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Les docus du FICA
Entre pupitre et strapontin !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 09 - 12 - 2017

La sélection documentaire de cette 8e édition du Festival international du film engagé d'Alger est pour le moins inégale. On passe en une journée du regard singulier du cinématographe à la fâcheuse manie informative du pédagogue. Cependant même que le commissariat du FICA a affirmé, comme chaque année, que l'attention portée aux thèmes des films n'a jamais supplanté l'importance capitale de leur forme.
Du Sénégal à la Palestine en passant par la France, trois documentaires abordent le parcours de personnages fascinants et intenses qui, de par leurs engagements et leurs idées, ont su marquer leur époque.
Cheikh Anta Diop, Marc Garanger ou Jean Genet font partie de ces hommes qui ont emprunté des chemins de traverse et laissé leur empreinte sur les mémoires individuelles et collectives. Lundi dernier, le réalisateur Ousmane William Mbaye a présenté son documentaire Kemtiyu Cheik Anta Diop qui revient sur la vie exceptionnelle du philosophe, chimiste, linguiste et égyptologue sénégalais, pionnier d'une nouvelle vision de l'histoire des civilisations dont la carrière a très vite pris une tournure militante dans le sillage du post-colonialisme. Avançant des thèses jusqu'à présent controversées, Anta Diop s'est illustré notamment dans ses travaux d'égyptologue où il affirme que les anciens Egyptiens étaient des Africains noirs et que le wolof (langue majoritaire au Sénégal) est phonétiquement similaire à la langue de l'Egypte antique.
Les contestations et autres désaveux exprimés par ce qu'on appelle la communauté scientifique n'ont fait alors que le conforter dans sa démarche, martelant, à la manière fanonnienne, qu'il est temps pour les Africains de se libérer de l'autorité morale et du plébiscite des Blancs. Personnage fascinant et passionnant, Cheik Anta se retrouvera néanmoins enfermé dans un documentaire qui égrène les informations sur son travail et enchaîne les interviews avec ses amis et collègues, dans une forme didactique d'une étroitesse suffocante. Il s'agit là du premier documentaire consacré à une personnalité méconnue du grand public et cette vocation mémorielle semble délester le réalisateur de toute préoccupation cinématographique à telle enseigne que le film n'apporte rien de plus, en tant qu'œuvre visuelle, qu'une biographie ou un colloque sur Cheik Anta.
On retrouvera le même souci exclusif de l'information dans Jean Genet, le captif amoureux de Michèle Collery, un documentaire qui revient sur la réconciliation avec l'écriture du poète et dramaturge français après vingt ans de silence, suite à la découverte des massacres de Sabra et Shatila.
Constitué de témoignages et d'images d'archives et ponctué par des lectures d'extraits du dernier livre de Genet Un captif amoureux, le film relate les engagements politiques et littéraires de l'écrivain auprès des Black Panthers et des Révolutionnaires palestiniens.
On aura (re)découvert la beauté du texte et la sensualité quasi-érotique dans laquelle il faisait vivre ces combattants sublimes en n'oubliant jamais, cependant, la cause politique qui les animait. On aura également réussi à se laisser porter par de rares images qui ont su faire revivre ces moments intenses partagés entre combattant-e-s idéalistes et écrivain écorché. Mais l'essentiel de ces 75 minutes n'était autre qu'une longue et monotone succession d'interviews expliquant et décortiquant contexte et personnages.
Enfin, la salle El-Mougar renoue avec sa vocation d'espace cinématographique avec le film Vivre avec son œil de Naïs Van Laer. Un portrait sensible et dépouillé du photographe français Marc Garanger, personnalité encore controversée en Algérie en raison de ses 2 000 photos de femmes algériennes parquées dans les camps de regroupement de l'armée française pendant la guerre de Libération. Ces portraits sont connus ici et ailleurs comme une empreinte indélébile de ce que fut la colonisation française mais si Garanger les considère comme un témoignage cinglant sur les horreurs commises par les Français en Algérie, d'autres y voient un «viol symbolique» contre des femmes qu'on a forcées à se faire photographier et à enlever leur voile.
