Des centaines de couple stériles provenant des Etats-Unis, de Grande-Bretagne, du Japon et de certains pays du Golfe se rendent en Inde pour s'offrir, moyennant quelques milliers d'euros, les services d'une mère porteuse locale. Ce pays est devenu depuis quelques années la destination de choix pour ces touristes d'un genre particulier… Pour 10 000 euros environ, le rêve des couples stériles ou des homosexuels d'avoir un enfant deviendra réalité dans une clinique privée de Bombay, de Delhi, du Kerala ou de Ahmedabad. Les futures mères n'auront qu'à payer une autre femme qui leur louera son utérus et souffrira à leur place. La jeune Indienne portera l'embryon implanté dans son utérus et préalablement obtenu par la fécondation in vitro. Ici, on ne s'embarrasse pas avec l'éthique médicale : les ovocytes sont achetés dans la même clinique si ceux de la mère légale ne sont pas viables ou si elle est dans l'incapacité d'en produire. Mais alors, qui est la véritable mère de l'enfant ? La donatrice de l'ovocyte, la mère porteuse ou la mère reconnue par l'état civil ? Les parents biologiques n'auront, après l'accouchement de la mère porteuse, qu'à accomplir une série de formalités administratives auprès de l'ambassade de leur pays, selon les lois qui y sont en vigueur avant de repartir chez eux avec leur bébé biologique made in India. Encore interdite en Allemagne, en Italie, en Suisse, en France et en Espagne, cette pratique très contestée par les féministes, par l'église catholique et par une grande partie du corps médical est toutefois autorisée par certains Etats, comme la Grande- Bretagne, la Grèce, le Japon, quelques Etats des Etats-Unis comme la Californie, le Canada, la Chine, la Thaïlande... En Inde, le phénomène des mères porteuses a pris de l'ampleur à partir de 2002, lorsque le Conseil indien pour les recherches médicales l'a autorisé, faisant de ce pays du sud-est asiatique la première destination du tourisme de la procréation de la région. Pas de bébé, pas de salaire L'Inde, avec ses médecins formés en Angleterre et aux USA, était déjà une destination de choix pour les couples désireux de bénéficier des nouvelles techniques de procréation médicalement assistée, à des tarifs très concurrentiels comparés à ceux pratiqués en Europe ou en Amérique et grâce à des praticiens moins regardants sur l'éthique et la déontologie du métier. De plus, en Inde, la mère candidate à une insémination artificielle peut recevoir jusqu'à six embryons simultanément contre seulement deux dans les pays occidentaux. « Plusieurs Indiennes sont prêtes à porter l'enfant d'une autre Indienne ou d'une étrangère. Dans la région du Purvanchal, au nord du pays, plusieurs femmes atteintes par la tuberculose deviennent stériles et sans l'apport des mères porteuses, elles ne pourraient jamais avoir d'enfants », explique Surita Karim, l'un des gynécologues spécialisés dans les techniques de fertilité. En cas de lourdes pathologies congénitales de la femme empêchant une grossesse d'arriver à terme, ou pire, en cas d'hystérectomie (ablation chirurgicale d'une partie ou de tout l'utérus, y compris parfois les trompes et les ovaires) l'empêchant de procréer, les couples peuvent combler leur désir maternel en faisant appel à des cliniques indiennes spécialisées qui leur « livrent » un enfant en bonne santé, fruit de l'embryon obtenu à partir de la fécondation par le spermatozoïde du père géniteur et de l'ovocyte d'une donneuse anonyme. Mais dans la plupart des cas - sauf pour les homosexuels - l'ovocyte appartient à la conjointe de l'homme. Après la conception in vitro, le couple se voit présenter plusieurs jeunes femmes, qui ont déjà eu des enfants, pour accueillir l'embryon. Package touristique Une fois leur choix fait, les parents règlent les frais de l'opération, de 10 000 à 28 000 euros, tout compris. Un autre accord stipule que la mère porteuse indienne s'engage à livrer le nouveau-né au couple, immédiatement après l'accouchement, renonçant à toute revendication de maternité sur le bébé et se contentant de toucher entre 3000 et 5000 euros. En Inde, cela représente entre trois à cinq ans de salaire d'une aide domestique à temps plein. Si la grossesse n'aboutit pas, la mère porteuse n'aura pas droit à son « salaire ». Sureekha, 31 ans, est l'une de ces mères porteuses. Elle avoue s'être réfugiée dans un centre d'hébergement à Bombay pour se protéger des préjugés des voisins, mais dit ne pas regretter son choix. « En aidant un couple stérile, je peux garantir un meilleur futur à mes deux enfants. Je pourrai payer leur instruction et si je suis retenue pour une nouvelle grossesse, je pourrais même nous acheter un petit appartement en périphérie », explique-t-elle, fière de son sacrifice. Durant la grossesse, ces femmes sont hébergées dans un centre spécial sans grandes commodités et suivies par l'hôpital qui ne se chargera toutefois pas de leur suivi médical en cas de complications post-accouchement. Une des raisons qui poussent les organisations féminines à voir dans ce processus « une marchandisation du corps de la femme ». Les structures sanitaires spécialisées dans le traitement des pathologies liées à l'infertilité sont constamment sollicitées par une clientèle étrangère. Les gérants de ces infrastructures ne parlent plus de « patients » mais de « clients ». Un package touristique comprenant le voyage, l'hébergement dans des hôtels de luxe, des virées culturelles, des soins…, est garanti à des prix dérisoires pour un touriste occidental. Les Américains, bien que pouvant faire appel à la technique des mères porteuses chez eux, préfèrent l'Inde. Non seulement ils déboursent moins, mais ils ont aussi la garantie que les mères porteuses mènent une vie plus saine et n'abusent ni d'alcool, ni de tabac, ni de drogue. Sans parler du vide juridique. En Inde, les lois ne protègent en rien ces mères porteuses, contrairement à d'autres pays comme les Etats-Unis. Un couple d'homosexuels américains, qui a bénéficié de la prestation d'une mère porteuse dans la région du Goujarat (ouest de l'Inde), avoue : « C'est ce vide juridique qui nous a encouragés à tenter l'expérience. Chez nous, on aurait mis des années, raconte Brad Fister, et dépensé beaucoup d'argent avec des avocats pour nier à la mère porteuse tout droit sur notre fille… »