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«L'ESS est une économie du réel et de plus équitable» Thierry Jeantet. Ancien Président du Forum International des Dirigeants de l'Economie Sociale et Solidaire
Thierry Jeantet est le fondateur en 2004 et désormais ancien président du Forum international des dirigeants de l'économie sociale et solidaire / Les Rencontres du Mont-Blanc, devenues en 2017 ESS Forum international. Militant et acteur de l'économie sociale et solidaire (ESS), dans laquelle il voit une alternative au capitalisme, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l'ESS et d'autres, à caractère politique. ll est depuis le 7 juin 2018, président de la Fondation Ag2r La Mondiale et, depuis sa création, administrateur de la Fondation Macif. – Comment peut-on définir aujourd'hui l'économie sociale et solidaire ? Elle rassemble les entreprises et organisations qui respectent les valeurs suivantes : liberté d'adhésion , gestion démocratique (une personne, une voix), indivisibilté des fonds propres (totalement pour les associations, mutuelles, fondations, avec les obligations de «réserves impartageables» pour les coopératives), donc un système de «propriété commune», juste répartition des excédents, solidarité. C'est un ensemble de règles cohérentes entre elles, elles donnent d'ailleurs naissance à une nouvelle ESS : logiciels libres, semences libres, crowdfunding solidaire, entreprises écologiques sociales… Il faut s'en réjouir ! L'ESS est donc une «économie en avance», qui applique d'elle-même les principes et objectifs du développement durable, est aussi, avec les autres acteurs, au cœur des grands accords internationaux pour lutter contre les dérives climatiques. – En tant que président fondateur de l'ESS, et après de longues années comme militant et acteur de ce secteur, quel état des lieux faites-vous aujourd'hui de l'économie sociale et solidaire et qu'en est-il de l'Algérie ? L'ESS est présente sur tous les continents et cela est de plus en plus reconnu. Pour les seules coopératives, l'ESS concerne plus de 1 milliard de personnes dans le monde, de plus en plus d'Etats (souvent très différents, comme la Corée du Sud, le Sénégal, l'Uruguay, le Portugal…), de villes, de territoires soutiennent ce type d'économie. Surtout les sociétés civiles s'organisent en coopératives, mutuelles, associations, ou dans des formes cousines, soit pour mettre en œuvre des projets sociaux, culturels, sportifs hors marché, soit pour créer des activités concurrentielles, mais répondant à des objectifs d'équité entre producteurs, distributeurs, consommateurs. Depuis 1990, il y a en Algérie un essor des associations de développement rural, des associations d'insertion, des associations solidaires de femmes, associations d'handicapés…, les mutuelles se sont organisées particulièrement depuis 2010. Des initiatives se font jour aussi, plus lentement peut-être, sous la forme coopérative. Les études conduites par les universités d'Algérie (Tizi Ouzou, Tlemcen, Alger…) sur l'ESS en soulignent les potentialités. Plus largement, nous pensons indispensable de croiser expériences et projets de façon transfrontières, transactivités, transfamilles de l'ESS. C'est pourquoi l'ESS Forum International a créé une plateforme à cet effet, intitulée «Agora Internationale des projets de l'ESS». Cette plateforme et bien sûr l'ESS-Fi et son conseil scientifique sont ouverts à l'ESS d'Algérie. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et à gagner en nous appuyant les uns sur les autres. En voulant donc aller vers une internationale de l'ESS, permettant d'aller vers une mondialisation plus humaine, plus respectueuse des environnements. – L'ESS peut-elle devenir une alternative au capitalisme, tant décrié de par le monde ces dernières années ? Les vieux modèles, purement étatiques ou capitalistes, sont fissurés. Les situations de plus en plus de pays au Sud et au Nord le démontrent tous les jours. L'ESS est un vecteur de transformation, car elle est efficace à la fois sur les plans social, civique, écologique et économique. Elle porte une «nouvelle socialité» alors que le capitalisme (même repeint en capitalisme social) diffuse une mal-croissance de plus en plus préoccupante. L'ESS doit trouver les moyens de grandir, en travaillant plus avec elle-même, en s'exprimant plus fortement, en imaginant de nouveaux outils pour se renforcer . Elle a eu trop l'habitude d'être silencieuse et de vivre presque cachée, heureusement ce temps est fini, mais il lui reste du chemin à parcourir ! L'existence depuis 2014 d'un groupe pilote international de l'ESS, qui réunit des Etats, des agences de l'Organisation des Nations unies, les organisations internationales de l'ESS et aussi des fédérations mondiales de villes, est un signe positif, comme l'existence d'une task-force des agences de l'ONU dédiée à l'ESS. D'autres initiatives internationales en découlent. – Face à la financiarisation de l'économie et la globalisation des échanges, quelles alternatives pour les pays sous-développés, en particulier, et ceux du monde en général ? Justement, l'ESS est une économie du réel et de plus équitable. Elle a donc des fondements solides, durables. Elle n'impose pas un carcan, mais permet au contraire des développements adaptés aux situations géographiques, climatiques, sociologiques, institutionnelles locales. L'ESS, loin de la financiarisation traditionnelle, pourrait établir un système international d'échanges des parts de coopératives, de ce que sont dans plusieurs pays des certificats mutualistes, associatifs. Il faut, en effet, tisser des liens économiques et financiers non soumis aux caprices boursiers, afin de donner une assise plus forte à l'ESS. – La crise que vivent certains pays («gilets jaunes» en France, faillite économique au Venezuela, etc.) sont-elles l'expression du choix idéologique ou un problème de gouvernance politique ? Il y a un retour des citoyennes et des citoyens en politique, c'est fondamental. Les unes et les autres veulent participer plus directement aux grands choix, à leur réalisation. Ceci est une façon de stimuler la démocratie représentative et non pas de l'amoindrir ! Qui a peur de «plus de démocratie ?.» Il faut souligner que la montée des extrêmes dans de trop nombreux pays s'effectue précisément dans des Etats où aucun système permettant des initiatives citoyennes n'est instauré. Il serait temps de s'en rendre compte et de cesser de dire des contre-vérités. L'ESS est une école de la démocratie, une voie citoyenne pour créer des activités répondant à de vrais besoins. – La gouvernance politique en Algérie est mise à nu par le déferlement populaire de ces derniers jours. Quelle lecture faites-vous des événements et quelle alternative voyez-vous pour l'Algérie sur le plan économique ? Il me semble que les manifestations pacifiques survenant dans votre pays, comme celles d'essences pourtant distinctes dans d'autres Etats, montrent la volonté populaire d'être plus impliquée dans la gestion du présent et la préparation de l'avenir. Du coup, les modèles politiques et économiques participatifs apparaissent comme des réponses appropriées. Avec cette idée aussi que, par exemple, il faut créer de nouveaux partenariats Etat/territoires/ESS pour aller de l'avant. Par exemple, pour permettre aux citoyennes et citoyens d'accéder à un niveau de vie décent en se fixant dans chaque pays ou territoire concerné des objectifs communs en termes d'accès aux soins et couverture des coûts de ceux-ci (avec les associations et mutuelles), d'habitat (avec les coopératives d'habitants), d'accès à l'emploi (avec les associations et coopératives d'insertion ou les coopératives de salariés-entrepreneurs…). Il n'est ni question que les Etats se défaussent ou mettent la main sur l'ESS, mais que des accords partenariaux équilibrés soient noués et appliqués.