« La musique, dans la tradition berbère, est un vecteur essentiel qui a toujours accompagné les moments heureux ou malheureux des gens mais depuis quelques années nous sentons, un essoufflement du genre, pire une régression, explique l'ethnomusicologue Bachir Ait Nayet. Il y a 20 ans, les chanteurs kabyles faisaient dans la protest-song, aujourd'hui les assemblages sonores donnent mal la tête et à la dignité de certains producteurs, qui feraient mieux de ne pas encourager la médiocrité. Le temps des Lounes Matoub, Idir ou encore Aït Menguelet est bien loin. » Et il n'est pas le seul à penser que la musique kabyle est passée par plusieurs phases qui ont transformé son esprit du début. « Les nouvelles technologies et préoccupations des artistes sont différentes puisque le contexte politique et social est différent », raconte Lydia Hamraoui, musicienne et réalisatrice. « Les gens veulent du rythme entraînant et des paroles légères. Les jeunes consomment plutôt du Allaoua ou Massinissa que du Matoub. Allaoua a un beau physique, une belle voix et des rythmes endiablés. La recette de tout artiste désirant réussir dans ce domaine. La crédibilité artistique n'est pas une grande affaire, chez nous. » Si beaucoup de professionnels critiquent la musique kabyle produite aujourd'hui, ils admettent qu'elle aide à sauvegarder la langue, et ce, malgré la qualité qui fait défaut. Lydia rappelle que toutes les musiques doivent s'adapter à la nouvelle demande mondiale : « Sortir de l'identité propre et adopter les tendances mondiales peut servir une culture, il faut donc profiter de cette opportunité pour montrer notre culture aux autres. » Un cinéma qui dérange En réalité, le septième art berbère n'est pas en manque d'inspiration mais de financement. Il n'existe pas de grandes productions faute de fonds ponctuels encourageant le cinéma d'expression kabyle ou plus généralement berbère. L'un des premiers longs métrages en tamazight fut Machaho de Belkacem Hadjadj (qui a décroché neuf prix européens) suivi par La Montagne de Baya réalisé par Azzedine Meddour, il y a dix ans. « Les réalisateurs de courts métrages sont plus nombreux, remarque Skandar Abderahim, producteur de films. Parce que c'est une entreprise coûteuse qui ne trouve pas de sponsors et le gouvernement algérien a voulu réprimer cette expression entendue à l'étranger. Le cinéma kabyle est un témoin fiable de la réalité algérienne. » Le film kabyle de Moussa Tertag, Ennemis de la vie, a été totalement financé par des particuliers et n'a profité d'aucune subvention de l'Etat. « Les réalisateurs n'attendent pas, il font leurs films coûte que coûte. Je connais des réalisateurs à qui on a imposé de réécrire le scénario en arabe dialectal, poursuit Skandar, preuve que la langue est un enjeu politique important. » La langue est un outil pour le réalisateur est une arme pour ses idées révolutionnaires. « La langue ne constitue pas à elle seule l'originalité cinématographique d'une œuvre, d'autre éléments sont indispensables : l'histoire, le décor, le costume, la symbolique et l'approche filmique composent, avec la langue, l'univers originel d'un film », écrivait Gaya Izennaxen, responsable à la culture dans l'exécutif du MAK France. Les éléments cités font la particularité des films kabyles que l'on peut voir depuis quelques années, lors du festival international du film amazigh. Une vraie mine de talents qui ne demandent qu'à être encouragés pour contribuer au patrimoine cinématographique berbère. Une littérature méconnue Finalement, c'est la même situation pour la littérature d'expression kabyle. Si les thématiques demeurent liées à la culture berbère, la langue française est souvent utilisée. « Les auteurs optent pour le français, parce que c'est une langue accessible, plus répandue et qui se vend plus », témoigne Rachid Baati, libraire et directeur des éditions Imazighen. « A partir des années 1930, la littérature connaît Jean et Taos Amrouche, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Malek Ouary…, explique Salem Chaker, professeur de berbère à l'Inalco. Parallèlement à leur création littéraire francophone, ces écrivains affirmaient leur ancrage dans la culture berbère et œuvraient concrètement pour elle par un travailconstant de promotion. » Des œuvres qui restent des monuments de la littérature algérienne, pour ne citer que Les Chants berbères de Kabylie (1939) de Jean Amrouche, Les Poèmes de Si Mohand (1960) de Mouloud Feraoun, Le Grain magique (1966) de Taos Amrouche, les Isefra de Si Mohand (1969) et les Poèmes kabyles anciens (1980) de Mouloud Mammeri sont les grandes dates de cette action dont parle Salem Chaker. Dans les années 1950, Belaïd At Ali, qui n'était pas l'un des plus instruits, rédige ce qui doit être considéré comme la première œuvre littéraire écrite kabyle : Les cahiers de Belaïd, recueil de textes, de notations, descriptions et réflexions sur la Kabylie. Il faut signaler particulièrement l'œuvre de Mouloud Mammeri qui publia quatre textes majeurs en berbère : Isefra, poèmes de Si Muhand, Tajerumt, grammaire berbère ; Poèmes kabyles anciens ; Ina-yas Ccix Muhand, Cheikh Mohand (Ou L'hocine) a dit, œuvre posthume dont un premier tirage a été réalisé à la fin du deuxième trimestre 1989. Aujourd'hui, l'engagement pour la cause berbère à travers la littérature se fait spécialement sur la retranscription de la langue ; des livres et dictionnaires sont édités sur l'alphabet et l'apprentissage de la langue. « Il existe bien des romans et des essais, mais en infime production », conclut Salima Touali, écrivaine et économiste. « Une relance de la politique du livre berbère pourrait voir le jour grâce aux efforts que pourra consentir le Haut-Commissariat à l'amazighité. Après tout, un livre qui dérange veut dire qu'il existe. »