Ce livre est un dossier d'information et de réflexion destiné à ceux et à celles qui s'intéressent aux droits de l'Homme, un sujet qui renvoie à la question cruciale du système politique, du pouvoir, de la qualité des rapports entre gouvernants et gouvernés, et de l'organisation des institutions de l'Etat. Il mérite d'être lu et médité aussi bien par les spécialistes chevronnés que par les amateurs, les jeunes et les moins jeunes. Il véhicule l'humanisme, qui est la marque active des capacités morales, intellectuelles et scientifiques de l'Homme, afin de le maintenir dans sa dignité, sa fierté, sa liberté et ses droits. Le respect de la personne repose sur l'Etat de droit qui s'oppose aux droits de l'Etat. C'est par le droit et dans le droit que la liberté politique constitue le complément et la garantie de la liberté civile. La notion des droits de l'Homme s'est élaborée au fil des siècles pour émerger, d'abord en Angleterre et se consolider au siècle des Lumières. 1776 : Déclaration d'indépendance des Etats-Unis d'Amérique. 1789 : Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen en France. Elle prend sa forme définitive par la Déclaration universelle des droits de l'Homme adoptée le 10 décembre 1948 par l'assemblée générale des Nations unies. L'organisation actuelle des droits de l'Homme repose sur un triptyque : la Déclaration universelle des droits de l'Homme qui est un monument historique, les deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques, et aux droits économiques et socioculturels, les mécanismes juridiques de protection et de réalisation des droits de l'Homme. Ces droits sont construits sur les principes de liberté, d'égalité, de justice, de dignité, de tolérance et de non-discrimination. Ils constituent une grande cause qui mérite d'agir, de parler, d'écrire pour elle afin de mettre fin à l'arbitraire, l'intolérance, les atteintes à la liberté d'expression qui est la première des libertés parce qu'elle conditionne toutes les autres. Les droits de l'Homme sont un contre-pouvoir, ce qui signifie qu'ils sont toujours face à l'Etat, mais jamais dans l'Etat, afin que chacun et chacune ait le droit d'exprimer ses idées et les défendre. Ils ont valeur universelle, sont inscrits dans la Constitution mais ils ne s'incarnent pas dans la réalité quotidienne, où ils sont constamment bafoués, violés. L'Etat algérien est prompt à dénoncer les violations des droits de l'Homme commisses chez les autres, mais il qualifie d'intervention inadmissible dans ses affaires les accusations dont il est l'objet à cet égard. Le combat pour les droits de l'Homme est au-dessus de toute idéologie et de tous clivages politiques. La réprobation des Nations unies est unanime : l'Algérie ne respecte pas les droits de l'Homme, les viole et pratique l'injustice avec continuité. Le droit international est entré dans un nouvel âge avec les droits de l'Homme. Il faut distinguer trois «âges» du droit international : «le droit de la force» le plus primitif marqué par l'usage de la contrainte et de la menace, de la force armée, de représailles ; «le droit de la réciprocité» fondé sur l'équilibre des intérêts croisés (le «donnant-donnant») ; « le droit à la coopération» qui traduit la prise en compte d'intérêts communs de tous les Etats d'un patrimoine commun de l'humanité. Pour l'égalité hommes/femmes Dans un pays où la séparation des genres — masculin, féminin — imprègne l'ordre social, il y a refus de faire passer dans les mœurs le principe et la pratique de l'égalité entre l'homme et la femme ; cette dernière est la moitié de l'homme en matière d'héritage et de témoignage. La femme n'est pas contente de son sort et n'est pas résignée à le subir. Le fait majeur de notre société est la volonté des femmes d'être les égales des hommes dans tous les domaines de la vie. Cette volonté s'exprime surtout à propos des problèmes auxquels elles sont confrontées : maîtrise de leur destin afin de ne pas subir leur vie mais la prendre en charge, l'égalité dans le couple et la société, l'égalité dans le travail, la maîtrise de la fécondité. Le traitement que la société réserve aux femmes est la révélation du degré de culture atteint par cette société. La société algérienne est en mutation avec une évolution lente et difficile qui tient compte des valeurs féminines, des qualités des femmes, de leur affirmation, de leur identité, de leur dignité, de leur accès, de par leurs talents et leurs compétences, non seulement à la parole, mais à occuper en nombre leur place, leur juste place à laquelle elles ont droit dans la vie politique, économique, sociale et culturelle. La femme est souvent le cerveau du couple ; elle a les clefs de la maison et prend en main les intérêts de la famille. Comment sortir du dilemme, l'alignement de l'Algérie sur les normes féministes égalitaires et le caractère irréversible de ses obligations internationales ? Le sénateur Bechar Hosni Saïdi (RND) a (dans Le Soir d'Algérie du 28 mars 2016) qualifié de conséquences néfastes la mise en œuvre par l'Algérie d'articles de la