«La crise nous apporte un éclairage que nous sommes l'alternative. Nous n'avons pas à justifier notre existence, la crise le fait à notre place». De notre envoyé spécial à Chamonix Cette sentence, sortie de la bouche d'Alain Lipietz, économiste français et membre du parti Europe Ecologie Les Verts, a mis du baume au cœur des 350 participants venus de 45 pays dans la vallée de Chamonix en Haute-Savoie (France) pour faire le point sur le développement de l'Economie sociale et solidaire (ESS) dans un monde en pleine turbulence. Cette 6e édition des rencontres du Mont-blanc tenues la semaine dernière et placées sous le haut patronage du président français François Hollande, a été l'occasion pour les participants de travailler sur la problématique « Changer le cap de la mondialisation avec l'économie sociale et solidaire : vers des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) post-2015». Basée sur la satisfaction des besoins humains et non sur l'accumulation des richesses, l'ESS repose et rassemble des entreprises qui cherchent à concilier activité économique et utilité sociale, donnant la primauté aux personnes sur la recherche de profits. Ayant pour enjeu de concilier efficacité économique, équité sociale et respect de l'environnement, l'ESS regroupe les coopératives, mutuelles, associations et fondations et fonctionnant sur le principe d'égalité des personnes (1 personne 1 voix), de propriété privée mais collective, de solidarité entre ses membres et d'indépendance économique. Des accords avec l'Algérie prochainement Loin d'être une rencontre entre passéistes en mal d'avenir dans un monde foudroyé par la folle finance internationale, des cas bien précis et modèles vivants ont été exposés par les intervenants. A ce titre, le ministre français Benoît Hamon, ministre délégué auprès du ministre de l'Economie et des finances, chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation a indiqué lors de l'ouverture des rencontres qu' «un projet de loi cadre sur l'ESS a été adopté par le sénat en novembre 2013, et sera soumis à l'Assemblée nationale au printemps 2014.» De même qu'il a déclaré que des accords avec certains Etats, dont l'Algérie, sont à prévoir dans les jours à venir. Pour lui, «il y a une grande tradition mutualiste et coopérative dans le bassin méditerranéen. Il y a dans le sud de la méditerranée, notamment au Maghreb, une grande tradition de la coopérative. Il y a un enjeu à structurer cette coopération de manière très forte et ce n'est pas un hasard si dans les trois accords que l'ESS va conclure en ce qui concerne la France, il y a en Europe l'accord franco-espagnol, un accord avec le Maroc qui est en préparation et un accord sur lequel moi-même j'ai travaillé avec l'Algérie en faveur du développement de l'ESS.» Le ministre français n'a pas manqué de critiquer l'UE et la commission européenne pour avoir négligé ce pan important de l'économie européenne. Abondant dans le même sens, Thierry Jeantet, président du forum international des dirigeants de l'économie sociale et solidaire et président de l'association des rencontres du Mont-blanc, organisatrice de l'événement, annonce pour sa part la création au sein du forum international des dirigeants de l'ESS d'une plateforme euroméditerranéenne afin de partager des projets concrets regroupant marocains, Tunisiens, algériens et autres. «La présence de ministres parmi nous montre qu'un nouveau type de partenariat public entre les Etats, les gouvernements et les collectivités territoriales est en train de se développer dans le monde et aussi avec les institutions internationales», dit-il. L'Amérique latine, le modèle ? Loin d'être circonscrite dans des actions isolées et dans des territoires en mal de développement, l'économie sociale et solidaire est en passe de gagner la bataille de l'institutionnalisation par des Etats. Et des exemples en Amérique latine sont légion. Doris Josefina Solis Carrion, ministre de l'Intégration économique et sociale de l'équateur a, à ce titre, indiqué que dans son pays la constitution «prend en compte, depuis 2008, le rôle fondamental de l'ESS en proposant un nouveau modèle de développement dont le centre est l'humain et pas le capital.» Elle fera savoir que dans son pays 64% des postes de travail et pas moins de 65% des aliments de consommation de base sont le fruit des entreprises de l'ESS. Des entreprises, coopératives et autres associations qui emploient, dit-elle, plus de 60 000 personnes pour certaines d'entre elles. «L'ensemble des tenues scolaires sont fabriquées par 4 micro-entreprises de l'ESS et 5% des achats publics sont achetés aux coopératives de l'ESS», précise-t-elle. Des exemples édifiants pour un pays comme l'Algérie qui fête ses événements footballistiques par des tissus et fanions issus en grande majorité de chine ! Sur sa lancée, la ministre équatorienne dont le pays exporte à l'UE pour 89 millions de dollars en bananes, cacao et produits de l'artisanat indiquera que les cantines scolaires, les services d'entretien et les services d'externalisation des différents ministères relèvent tous des entreprises de l'ESS. «Ce qui permet, dit-elle, de garantir à tous ces artisans d'avoir un revenu garanti». Et de souligner la coopération et l'aide de l'Etat pour la commercialisation et l'exportation des produits de l'ESS ainsi que l'injection de 600 millions de dollars pour les familles pauvres annuellement. Petit pays de l'Amérique centrale, le Costa rica n'est pas en marge de l'ESS. C'est même «une tradition qui remonte très loin dans le temps», dira Victor H. Morales, un des dirigeant de l'ESS dans ce pays. «1/3 de l'électricité est fabriquée par les coopératives, alors que le plus grand laitier du pays qui couvre 96% du marché est aussi une coopérative», dit-il. Cela dit, d'autres pays dans les cinq continents connaissent à des degrés moindres des expériences de l'économie sociale et solidaire. Des expériences parfois marginales mais qui pourront connaître un essor certain selon les dirigeants de l'association des rencontres du Mont-blanc. En effet, un grand travail de lobbying est en train de se faire auprès des Etats et d'instances internationales, notamment l'ONU pour intégrer la donne ESS dans leurs programmes et actions en faveur de la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans le monde. Et c'est à ce titre que l'ancien ministre de l'Economie et des finances algérien, Ghazi Hidouci, a été convié à la rencontre. Expert en économie du développement, M. Hidouci est actuellement responsable au sein du fonds mondial pour le développement des villes (FMDV), une organisation politique internationale créée en 2010 pour le renforcement des solidarités et des capacités financières, par et entre les collectivités locales. Dans son bref plaidoyer en faveur de l'ESS et du FMDV, il a appelé à faire de la finance «autrement, en se l'appropriant». En considérant que le problème ne réside pas dans les outils mais dans l'organisation et le contrôle de la finance par ceux qui gèrent, il plaidera pour «l'appropriation locale de la finance», avant de rebondir sur son sujet fétiche, le développement des villes. Pour lui, le FMDV apporte expertise technique et ingénierie financière dans l'ensemble du processus de projet du développement urbain et facilite l'accès des collectivités territoriales à une ressource financière correspondant aux besoins qu'elles ont elles-mêmes identifiés. Problématique d'une extrême importance en ces temps de densification des villes face aux exodes ruraux, l'ancien ministre algérien a plaidé pour une autre façon de faire la ville en adaptant la construction des villes en rapport avec l'alimentation, la consommation d'énergie et le respect de l'environnement. Il nous fera savoir en marge des travaux, et non sans une note d'amertume, que toutes ses tentatives de faire participer son organisation dans des projets en Algérie ont étés vaines. Citant au passage sa proposition rejetée pour la ville de Constantine, «entourée par des quartiers informels», selon ses dires.