La démission du président de la République actée, c'est le président du Sénat qui doit assurer l'intérim et organiser l'élection présidentielle conformément à la Constitution. Sauf que l'option Bensalah est rejetée par le peuple. Quelle serait alors la meilleure transition ? Aujourd'hui, les Algériens se préparent pour le 7e vendredi de manifestations et de marches pacifiques. Mais c'est surtout le premier vendredi, depuis 20 ans, sans Abdelaziz Bouteflika à la tête du pays. En effet, mardi dernier, la nouvelle est tombée : «Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a notifié officiellement au président du Conseil constitutionnel sa décision de mettre fin à son mandat en qualité de président de la République». Cette décision est intervenue suite au communiqué du ministère de la Défense nationale (MDN) annonçant l'activation des articles 7, 8 et 102 de la Constitution. Le lendemain, le Conseil constitutionnel a accepté sa démission. «La vacance définitive de la présidence de la République est constatée conformément à l'article 102 alinéa 04 de la Constitution. L'acte de déclaration de la vacance définitive de la présidence de la République sera communiqué, en ce jour, 27 rajab 1440 correspondant au 3 avril 2019, au Parlement conformément à l'article 102 alinéa 05 de la Constitution», indique un communiqué du Conseil constitutionnel. Mais alors, quelle lecture peut-on faire de cette nouvelle donne ? Pour Mohamed Hennad, politologue, Bouteflika et son entourage ont tout essayé pour se maintenir au pouvoir, et ce, d'abord à travers la candidature à un 5e mandat. Ensuite par le prolongement du 4e mandat dont le but était de piloter, directement, une «période de transition» qui leur serait favorable. Enfin, par la promesse de démission à la fin du mandat, mais après que le président ait pris «d'importantes mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l'Etat durant la période de transition», entendre des mesures visant à permettre aux proches du président de se tirer d'affaire. Pour le politologue, ces développements dans l'attitude du clan présidentiel ne peuvent être expliqués que par la persévérance des marches nationales avec, à chaque fois, plus de virulence pour arriver au fameux slogan «dégagez tous !», slogan devenu une exigence non négociable. «Le commandement militaire, se trouvant acculé, a choisi d'être aux côté de la ‘‘rue'' pour prévenir tout débordement, dont il sait bien qu'il serait le premier à en pâtir. Et c'est le sens de la déclaration du chef d'état-major, Gaïd salah, du 2/04/19, où il parle d'une démarche de sortie de crise». De ce qui précède, M. Hennad explique : «Nous pouvons aisément conclure que le président Bouteflika a bien été forcé de démissionner mais certainement avec un certain nombre de garanties pour sa personne et ses proches. Et dire que cela aurait plus simple pour lui de démissionner pour raisons de santé évidentes au lieu de se confondre en justifications». Si le clan Bouteflika pensait pouvoir calmer les esprits en proposant la démission du chef d'Etat, cela n'a absolument pas été le cas. En effet, les Algériens, sortis «fêter» la nouvelle le soir même, sont unanimes : «On exige le départ de tout le système». Certains demandent l'application des articles 7 et 8 de la Constitution. «Ce que beaucoup ignorent, c'est que les deux articles sont en parfaite contradiction», explique Fatiha Benabbou, constitutionaliste. Interprétations En effet, l'article 7 stipule : «Le peuple est la source de tout pouvoir. La souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple». Pour ce qui est de l'article 8, il stipule : «Le pouvoir constituant appartient au peuple. Le peuple exerce sa souveraineté par l'intermédiaire des institutions qu'il se donne. Le peuple l'exerce aussi par voie de référendum et par l'intermédiaire de ses représentants élus. Le président de la République peut directement recourir à l'expression de la volonté du peuple». Ainsi, pour Fatiha Benabbou, l'application de l'article serait une «révolution contre la Constitution». C'est-à-dire que «l'on va pulvériser la Constitution, qui est l'acte de naissance de l'Etat, les institutions et l'Etat». Finalement, quelle serait la meilleure transition sachant que les Algériens refusent catégoriquement l'option Bensalah ? Pour Mahrez Bouich, enseignant-chercheur en philosophie politique à l'université Abderrahmane Mira de Béjaïa, les slogans portés par les peuple depuis la marche du 22 février sont clairs : départ du système et rupture radicale avec ce dernier. Dès lors, selon lui, le chemin constitutionnel ne peut être qu'une provocation de plus. «Le choix d'appliquer l'article 120 et désigner Bensalah comme chef d'Etat n'est