Convention internationale de lutte contre toute forme de discrimination à l'égard des femmes, ratifiée par l'Algérie en 1996. Réponse de Mohamed Aïssa, ministre des Affaires religieuses : «L'Algérie reste attachée aux réserves qu'elle a formulées au sujet des articles qui sont contraires aux préceptes de la religion musulmane et à l'identité nationale, notamment les dispositions de la Constitution liées à l'égalité des sexes face au mariage, le mariage avec l'approbation du tuteur ou autre. Cette convention est non conforme à la chari'a.» La Tunisie a levé les réserves sur cette convention. Les droits de la femme ne seront pleinement reconnus que dans la démocratie et l'Etat de droit. Freiner la dérive totalitaire Un pouvoir qui se personnalise et se centralise à l'excès demeure inefficace non seulement dans le domaine des libertés et des droits de l'Homme réduits à leur plus simple expression, mais aussi dans celui de l'économie, du social et du culturel, où tous les indicateurs sont au rouge. Il est dominé par deux grands maux : le tribalisme politique et la corruption qui a gangrené toute la société pour devenir un scandale qui ne scandalise plus. Un Président qui dispose de pouvoirs démesurés, confinant à la monarchie où tout dépend de lui et de lui seul, n'est pas au service de l'Algérie ; c'est l'Algérie qui est à son service. Les dirigeants de la haute sphère du pouvoir doivent méditer ce qu'a dit Neil Kenneth : «Je suis prêt à mourir pour mon pays, mais pas à faire mourir mon pays pour moi.» L'Algérie a besoin d'un Président qui se sacrifie pour elle mais qui ne la sacrifie pas pour lui. Il n'y a pas séparation des pouvoirs mais confusion des pouvoirs, c'est-à-dire dictature. Il faut redéfinir le rôle du Parlement, son fonctionnement, ses rapports avec le gouvernement, son pouvoir de contrôle et de contestation, afin qu'il ne soit plus maintenu dans le rôle de chambre d'enregistrement, une majorité d'inconditionnels. Le pouvoir n'a pas résisté à la tentative, si fréquente de l'histoire nationale, d'assujettir la justice. Il y a glissement du droit, déficience et bien plus, démission de la justice. L'impunité et la loi du silence sont la règle de la hiérarchie judiciaire. Après un long pouvoir absolu, le chef de l'Etat refuse de céder un pouvoir qu'il ne peut plus exercer et qu'il délègue à sa garde rapprochée qui agit en son nom. Le pouvoir glisse de ses mains qui ne peuvent plus le retenir et le garder vers sa fratrie, ses clans qui parlent en son nom pour pérenniser un pouvoir qui leur permet d'accaparer les richesses du pays. Le Conseil des ministres, qui dure trois à quinze minutes, ne sert qu'à présenter le Président au public pour l'assurer qu'il est bien vivant. Les décisions importantes sont prises par les «visiteurs du soir» qui se rendent à la présidence pour diriger le pays, en leur qualité de centre de décision. Edgar Faure, homme d'Etat français, disait : «Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent.» Jamais l'échec du pouvoir n'a été aussi évident ; jamais l'aspiration au changement n'a été aussi profonde pour mettre fin à un pouvoir totalitaire, dominateur, centralisateur, et le remplacer par la démocratie, qui repose sur trois piliers : démocratie politique, efficacité économique et justice sociale qui assurent la stabilité politique. L'idéologie qui s'efforce d'expliquer et de légitimer le refus de la démocratie et de ses règles du jeu trouve son expression la plus achevée dans la dérive totalitaire qui régente le peuple, considéré comme mineur, immature et placé sous la haute surveillance des services de sécurité. Lever la tutelle sur le peuple La tutelle sur le peuple est révolue ; il est souverain et doit reprendre le pouvoir qui lui a été confisqué par des élections massivement truquées ; il doit décider librement de son destin, de ses options politiques, économiques, sociales et culturelles. L'histoire a enseigné que face à la dictature, confisquant la politique, le social et le culturel, surtout l'éducation, une seule réponse pour la faire reculer d'abord, et l'éliminer ensuite : dénoncer les moyens qu'elle utilise, la force brutale du DRS, de la police, de la gendarmerie contre le peuple, pour le conduire à l'apathie, à la résignation et au fatalisme. Prêcher la non-violence dans un pays qui la pratique, parler de justice, de liberté, d'Etat de droit, de liberté d'expression, de conscience dans un pays de dictature, dénoncer les services de renseignement qui pratiquent systématiquement et scientifiquement la torture, qui est un crime contre l'humanité, les exécutions sommaires, les disparitions forcées, c'est prouver l'ampleur de la tragédie vécue par le peuple algérien dans la décennie noire 1990. L'Algérie où sévit le pouvoir personnel et le culte de la personnalité est l'égale de la Corée du Nord sur le plan politique, du Venezuela sur le plan économique, et des pays d'Afrique les moins développés sur le plan des libertés. Les libertés publiques, ce sont des élections non truquées, alors que la fraude a explosé durant le