La photo de Melissa Ziad a fait le tour du monde. Sans déprécier les autres belles images du «hirak» (mouvement) aux couleurs algériennes accompagnant la formidable marche (du siècle) irrépressible, implacable et massive. Contredisant l'image, fausse pour ne pas dire fake, qu'on voulait conférer au monde d'une Algérie dirigée par un pouvoir impérieux, grabataire et crépusculaire. Démontrant qu'il n'y avait rien de risible, pour ceux qui ont sous-estimé la volonté d'un peuple qui a toujours été digne. Etayant que rien n'est impossible. Aussi, Melissa Ziad, jeune danseuse classique et mannequin, en pleine rue Didouche Mourad, à Alger, au cœur de la marche anti-5e mandat, elle est venue signer un instant, historiquement. En plantant le décor, le sien. Elle ne détonne point. Elle rejoint le peuple, adhère à sa cause et accomplit un geste. Une figure de style, une pirouette, pas du tout imposée, libre. Mais sortant des sentiers battus. Elle semble introduire l'emblème national déployé par ses concitoyens : «Voici, mon Algérie, mon pays ! Voilà, mon peuple !» Elle arbore un jean, un perfecto de cuir noir, un haut rouge garance. Et puis un détail. Elle porte des chaussons de danse pointes. Le port altier, Melissa Ziad esquisse une délicatesse, une élégance, une promesse d'un fol espoir… Et puis, cette grâce, cet effet photogénique et lumineux irradiant un début de soirée à Alger qui ne dort plus, qui veille (au grain). L'œil design de Rania G. Ce grain, cette coquetterie, cette subtilité qu'a saisi la photographe Rania G., l'auteure de cette éloquente photo. Il faut dire que Melissa Ziad, sans le savoir, est entrée dans l'art du pouvoir, elle lui est rentrée dedans, quoi. Voilà une Algérienne, une jeune fille, consciente, belle et rebelle, fière de son pays, qui exhibe et résume tout un mouvement, le «hirak», tout un message. Le peuple est une jeunesse qui ne roule pas pour des prunes. Une énergie, une force, une vigueur, une modernité, un avenir qui ne sera que meilleur. Et puis, l'espoir tant célébré par le regretté cheb Hasni, cette beauté qui sauvera le monde, comme le dit si bien Dostoïevski. Le soir du 4 mars, Melissa Ziad avait posté un commentaire : «L'art subversif est la forme d'art connue par les sociétés lors de périodes révolutionnaires et destinée à modifier le système en place par l'illustration de ses défauts ou par la promotion de valeurs différentes, voire antagonistes. Une alternative au système dominant peut s'exprimer par la créativité artistique, amorçant ainsi une révolution des modes de pensée. Photo by Rania G. Ranougraphy.» No comment ! Du coup, la photo de «La Ballerine d'Alger, d'Algérie», par analogie, est identique, sans démesure, à celle du «Baiser de Time Square» (un marin embrasse fougueusement une infirmière à New York en 1945 à l'issue de la Seconde Guerre mondiale) ou à celle de Robert Doisneau intitulée «Le Baiser de l'hôtel de ville» (1950). Ainsi, le nom de la jeune photographe, Rania G., est aussi entré dans l'histoire avec celui de Melissa Ziad. Interviewée par notre confrère Salim Mesbah du Huffpostmaghreb.com, Melissa Ziad commentera ce beau geste : «Avec ma photographe (Rania G.), on avait décidé de faire une séance shooting dans les rues d'Alger pour marquer ce qui s'y passe. Elle a eu lieu, après avoir manifesté lors de la marche du 1er mars. Vers la fin de la manifestation, on a décidé de capter l'instant. Je suis très surprise par le succès de la photo et par le buzz qu'elle a suscité sur la Toile. C'est incroyable ce qui nous arrive. Avec ma photographe, on n'en revient pas d'avoir autant de retours positifs du monde entier. Je reçois de très nombreux messages de la part d'internautes qui m'expriment leur reconnaissance. Pour beaucoup, cette image représente l'Algérie d'aujourd'hui et le vent de liberté qui souffle actuellement dans le pays.» Bref, notre «Prima ballerina assoluta».