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La mauvaise santé de Bouteflika tient le pays en otage
Publié dans El Watan le 02 - 10 - 2017

Nous reproduisons des contradictions qui avaient autrefois miné le mouvement national animé souvent par une dynamique des rapports de force entre ses différents acteurs. C'est ainsi que le coup de force contre le GPRA au lendemain de l'indépendance, les coups d'Etat de 1965 et 1967, les douloureux événements d'Octobre 1988, la dramatique crise politique et sécuritaire de 1992 à 1997 et la réintroduction de la présidence à vie dans la Constitution de 2008 constituent des étapes fondatrices de la pensée politique dominante aujourd'hui.
De Zeroual ,homme d'état par excellence, à Bouteflika, homme de pouvoir par nature
Notre situation est une conséquence directe et prévisible de la présidence à vie, même s'il faut reconnaître que très peu d'entre nous avaient alerté contre cette dérive totalitaire qui avait mis le pays à contre-courant de l'histoire du monde. Au printemps de 1996, le président Liamine Zeroual avait soumis à une large consultation politique un avant-projet de Constitution introduisant un mandat unique de 7 ans, avant de se joindre sans enthousiasme à un consensus autour d'un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois.
En effet, quand on observe le parcours historique du pays, on aboutit après identification des causes de ses crises politiques, économiques et sécuritaires à la conclusion que la présidence à vie est un facteur d'instabilité car il rompt l'équilibre des pouvoirs nécessaires à une bonne gouvernance au profit du pouvoir exécutif, transforme la justice en levier du pouvoir politique, anesthésie les contre-pouvoirs comme l'opposition, la presse et la société civile et installe la corruption et l'impunité sous toutes leurs formes et à tous les niveaux .
C'est pour toutes ces raisons que Zeroual, homme d'Etat par excellence, avait introduit pour la première fois dans l'histoire de notre pays et celle du monde arabe la limitation des mandats et que Bouteflika, homme de pouvoir par nature, dépassé par l'accélération et l'ampleur des mutations économiques et sociales de ce monde nouveau en formation, l'a réinstallée et mis ainsi en place les ingrédients de la crise actuelle.
Les présidents Saddam, Moubarak, El Gueddafi, et Ben Ali notamment, sont des manifestations violentes de la présidence à vie et de la transmission héréditaire du pouvoir. Cette dernière n'est pas, fort heureusement, inscrite dans la culture historique des algériens et sa récurrente et fantaisiste évocation n'a pour autre objectif que de consolider le conseil de famille, sécuriser le cercle présidentiel et fidéliser des courtisans aux convictions flottantes.
Il n'y a pas de pouvoir sans santé ni de cohésion nationale sans président actif
La santé des dirigeants a toujours suscité, à travers le monde, de légitimes préoccupations chez la population, les institutions et les parties étrangères. La santé déclinante depuis 2007 de notre chef de l'Etat — il n'y a pas de pouvoir sans santé dit-on — a provoqué une rupture dans la chaîne de commandement et une dilution des responsabilités dont les manifestations quasi quotidiennes relèvent pour beaucoup de l'irrationnel, souvent de l'illégal et parfois, hélas, du burlesque.
Le Président ne «s'adresse (pas) directement à la nation» depuis le 8 mai 2012, réduisant la vie politique aux échéances électorales sans surprise ni enjeux majeurs, à la rumeur et à l'absence de cette visibilité qui fait la force des Etats et donne de l'espoir aux peuples. L'absence à ce niveau de responsabilité participe à l'effritement de la cohésion nationale, qui reste pourtant la mission cardinale du chef de d'Etat qui «incarne l'Etat dans le pays et à l'étranger».
En principe, il «arrête et conduit la politique extérieure de la nation» ; dans la réalité, il ne reçoit plus ses pairs et ne voyage plus, devenant paradoxalement le premier responsable direct de la sous-représentation diplomatique de l'Algérie et le maillon faible de notre action diplomatique au lieu d'en être l'inspirateur et le moteur.
Ainsi, et uniquement à titre d'exemple, près de 70 ambassadeurs attendent sans espoir la présentation de leurs lettres de créance que l'on ne peut réduire au cérémonial qui les caractérise. Elles sont un acte majeur dans la tradition diplomatique internationale qui considère depuis 10 siècles que leur non-présentation — une singularité algérienne — est une attitude discourtoise, voire inamicale entre Etats. Les prédécesseurs de notre président, de Ferhat Abbès à Liamine Zeroual, recevaient tous les ambassadeurs à leur arrivée et à leur départ.
Nous pouvons alors légitimement nous interroger sur les raisons de cet état de fait. A-t-il encore la capacité physique et mentale pour le faire ? A-t-on bien fait de ne pas lui infliger un agenda international considérant son incapacité à ne pas réunir plus de 2 ou 3 Conseils des ministres, alors qu'il y a quarante ans Boumediène en réunissait 52 chaque année ?
Notre Président a-t-il manqué de dignité en se comportant de la sorte ? On peut raisonnablement le penser quand on voit que sa mauvaise santé, outre qu'elle tient le pays en otage, donne de lui-même une image qui n'est pas à la mesure de son parcours. Ses proches ont-ils également manqué de considération pour leur aîné au point d'exposer publiquement ses fragilités à la seule fin de continuer à exercer le pouvoir réel par délégation familiale ou par défaut pour les autres cercles du pouvoir ?