règne de Bouteflika ; c'est la liberté d'expression, la liberté d'association et de réunion ; c'est le respect de la liberté de conscience, défendues avec une force de conviction. La connaissance approfondie du pays réel autorise à dire que la situation est grave et dangereuse, que le blocage de la vie nationale, qui résulte de la vacance du pouvoir et de l'absence du chef de l'Etat de la scène nationale et internationale, mène à toutes les dérives. Le temps est venu de mettre fin au système politique, de changer de pouvoir qui a mené au statu quo et à l'immobilisme. La pensée unique a engendré l'homme providentiel, l'esprit césariste qui a altéré et aliéné les libertés. L'enjeu est l'existence de l'Algérie comme espace de démocratie, de cohésion nationale et sociale, de liberté, de justice. La situation de millions de familles qui vivent dans une insécurité économique va se détériorer par le recours à la planche à billets suivie de l'inflation à deux chiffres qui est le cancer du peuple. L'opposition nationale qui a conscience de représenter la grande majorité des Algériens se concrétise par : les partis politiques de l'opposition qui doivent se fédérer, la société civile dans sa diversité, les syndicats autonomes, la jeunesse qui incarne la volonté d'action, les femmes marginalisées, qui doivent prendre la place à laquelle elles ont droit dans la société, leur juste place qui est l'égale de celle des hommes, les régions qui luttent pour la régionalisation et non le régionalisme, les intellectuels, chercheurs, politologues, historiens, les journalistes qui s'expriment et font des analyses. Cette opposition doit construire un front commun pour se placer en position de force face au pouvoir. Les Algériennes et les Algériens, toutes tendances confondues, dont la détermination commune est d'instaurer la démocratie afin de vivre dans la dignité, la liberté, les droits de l'Homme doivent agir ensemble pour ne pas être accusés un jour, et sûrement par l'histoire, de non-assistance à nation en danger. Quand la force des idées s'imposera, le changement démocratique suivra. Les idées qui honorent la liberté, la justice, sont comme les clous : plus on les frappe, plus elles s'enfoncent ! L'armée appartient au peuple et ne peut s'identifier à un pouvoir. Le devoir et l'honneur des militaires est de servir la nation. Le pouvoir au peuple, l'armée à la nation, l'Algérie à tous les Algériens. Le pouvoir ne cesse de cacher la vérité au peuple dans tous les domaines. Pour Abraham Lincoln, «on peut tromper une partie du peuple tout le temps, on peut tromper tout le peuple quelque temps, mais on ne peut tromper tout le peuple tout le temps.» Les deux clés du système d'éducation se nomment démocratisation et modernisation. L'université se cherche ; elle doit repenser ses méthodes et sa finalité. L'histoire, qui est un lieu de mémoire collective, explique que les habitants de ce pays sont des Amazighs, hommes libres qui ont découvert le judaïsme, le christianisme et l'islam à travers les occupations étrangères. Le retour à l'histoire qu'il faut gérer avec efficacité permet de revenir à la culture et à la langue berbères, à l'esprit de résistance de Massinissa, Jugurtha, Kahina, Fadhma N'Soumeur… L'avenir du peuple ne peut se construire sur la négation de son histoire, de toute son histoire, qui n'est pas seulement un souvenir, une consolation, une fierté, mais une lumière qui illumine l'avenir. Entamer une transition démocratique L'Algérie doit entamer un processus de transition démocratique pour se donner un horizon politique. C'est devant la crise de mutation de la société que le problème de la démocratie, qui est un gisement en friche, se posera avec acuité. Le mot essentiel est : Ensemble ! Car, c'est ensemble qu'on peut faire basculer l'opinion publique et ouvrir un espace politique avec la volonté et la capacité d'agir pour construire une république fondée sur une démocratie juridique. En consacrant le régime du droit et de l'Etat de droit, cette démocratie apporterait la stabilité et la crédibilité dont l'Algérie a besoin pour relever les défis auxquels elle est confrontée. La culture et la connaissance sont, avec la liberté et la justice, le fondement de la démocratie qui est la priorité de tout renouveau politique. Trois conditions sont nécessaires pour instaurer une démocratie : des élections libres avec l'alternance au pouvoir, des pouvoirs séparés et équilibrés, le respect des libertés. L'alternance repose sur quatre piliers : la démocratie politique, l'efficacité économique, la justice sociale et la diversité culturelle. Il faut construire un pouvoir proche des femmes et des hommes et sensible à leurs problèmes quotidiens, un pouvoir directement soumis à leur contrôle et à leur jugement. L'avenir réside dans la construction d'une Algérie démocratique. L'Algérie est éternelle ; elle vivra et établira une démocratie avec son corollaire : des élections libres et crédibles pour restituer au peuple sa souveraineté, son pouvoir de choisir ses élus, et aux Algériens leur citoyenneté.