Les millions de touristes algériens se rendant chaque année par route en Tunisie ne s'y arrêtent que pour effectuer quelques emplettes ou faire le plein de carburant (moins cher que dans le pays voisin), et n'ignorent pas, du moins pour certains, l'histoire de cette ville et de sa région, ses richesses naturelles et son patrimoine archéologique antique et contemporain qui lui ont valu son inscription sur la liste de la Convention Ramsar des zones humides d'importance internationale, et comme réserve de la biosphère inscrite à l'Unesco. Les Algériens, qui ne font pas escale à El Kala pour découvrir ses lacs, ses forêts, ses plages et ses sites archéologiques, doivent-ils être blâmés ? Bien sûr que non. Aucun effort n'a été consenti par les autorités en charge du tourisme pour offrir un minimum de conditions de séjour (hébergement, restauration, loisirs, etc.) à nos compatriotes ou aux touristes étrangers. L'unique hôtel de standing, conçu par l'architecte Pouillon dans les années 70', à savoir El Mordjane, est fermé depuis une dizaine d'années. Les rares infrastructures hôtelières, telles que les pensions de famille, construites par des promoteurs privés, ou les appartements loués par les habitants en période estivale, ne répondent pas aux besoins et aux normes et standards internationaux exigés en la matière en termes de prix et de prestations. Pour revenir à l'histoire de cette ville, dont le nom avait changé au cours des siècles écoulés, à son rôle et à son apport à la civilisation et à l'humanité, dont la Méditerranée a été le berceau, il est utile de rappeler les périodes fastes qu'avait connues cette cité. Figurant dans les cartes de l'Empire romain établies au IIIe siècle sous le nom de Tunisa, cette ville a été rebaptisée «Marsa El Kharaz» par les conquérants arabes dès le Xe siècle, du fait que les coraux pêchés dans les fonds marins de cette région étaient transformés en bijoux de toutes sortes, pour être commercialisés localement et échangés sous forme de troc avec des étrangers. L'historien arabe, El-Bekri, disait que ce port servait à la construction de navires que les Khalifs de Kairouan utilisaient pour attaquer les ports byzantins de la Méditerranée. El-Jadrissi, autre historien arabe, avait décrit cette ville en 1150 dont la prospérité repose sur la pêche du corail qui s'y trouve en quantité et en qualité supérieure à celui du reste du monde. Comme l'histoire se répète, l'exploitation du corail représente actuellement et depuis quelques années l'activité la plus lucrative pour les jeunes de cette contrée, confrontés à un chômage endémique. Les pratiques de son extraction ne permettant pas, toutefois d'augurer la pérennité de cette richesse en voie d'extinction. «La vieille Calle» Pour revenir à l'histoire de cette ville, il est important de citer le récit d'un religieux espagnol qui l'avait visitée en 1633 et qui avait indiqué que la quantité de ruines subsistantes sur le site proviendrait de l'ancienne Utique. Utique était, selon les livres d'histoire, une ancienne ville d'Afrique située en Méditerranée, au nord-ouest de Carthage. Elle fut fondée par les Phéniciens. Après la fin des guerres puniques, elle devint une cité romaine, puis déclina et disparut après les nombreuses invasions qu'avait connues l'Afrique du Nord en ces temps-là. El Kala renaîtra après des siècles de déclin, suite à la concession accordée par le Dey d'Alger à la France au début du XVIe siècle pour l'exploitation du corail, en contrepartie d'une redevance. Le non-respect des engagements par la France, qui y érigea des ouvrages milliaires, comme si ce territoire lui appartenait, amena le Dey d'Alger à ordonner la destruction de ce comptoir. Pour rappel, et dans le cadre du traité de paix conclu en 1534 entre Charles-Quint et le sultan de Tunis, le monopole de la pêche du corail dans la zone maritime située entre Tabarka et Annaba (ex- Bône) a été octroyé à des sociétés italiennes et espagnoles, en échange d'une forte redevance versée au Trésor public tunisien. Cet accord ne fut toutefois pas exécuté en territoire algérien, en raison de l'opposition des tribus locales, réfractaires à la présence étrangère. Les plus hautes autorités de l'Etat français, notamment François 