Le grand Bourguiba n'a pas non plus délivré une image à la hauteur de la dimension du personnage alors que Ronald Reagan, Margaret Thatcher et Helmut Kohl, une fois malades, ont été soustraits à la vue compatissante des uns, revancharde ou médisante des autres pour préserver leur dignité et diffuser l'image de chefs d'Etat dignes devant les vicissitudes de la vie et animés du souci d'être, même dans l'adversité, l' incarnation d' Etats forts. C'est ainsi que se forge la grandeur des nations et c'est à ce prix que l'on préserve sa verticalité, que l'on prend de la hauteur, que l'on sert son pays par l'exemplarité.
Cette situation inédite par son ampleur et sa durée a produit une confusion des rôles et a conduit à l'implication du commandement de l'armée dans le débat politique, au risque de le replacer dans la situation de la crise de 1992 et de l' éloigner de ses missions constitutionnelles.
Pour préserver son unité et le consensus autour d'elle, l'armée gagnerait à s'éloigner du débat politique public
La géopolitique de notre pays-continent détermine en grande partie la stratégie de la pensée militaire algérienne. Il n'est pas raisonnable de la figer au seul socle doctrinal issu de la guerre de Libération, quand bien même le pouvoir politique actuel en tirerait l'essentiel de sa légitimité. Notre armée est contrainte d'accroître ses capacités opérationnelles globales et de s'adapter aux nouvelles menaces infra-étatiques et aux guerres irrégulières en accélérant le processus de modernisation, de professionnalisation et de rajeunissement de son commandement.
Les armées du monde développé s'emploient de façon continue au raffermissement du lien avec le peuple, car c'est le dépositaire exclusif de la souveraineté nationale. La consolidation de ce lien passe notamment par la non-implication de notre armée dans le débat politique public, ce qui ne l'exclut pas évidemment de la participation à l'élaboration et à la prise des décisions stratégiques comme partout ailleurs dans le monde. La réserve dans le débat public n'est pas exclusive et couvre également les interrogations légitimes des algériens sur la capacité intrinsèque du président de la République à prendre des décisions qui engagent l'avenir de la nation entière.
Dans des conditions exceptionnelles et quand la conjoncture l'exige, l'armée peut valablement favoriser le consensus politique. Elle peut naturellement accompagner ce processus dans la limite de ses missions constitutionnelles, sans s'autoriser à se substituer aux forces politiques ou s'installer comme modérateur du débat politique au seul motif — non déclaré — que le chef suprême des forces armées n'a plus la capacité de le faire.
A ce titre, l' armée ne peut durablement être instrumentalisée politiquement aux fins de la présenter comme le premier bouclier du président Bouteflika contre les ambitions politiques de ses adversaires ou les oppositions à sa politique sans prendre le risque de donner l'impression de faire peur à son peuple au lieu de le sécuriser, comme ce fut le cas lors de la présidentielle de 2014.
C'est au président de la République d'assurer ses prérogatives, d'assumer pleinement ses responsabilités en la matière et de mettre son armée à l'abri de la politique et des politiciens. A défaut, il ne sera pas aisé de préserver l'unité du commandement et la discipline des troupes — comme lors de la présidentielle de 2004 qui a vu l'éclatement de l'unité de son commandement qui faisait sa force dans la gestion des crises les plus délicates. De même qu'il y a un risque avéré de fracture d'un consensus national en formation continue en matière de défense nationale et de politique étrangère.
Enfin, si l'armée semble être aujourd'hui au centre du pouvoir, elle ne l'exerce pas réellement car il est savamment dilué entre une bureaucratie d'Etat corrompue , principal facteur de résistance aux réformes et les forces de l'argent informel et leur forte et flagrante collusion avec les différents centres de décision. De même que l'on ne peut négliger le pouvoir des influences étrangères, chaque fois plus sophistiquées qui minent la cohésion nationale en raison de nos multiples vulnérabilités et représentent une menace réelle contre la stabilité et l'ordre.
Notre pays est fortement marqué par un populisme autoritaire sans fin, adossé à une économie fortement tributaire de facteurs exogènes comme les cours du pétrole ou encore la pluviométrie qui a favorisé un marché qui produit de la richesse privée et la misère publique selon la formule de Galbraith.
Le président Bouteflika ne porte pas seul la responsabilité de l'impasse politique et l'incertitude du lendemain, qui a fini par inquiéter les algériens sur leur avenir et celui du pays. Ils ne sont pas dupes du chantage sécuritaire exercé aujourd'hui par ceux-là mêmes qui avaient déserté et qui aujourd'hui font le commerce sordide de l'épouvantail de la violence terroriste pour voiler l'état de déliquescence dans lequel ils laissent un pays qu'ils habitent mais qui ne les habite pas pour bon nombre d'entre eux.
Nous donnons enfin à la communauté internationale l'image d'un pays décalé de la réalité mondiale, régi par une sorte de «sultanisme» populiste, archaïque et débridé dans lequel s'identifient les esprits les plus rétrogrades de la société en invoquant injustement la réalité sociale nationale.
Cette situation a produit chez la jeunesse algérienne une perte de l'estime de soi qui a touché à sa fierté, a affaibli son sentiment d'appartenance à son pays et l'a conduit à envisager son avenir dans une perspective de destin personnel, prenant ainsi exemple sur une bonne partie de nos dirigeants et de nos élites politiques et économiques. Et c'est là que réside le plus grand mal qui est fait à l'Algérie.


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