Filmé dans sa maison de campagne, entourée d'une forêt dense et peuplée par des photographies réalisées ici et dans les goulags de Sibérie, Marc Garanger sera scruté par la caméra de Naïs Van Laer qui, dans une plastique à la fois intimiste et rugueuse, réussit à rendre les silences de son personnage aussi percutants que ses propos. Soutenue par une bande-son lancinante, la mise en scène nous maintient dans une atmosphère hors du temps contrastant, voire jurant, avec le poids factuel des photos de Marc. Avec un regard algérien, on est au mieux intrigué par l'homme et son rapport complexe à la photo, au pire révolté par ce que l'on considérera comme un acte de complicité colonialiste et d'exploitation indécente d'un drame humain. Or, Garanger explique cette partie ombrageuse et incomprise de la démarche d'un photographe : l'intention, et la sienne était, raconte-t-il, de piéger son chef hiérarchique en lui faisant croire à un travail banal de fichage d'identités et en dévoilant, par la suite, des images dénonçant le colonialisme.
Cette duplicité de la photo est au cœur du film et Garanger dira que chacun y voit ce qu'il a dans la tête, résumant ainsi la réception souvent contradictoire, parfois injuste de l'œuvre. Naïs Van Laer gardera une distance pudique tout en mettant en relief tout ce qu'il y a d'indicible et de complexe dans l'esprit et la parole du photographe, ermite, abîmé, hanté par tous ces personnages qui, tout en faisant partie d'une Histoire douloureuse, peuplent également ses cauchemars et sa solitude.
A united kingdom projeté au FICA
Violons, mouchoirs et bons sentiments
Le public nombreux venu assister lundi soir à la projection de A United Kingdom d'Amma Asante l'a salué par une longue standing-ovation. Ce bio-pic franco-britannique a, en effet, séduit et ému les spectateurs du 8e Festival international du film engagé qui découvraient l'histoire passionnante du roi botswanais Seretse Khama et de son épouse anglaise Ruth Williams.
Nous sommes en 1947, le futur roi du Bechuaanaland (actuel Botswana), alors sous protectorat britannique, vient de finir son éducation à Londres et s'apprête à retourner dans son pays quand il rencontre la jeune et belle secrétaire de bureau Ruth Williams. Follement amoureux, le couple se mariera malgré les pressions familiales et politiques car l'union d'un Noir, qui plus est monarque, avec une Blanche, contrariait non seulement la tribu de Seretse mais aussi les alliances stratégiques entre la Grande-Bretagne et l'Afrique du Sud raciste, pays voisin du Botswana.
Le duo d'acteurs David Oyelowo et Rosamund Pike s'investiront à corps perdu dans leurs personnages et sauront susciter l'émotion et passionner le public pour cette histoire à la fois romantique et politique où l'on prend la mesure de l'absurdité d'un système racial inhumain, mais aussi du rôle avant-gardiste d'un dirigeant africain dans le combat contre la ségrégation.
Des moments forts rythmeront la narration de A United Kingdom, à l'instar des efforts de Ruth pour se faire accepter par la tribu de son époux ; la guerre politique qu'elle mène à ses côtés pour à la fois sauver leur union et abolir les lois raciales imposées par les Anglais ; la vie simple et dépouillée de ce village africain dont les habitants, pacifistes et dépolitisés, finiront par constituer une réelle force politique ; et surtout, l'abandon audacieux par le roi lui-même de la monarchie au profit du suffrage universel... Amma Asante déterre un chapitre lumineux de l'histoire africaine et la filme avec conviction et engagement tout en mettant en relief son aspect intemporel. Mais le film pèche justement par son manque d'ambition formelle tant la réalisatrice n'a rien d'autre à offrir que la beauté intrinsèque de son histoire, certes portée par une interprétation bouleversante des deux acteurs principaux, mais figée dans une mise en scène sans audace et sans parti pris. Cela crée un flagrant déséquilibre entre la force du propos et la mièvrerie de la forme : les violons gémissent à longueur de bobine, la photo fait office de cosmétique, les dialogues sont scolaires et la réalisation impersonnelle.
Le film est fait pour plaire et s'attirer la sympathie du plus grand nombre car l'intention est belle, voire indiscutable, et c'est cela qui constitue paradoxalement la faiblesse principale de A United Kingdom : la paresse artistique et l'étroitesse étouffante du cadre ne laissent que très peu de place à un réel échange entre public et personnages, ceux-ci se sanctuarisant peu à peu dans un scénario sans aspérité.
Tous les ingrédients du film consensuel y sont réunis et rien ne dépassera de ce cocon douillet où la réalisatrice enferme le spectateur, lui donnant de l'émotion à volonté mais le privant de ce quelque chose d'essentiel au cinéma : la création !
A souligner que pour ceux qui l'ont raté, le film sera distribué prochainement par l'Office national de la culture et de l'information qui prévoit un cycle de projections à la salle El-Mouggar.


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