Quand un artiste plasticien comme Denis Martinez rend hommage à un musicien et à un ami de cœur, qui n'est autre que Mohamed Bahaz, le résultat ne peut-être qu'époustouflant. Ils étaient nombreux, samedi dernier, dans l'après-midi, les amis et les habitués de la galerie Espaco d'El Achour, à assister au vernissage de la toute dernière exposition du plasticien Denis Martinez. Intitulée «Bahaz Khouya Gnaoui Blidi, H'Kayet 3Echra, histoire d'une complicité», cette imposante exposition comporte plusieurs haltes heureuses : Façon singulière de dévoiler des pans de la personnalité de ce maître du gnaoui, Maâlem Mohamed Bahaz, née en 1942 à Blida. Perfectionniste et talentueux à la fois, l'artiste- peintre et plasticien, Denis Martinez, n'a pas fait dans la facilité pour rendre hommage à son ami de toujours. En effet, il a choisi de rendre hommage à son comparse à travers, entre autres, des peintures authentiques, des œuvres graphiques à tirage numérique, un plasma de diapos et deux installations : la première installation est consacrée au «Ganga Dendoune Tbel» et la seconde a pour titre «Dar Nana Aïcha», une évocation de cette sainte originaire de Blida. Comme l'a si bien mentionné le commissaire de l'exposition, Jaoudet Gassouma, dans le catalogue, le projet n'est autre que «l'histoire d'une saga familiale qui vient de très loin, avec en filigrane les stigmates dans les paroles, les onomatopées et les complaintes qu'ils ont ramenés de ce lointain Soudan mythique par sa dramaturgie lancinante, l'esclavage, la présence immémoriale gnawie, toute cette imagerie affriolante, perturbante, qui nous jette tranquillement à la face nos incohérences préjugées et notre assurance, dans un tourbillon organisé de couleurs, de sons cliquetants et de paroles divines, profanes, animistes, spirituelles…» Avec le charisme et l'éloquence qu'on lui connaît, Denis Martinez rappelle que Mohamed Bahaz est un ami de longue date. Et que rendre hommage à Bahaz c'est rendre hommage à une longue complicité entre un plasticien et un musicien gnaoui. «Mohamed Bahaz, dit-il, est quelqu'un qui a de l' énergie à revendre. Nous avons fait plusieurs performances artistiques ensemble, et ce, dans le cadre du Festival Racont' Art depuis 2004. Il est d'ailleurs le maître du carnaval de ce festival. Il est beaucoup plus connu et vénéré en Kabylie qu'à Blida. Quand il joue dans les montages de Kabylie, les gens l'embrassent au front, tellement ils le respectent. Je peux lire un texte et lui va m'accompagner au gumbri. Il va savoir faire». Et d'ajouter : «Quand je dis que je rends hommage à Mohamed Bahaz, c'est parce que c'est quelqu'un qui vient de loin et qui a exercé tous les métiers dans sa vie. Il a hérité de son père et de sa tante. Un legs qu'il a su transmettre à ses enfants. Il a une fille qui joue avec lui au karkabou.» Le plasticien Denis Martinez tient à préciser que son projet n'est pas une exposition. Il s'agit beaucoup plus d'une démonstration, d'un récit et de l'histoire d'un homme hors du commun. «Ce n'est pas un étalage d'œuvres. Je viens raconter quelque chose. C'est un travail qui a commencé à être pensé en 2004, avec différentes phases. Chaque phase a apporté sa part», dit-il fièrement. Ainsi, l'histoire de la saga des Bahaz se donne à découvrir sous la forme d'un projet de livre, se déclinant tout au long d'un mur où sont agencées des photographies et des dessins graphiques. Le visiteur peut-même s'imprégner dans un autre espace de la musique diwan du maître à travers une piste de sonorités suavement choisies. Un peu plus loin, on découvre une série de portraits au format moyen de Mohamed Bahaz intitulée «Bahaz Fi Place E'toute» et d'anciennes photographies de l'artiste, prises dans les années 60, dont Denis Martinez a su ingénieusement retravailler. Le regard du visiteur est happé, également, par sept grandes bannières aux formats verticaux et aux couleurs chatoyantes, intitulées «Tbel» de 1 à 7. L'artiste a décidé de reprendre sept fois le même motif à partir de la verticalité. Il éclaire en disant : «J'ai réalisé la première œuvre avec le principe du cercle, c'était un état d'esprit. Le jour où j'ai réalisé la deuxième œuvre, j'étais dans un autre état d'esprit. J'ai repris le même cercle, mais l'ambiance de la couleur n'est pas la même. J'étais dans une autre situation. Mon récit profite du moment. Entre le premier et le dernier tableau, les années sont passées et chaque moment m'a donné des points de vue différents. Je me suis obligé à démarrer à chaque fois avec l'idée du tbal. Le tbal, c'est la percussion principale des gnawa quand ils font la déambulation dans la rue, mais pas dans le diwan (gumbri). Ce qui est important c'est le côté gnaoui, c'est la complainte, c'est la force, le côté blues.» Deniz Martinez avoue que le projet de son travail a commencé en 2004. Cette exposition n'est autre que le dixième d'une exposition qu'il avait proposée à deux reprises au ministre de la Culture, à savoir, lors du Panaf de 2009, et auprès de l'ancien locataire ministère de la Culture. Il est noter que si l'exposition en question est visible jusqu'au 4 mai à la galerie Espaco, les intéressés pourront assister, au niveau du même espace, le 11 avril à 18h, à une conférence de Denis Martinez sur l'artiste Mohamed Bahaz, suivie le 13 avril à 15h d'une performance du même plasticien intitulée «Quand un Gnawi rencontre Ayred», consistant en une lecture de texte accompagnée par deux joueurs de gumbri et un jeu scénique carnavalesque d'origine berbère, avec la participation de Maâlem Bahaz à la percussion.