1er, allié de la Sublime Porte du temps de Soliman 1er, obtinrent finalement en 1540 le privilège de la pêche du corail sur ce territoire et furent autorisées à édifier un établissement non fortifié dans une baie située à 10 km à l'ouest de d'El-Kala, appelé «Bastion France», connu actuellement sous le nom de «la Vieille Calle», réputée pour la splendeur de sa plage et les ruines des fortifications édifiées par les compagnies de pêche françaises, qui comptèrent à leur apogée plus de 400 bateaux corailleurs employant des marins de toutes sortes de nationalités (Français, Anglais, Espagnols, Hollandais, etc.). Détruit une seconde fois sur ordre du Dey d'Alger et des tribus locales, ce bastion avait été restitué aux compagnies françaises après une courte période de concession aux Anglais et aux Génois après l'intervention du Cardinal de Richelieu et de Louis XIII auprès du sultan ottoman. En 1679, le «Bastion de France» fut transféré sur le site de l'actuelle ville d'El Kala (ex-La Calle), où fut bâtie la première église d'Afrique du Nord (Sainte Catherine). Le nom de La Calle proviendrait, d'après les historiens, des facilités pour «caler les bateaux qui venaient depuis bien longtemps se réfugier dans les deux anses de ce port naturel, selon la direction du vent». Pour le culte musulman, une mosquée a été construite au XVIe siècle aux environs de l'ancien port où les indigènes venaient faire leur prière. Cet édifice religieux comptait parmi les plus anciens lieux saints musulmans implantés sur le littoral maghrébin, rapportent les chroniques historiques. Une nouvelle mosquée fut érigée dans la nouvelle ville au XIXe siècle. Après plusieurs transformations, cet édifice appelé «Rejel El Marsa» en référence aux marins, abritait une école coranique. Abdallah Abdelmoumene a été le premier imam de cette mosquée, dont la gestion avait été prise en charge par l'association des Ulémas musulmans algériens. Cette mosquée, située au centre-ville, est toujours fonctionnelle, ainsi que l'école coranique qui lui est rattachée. L'histoire d'El Kala avait été intimement liée à celle de l'Algérie et elle avait été mêlée aux conflits algéro-fançais durant les siècles qui avaient mené l'occupation française de l'Algérie. A l'origine du coup d'éventail Un bref rappel des principaux événements ayant précédé le débarquement des troupes françaises à Sidi Fredj en juillet 1830 confirme cette thèse. Il s'agit, notamment, du contentieux des créances dues par l'Etat français à la Régence d'Alger pour l'exportation des céréales et d'autres produits à partir de certains ports algériens, dont la concession de La Calle pour ravitailler les armées françaises d'Italie et d'Egypte, qui aurait été à l'origine de l'incident du «coup d'éventail», que le Dey d'Alger aurait donné au consul de France qui avait justifié l'occupation de l'Algérie. Les destructions des fortifications militaires qui avaient été érigées par les compagnies françaises sur la concession qui leur avait été accordée pour la pêche du corail dans la région d'El Kala (ex-La Calle) contrairement aux engagements par l'Etat français avaient été suivies par des expéditions d'intimidation de la flotte française qui organisa le blocus et le bombardement des ports algériens. Ces installations avaient été rasées plus de dix fois en trois siècles, tantôt sur ordre du Dey d'Alger, tantôt par les tribus locales. La dernière opération de destruction du bastion de La Calle eut lieu en 1827, soit trois années avant le débarquement de Sidi Fredj en juillet 1830. En conclusion de cette contribution, il convient de saluer l'initiative des pouvoirs publics pour cette opération de sauvegarde du patrimoine de cette ville millénaire dans toutes ses dimensions et sa diversité carthaginoise, numide, phénicienne, berbère, romaine, byzantine, arabe, ottomane, française. La destruction partielle de la plaque scellée à l'entrée des ruines de l'ancien port de La Calle rappelant la présence en ces lieux de puissances étrangères ne procède-t-elle pas de notre tendance, au demeurant relevée par certains historiens, «à biffer le passé de notre pays, reléguant les événements, ceux d'hier, aussi bien que ceux de 600 ans avant J.C dans le même et vaste oubli ?»