qu'une façon de mener une contre-révolution», explique-t-il. Selon M. Bouich, seul un processus constituant dans le cadre d'une période de transition politique peut sauver l'Algérie du naufrage et provoquer une véritable rupture avec le système politique en place. Mahrez Bouich propose de passer par un processus constituant qui repose sur la mise en place d'une instance présidentielle composée de personnalités nationales neutres et autonomes et la mise en place d'un gouvernement transitoire d'unité nationale composé de personnalités compétentes et autonomes. Vient ensuite l'élection d'une Assemblée constituante pour refonder l'Etat algérien et bâtir la IIe République pour l'avènement d'une République moderne bâtie sur l'identité originelle de l'Algérie, pour un Etat garantissant l'Etat de droit, la séparation des pouvoirs, le respect et la promotion des droits humains, des institutions allant dans le sens de la sécularisation de la société et lutter contre les pratiques prédatrices et rentières qui ont mis en péril l'économie nationale. Fatiha Benabbou, quant à elle, confie : «J'ai le vertige quand je vois 20 millions d'Algériens dans la rue mais qui n'ont aucun représentant». La constitutionnaliste s'interroge : «Comment allons-nous faire la transition si nous n'avons pas de représentants ni de feuille de route ?». La constitutionnaliste n'oublie pas la situation économique du pays : «Il ne faut pas oublier la crise économique qui frappe l'Algérie et qui risque de nous essorer. Qui aura donc la légitimité pour prendre des décisions courageuses pour sortir de cette crise ?» Transition De plus, selon elle, l'extérieur est un autre problème. «Dans une récente déclaration, Ali Bensaad, géopolitologue, avait déclaré que certains pays du Golfe financent des groupes afin de faire dévier la démocratie en Algérie. La raison, selon moi, c'est qu'ils craignent que ça réussisse en Algérie car il y aura un effet boule de neige et un effet domino dans les autres pays». C'est pour cette raison que Fatiha Benabbou souhaite : «Il faut que les Algériens restent conscients. Un homme averti en vaut deux. Il faut faire attention pour ne pas faire capoter la transition». De son côté, Mohamed Hennad confie qu'une confrontation entre «la rue» et le commandement militaire qui a fait démissionner M. Bouteflika n'est pas à exclure. Selon lui, la solution devrait être politique, avec des affinités constitutionnalistes autant que faire se peut. «Le chef d'Etat par intérim devra être autre que M. Bensalah. Est-ce la présence de ce dernier lors de la présentation de M. Bouteflika de sa démission au président du Conseil constitutionnel qui est le signe que c'est bien lui qui assurera l'intérim ? Probablement», confie-t-il. Pour le politologue, le nouveau chef d'Etat devra être désigné d'une manière consensuelle grâce à une concertation entre, d'une part, le commandement militaire – puisque c'est lui qui a forcé M. Bouteflika à la démission – et, d'autre part, les forces politiques du pays, mais avec l'assentiment populaire pour que l'opinion publique n'ait pas l'impression de se sentir victime d'une concertation à huis clos. Une fois désigné, le chef d'Etat par intérim devra procéder immédiatement, selon Mohamed Hennad, à la dissolution du Parlement dans ses deux Chambres et du Conseil constitutionnel connus pour être les deux foyers de la fraude par excellence. Ensuite, il devra désigner un nouveau gouvernement provisoire pour expédier les affaires courantes, puis une commission souveraine pour l'organisation d'une élection présidentielle. «A mon avis, la période transitoire ne devrait pas dépasser les six mois pour éviter tout retour des réflexes anciens. Quant à l'élaboration d'une nouvelle Constitution, il est préférable qu'elle ne survienne qu'après l'élection du nouveau président pour éviter toute surenchère dilatoire pendant la période de transition», conclut-il. De son côté, Mourad Goumiri, politologue, confie ne pas croire à la phase transitoire qui est «extra constitutionnelle par définition». Selon lui, la sagesse commande à tous de demeurer dans le strict cadre constitutionnel pour éviter à notre pays un saut vers l'inconnu. «Certains posent, avec raison, le problème de l'organisation de l'élection présidentielle et sa transparence. Les partis de l'opposition (et même ceux de la majorité, s'ils osent le faire), la société civile et les ‘‘personnalités politiques'' peuvent proposer au président par intérim de prendre les mesures idoines pour rendre ce scrutin transparent», propose-t-il. Toujours selon Mourad Goumiri, «ils peuvent même, pour des raisons évidentes de préparation et de campagne électorale, demander une révision raisonnable du timing.»