Les notables de ce qui était à l'époque une petite ville sans grande importance demandèrent la paix et concédèrent les îles du Penon, dans la baie d'Alger. Craignant de subir le sort de Grenade, Alger se tourna vers les frères Barberousse, des corsaires ottomans qui venaient de s'implanter à Jijel, qui réussirent à repousser une attaque espagnole importante visant à prendre pied sur la terre ferme en 1519. Ayant offert la suzeraineté de son petit royaume au Grand Seigneur, le plus célèbre des frères, Khayr al Din Barbarossa, repoussa une attaque espagnole menée par Charles Quint en 1531 – la flotte espagnole alignait 516 bateaux. Cette défaite contraignit les Espagnols à se retirer de la côte nord-africaine à l'est d'Oran et propulsa une petite ville sans importance au rang de cité invincible, d'où les raïs mèneraient des attaques audacieuses dans toute la Méditerranée et jusqu'aux côtes du sud-ouest de l'Angleterre, de l'Irlande et de l'Islande pendant un siècle. L'histoire offrit ainsi un premier modèle de comment les Européens regarderaient l'Algérie –un nid de guêpes, un monde fantasque et sexualisé du pouvoir corsaire– exotique, violent et dramatique à souhait. Dans une étude toute en nuances et qui s'inscrit dans le temps long cher à l'historien Fernand Braudel, James McDougall explique comment la course devint, dès le milieu du XVIIe siècle, une source de revenus et d'esclaves moins importante pour la Régence d'Alger que les garanties offertes par les traités conclus avec d'autres Etats européens qui acceptèrent de payer un tribut annuel à la Régence et commercer avec ses marchands. Dès le XVIIIe siècle, les revenus tirés de l'agriculture devinrent une source de revenus plus importants que la course, l'Algérie devenant un exportateur régulier de blé pour l'Europe. En 1798, les troupes de Napoléon Bonaparte furent nourries avec du blé algérien lors de la conquête de l'Italie. L'image, la réputation d'Alger comme Dar Al Jihad, le bastion de la guerre, continua néanmoins à symboliser le régime et son idéologie, un attachement à ses originaires que n'aurait pas renié Malte à l'âge d'or des pirates. Ce qui n'empêchait guère un commerce florissant avec la plupart des pays européens. Ce serait aussi faire injure à l'histoire que de considérer la Régence ottomane comme une fondation de l'Etat moderne algérien, ce que l'enseignement de l'histoire officielle tend à faire depuis 1'indépendance en 1962. L'Algérie ottomane était un pays essentiellement rural, structurée autour de la ville et de grandes tribus éparpillées sur un vaste territoire dont les frontières étaient poreuses. Les divisions sociales et le statut des citadins et des villes variaient considérablement dans une société qui pratiquait plusieurs langues, plusieurs religions et où le mérite jouait son rôle dans l'avancement. Les quelques milliers de janissaires ne tenaient pas la société algérienne sous leur coupe et peu de choses distinguaient les juifs des musulmans, juifs qui n'étaient, sauf exception, pas cantonnés dans des quartiers spéciaux et dont la langue, les coutumes et professions différaient peu de celles de la plupart des musulmans. L'approche anthropologique de l'auteur et son intérêt pour la méthodologie historique réduisent à néant d'autres stéréotypes qui empoisonnent une analyse sérieuse d'une société que le général de Gaulle réduisit à une poussière d'hommes, désagrégée et anarchique, refusant tout lien social ou institutionnel et prostrée devant les ravages du colonialisme et la déprédation d'un état autoritaire après l'indépendance. Mc Dougall décrit avec beaucoup de finesse un jeu complexe de forces sociales dans une société robuste et résiliente. A History of Algeria décrit cinq siècles d'histoire de l'Algérie dans une langue élégante, précise. L'auteur n'a pas hésité à donner au peuple algérien le rôle central dans cette vasque fresque. L'Algérie n'offre dans son esprit ni une matrice de la colonisation française, ou de naissance de l'antisémitisme moderne (les émeutes anti-juives de l'époque de l'affaire Dreyfus furent très graves), ni un modèle de tiers-mondisme style Frantz Fanon. Ceux qui prédisent un effondrement du pays quand le président Abdelaziz Bouteflika disparaîtra en auront pour leur compte. Son récit fait fi des clichés, souvent éculés, qui président à tant d'analyses de l'histoire de ce pays. Les conceptions essentialistes de l'histoire, ici comme ailleurs, qu'elles soient d'inspiration religieuse, raciale ou économique, obscurcissent toujours la complexité des jeux politiques, économiques et culturels de cinq siècles d'histoire. Les attaques du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis ont encouragé un regard stéréotypé sur les sociétés musulmanes et l'islam, mais James McDougall évite d'avoir un regard sur l'histoire qui relève à son sens du mythe. La «renaissance nationale», «la loi du marché et la démocratie», la «république islamique» sont des clichés très en vogue d'après de nombreux journalistes et universitaires mais n'expliquent rien, au contraire. Les derniers chapitres sont consacrés aux réformes politiques et économiques hardies de 1988-92, qui résultèrent de la remise en cause de la légitimité de ceux qui avaient dirigé l'Algérie depuis 1962. Ils offrent sans doute la meilleure analyse à ce jour des immenses défis intérieurs et extérieurs qu'affrontèrent les réformateurs et qu'ils ne purent mener à bien, par manque de temps. La violence n'est pas inhérente à la société algérienne, insiste McDougall, une thèse qui surprend nombre d'étrangers qui voient encore la Régence comme un nid de vulgaires pirates. Le premier Printemps arabe sombra, après 1992, dans une guerre civile violente. Si de nombreux journalistes et universitaires avaient pris la peine de revisiter l'histoire récente de l'Algérie, ils auraient peut être fait preuve de moins de naïveté quant au résultat probable des révoltes arabes de 2011.