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A United Kingdom : Quand l'amour ébranle les fondations d'un empire
Publié dans El Watan le 15 - 12 - 2017

La cinéaste et scénariste britannique Amma Asante lui a consacré un long métrage biographique au titre quelque peu provocateur : A United Kingdom (Un royaume uni), primé au 8e Festival international du cinéma d'Alger (FICA), qui s'est déroulé du 1er au 8 décembre 2017. Contrairement à ce que peut suggérer le titre, le film, inspiré d'une histoire vraie, ne s'intéresse pas au pays dont la capitale est Londres, mais au passé colonial d'un certain Empire britannique en Afrique, qui avait usé de tous les stratagèmes pour maintenir sa domination et imposer ses lois.
En 1947, deux ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, Serestse Khama (David Oyelowo) de la tribu des Bangwatho est promis à être futur roi de Bechuanaland, qui deviendra, le 30 septembre 1966, le Botswana, en Afrique australe. Il poursuit des études de droit à Londres, lorsqu'il rencontre, au cours d'une soirée, Ruth Williams (Rosamund Pike), une belle blonde londonienne. «Papa le détestera d'office. Il est plus intelligent que lui et il est noir», avertit la sœur de Ruth.
Raciste refoulé, le père de Ruth, riche commerçant, refuse catégoriquement la relation de sa fille avec un Noir africain. Indiscutable pour lui, voire intolérable. «C'est avec cet homme que je veux passer le reste de ma vie», explose Ruth. C'est le début d'une course d'obstacles. Serestse confie à Ruth qu'il doit revenir en Afrique. «J'ai réfléchi aux nombreuses responsabilités qui m'attendent, mais je sais très bien que je ne pourrais réaliser quoi que ce soit si je laisse mon cœur ici à Londres», lui dit-il.
Les deux amants décident alors d'organiser leur mariage avant de s'envoler pour le Bechuanaland, alors sous protectorat britannique, à des milliers de kilomètres de Londres. Un matin, Ruth reçoit sur son lieu de travail Alistair Canning (Jack Davenport), ministre représentant de la Grande-Bretagne en Afrique du Sud, qui lui demande froidement de renoncer au projet de mariage avec un futur roi africain. «Si vous décidez d'épouser le dirigeant d'une nation africaine, vous serez responsable de la chute de l'Empire britannique en Afrique. Vous devriez avoir honte de vous», la prévient-il condescendant.

Affaire d'état
Ruth se rend alors compte que son amour pour un homme de couleur est une affaire d'Etat qui a des implications diplomatiques. Londres, qui a poussé indirectement à l'instauration du régime d'apartheid en Afrique du Sud, craint qu'un mariage entre un futur souverain africain avec une Anglaise ouvre des brèches et ouvre les yeux sur un système basé sur l'asservissement, l'exploitation des richesses et la ségrégation raciale. Londres ne veut pas que ses relations politiques et surtout économiques avec l'Afrique du Sud soient brouillées par «les affaires du cœur» d'un petit roi africain qui ne connaît pas le racisme et qui défie tout le monde pour son amour.
«Tu vas voir comment réagit un Empire», menace Alistair Canning. Tshekedi Khama (Vusi Kunene), oncle de Serestse Khama et régent du royaume de Bechuanaland, accueille sèchement le couple. «Cela fait plus de 20 ans qu'on te prépare pour que tu deviennes roi et tu oses revenir comme ça avec une femme blanche à tes côtés», lance le régent à la face du futur roi.
Parallèlement, Ruth se fait savonner par Naledi Khama (Terry Pheto), petit sœur de Serestse, qui lui reproche de venir tout bousculer au sein de la famille. «Même les Blancs ne veulent pas de toi», lui lance-t-elle. Que faire face à tant d'hostilités ? Les familles, le gouvernement, la diplomatie, le régent sont tous contre l'union d'un homme noir avec une femme blanche. Cela bouscule l'ordre établi, remet en cause les traditions et menace les intérêts. Mais, il ne faut jamais sous-estimer la puissance de l'amour !

Le génie du peuple
C'est là que Serestse fait montre, la réalisatrice avec, de tout son génie. Le futur roi découvre que Londres a donné autorisation à une firme américaine pour l'exploration du sous-sol du Bechuanaland à la recherche de pierres précieuses. Il passe alors à la vitesse supérieure. En homme politique, il met en avant l'idée que les richesses doivent revenir au peuple, sans oublier qu'il reste attaché à sa femme. «Il semblerait que vous ne souhaitiez plus que je m'acquitte de mon devoir de vous servir comme roi parce que vous n'aimez pas la couleur de peau de la femme que j'ai choisie.
J'aime mon peuple, j'aime cette terre mais j'aime aussi ma femme», déclare-t-il dans un discours. Un discours franc qui plaît au peuple. Londres décide alors de mettre en exil de force Serestse en Grande-Bretagne, après l'avoir convaincu de revenir pour une affaire le concernant. Durant la campagne électorale de 1951, Winston Churchill, alors chef de l'opposition conservatrice, fait la promesse publique de permettre à Serestse de retourner dans son pays et de retrouver sa famille. Une fois élu, Churchill, souvent présenté comme un grand homme d'Etat, trahit sa promesse et fait pire : il décide un bannissement à vie pour Serestse. Ruth lance un appel à travers les médias.
C'est le scandale. Amma Asante et son scénariste Guy Hibbert (connu surtout pour l'écriture du scénario du film irlandais Five minutes of heaven d'Oliver Hirscbiegel) ont pris soin de bien détailler ce point, cette trahison de Churchill et le comportement abusif du gouvernement britannique par rapport à un homme dont le seul tort était de s'être marié à une femme blanche.
C'était également un prétexte tout trouvé pour Londres afin d'empêcher que Serestse évoque l'indépendance du pays et l'exploitation future des richesses par l'Etat débarrassé du protectorat de la Couronne. C'était presque un sacrilège à une époque où l'économie britannique, au sortir de la grande guerre, connaissait beaucoup de difficultés et risquait l'effondrement. L'enjeu était donc important. Mais, la machine de l'histoire était déjà lancée…
Bien mené, le film tire sa puissance de l'interprétation parfaite de David Oyelowo et de Rosamund Pike, tous deux venus de la belle école du théâtre. Les deux comédiens ont eu des rôles dans une cinquantaine de films et téléfilms. Les décors et les costumes ont admirablement restitué les époques de l'histoire. Même si le scénario est quelque peu prévisible, la cinéaste est arrivée à nous faire oublier que son film est un drame romantique, qui possède cette autre force de dénoncer clairement le système colonial et l'archaïsme qui a permis à ce système de s'asseoir sur la poitrine de l'Afrique pour l'étouffer pendant plus de 100 ans. A United Kingdom est un film à voir et à revoir. Il est l'exemple parfait de ce que peut être la petite histoire dans la grande et de ce que peut être le croisement d'un destin individuel avec celui d'une nation.


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