«Où est passé le grand troupeau ?» Une grande question en ces temps d'incertitude et de contre-révolte. C'est aussi le titre choisi par l'artiste peintre Denis Martinez à un livre fait de dessins et de textes épars publié aux éditions Dalimen et présenté au 4e Festival international de la bande dessinée d'Alger qui se tient actuellement à l'esplanade de Riad El Feth. Le livre a été édité une première fois par l'Entreprise nationale des arts graphiques en 1987. Ce soir, à 18h, Denis Martinez fera une lecture publique du poème récit de Abdelhamid Laghouati, qui a accompagné les dessins, soutenu au gumbri par Maâlem Mohamed Bahaz. Un diaporama d'images sera projeté. L'artiste expliquera le processus de création de cette bande dessinée. «En tant que peintre, je voulais montrer graphiquement et visuellement des préoccupations par rapport au patrimoine. Un patrimoine en train de disparaître ou que les gens ne regardaient plus», nous a expliqué mercredi soir Denis Martinez à la faveur d'une séance de vente-dédicace au FIBDA. Le livre se déroule comme un film découpé en plusieurs chapitres. L'artiste peintre, scénographe et dessinateur, Arzeki Larbi, est pris comme un personnage de l'histoire. «J'ai fait des recherches de photos, d'archives et sur les lieux. C'est une histoire qui démarre à Blida, qui se poursuit dans les quartiers de la ville et qui va se terminer dans un dépotoir. Le personnage va faire tout un chemin pour la reconnaissance du patrimoine en phase de disparition. Il va rencontrer un derwich qui va l'emmener dans une cité magique que personne ne pourra voir. Une cité faite à partir de bijoux traditionnels, de fibules kabyles, de bracelets targuis, de kholkhals, de khomsa, de motifs andalous de Blida, des portes des vieilles maisons de douirette…», explique-t-il. A la fin, les bêtes apparaissant dans les gravures rupestres et qui font l'objet de dégradation sont regroupées par le derwich. Il les a cachées dans un endroit secret. Le derwich ouvre sa main en forme de khomsa et demande au personnage de fermer les yeux. «Celui-ci se retrouve alors dans un dépotoir !», appuie l'artiste. Par le passé, Denis Martinez a fait un travail similaire avec des poètes dans un livre intitulé Bouches d'incendie. Tahar Djaout, Abdelhamid Laghouati, Hamid Tibouchi, Omar Azradj avaient, entre autres, contribué à cette œuvre. «A une certaine époque, j'ai remarqué que les gens achetaient peu de livres de poésie et étaient plus attirés par l'image. J'avais alors décidé de traiter la poésie par l'image à la façon de la bande dessinée pour la faire lire», a précisé Denis Martinez. «Depuis 2004, j'ai quitté le mythe de l'artiste. Les galeries, les expositions, je n'y crois plus ! Surtout lorsqu'on voit les soi-disant civilisations démocratiques de ce monde bombarder des musées et venir, après, parler de culture. Ces civilisations dominent le commerce de l'art. Tous les artistes sont piégés par cela. Moi, je veux être libre et je veux vivre le présent parmi les gens», a-t-il confié. Avec Hassan Metref et Salah Silem, Denis Martinez a lancé le festival Raconte Arts, qui sillonne les villages de Kabylie. Il y réalise des créations éphémères sur place avec des poètes, des écrivains et des comédiens de la région. Et que pense-t-il de sa ville d'adoption, Blida ? «Les Blidéens n'aiment pas leur ville. Ils se plaignent de la dégradation de la cité, mais ne font rien pour la sauver. Il y a plus de nostalgie que de réaction. Personne ne dit “nous avons une ville qui a du caractère et qu'il faut lui redonner son âme''. Venu d'Andalousie, Sid Ahmed El Kebir s'est arrêté dans une région paradisiaque riche en eau. Et c'est grâce à l'eau que cette ville est née. Allez voir dans quel état est l'oued Sidi Kebir, une eau polluée, des ordures, de la saleté… Sidi Kebir se retourne sans doute dans sa tombe…»