paix sociale serait mise en danger. Le gouvernement a eu recours à la justice pour mettre un terme à la grève. La saisine de la justice est des plus systématisées pour faire avorter des mouvements sociaux. En réalité, cela ne date pas d'aujourd'hui. Avant de saisir la justice, les voies réglementaires doivent d'abord être épuisées, je pense notamment aux dispositifs de la loi 90-02 qui réglemente les relations de travail. Ce recours systématique à la justice ne prend pas en compte le droit de grève qui, lui, est garanti par la loi 90-02 qui, elle, prévoit un chapelet de mécanismes pour régler un conflit social : négociation, conciliation, arbitrage…