La diaspora algérienne en France, impliquée pleinement dans la révolution du 22 février dès ses premiers balbutiements, ne cesse de s'illustrer par son patriotisme et engagement en faveur d'une Algérie démocratique et plurielle. Au-delà des fortes mobilisations lors de manifestations de soutien au mouvement populaire en cours dans notre pays, les Algériennes et les Algériens établis en hexagone font preuve d'une grande inventivité sur le plan organisationnel, ou plutôt auto-organisationnel. Pour ce faire, ils ont transformé la place de la République à Paris en une véritable agora citoyenne, hebdomadaire, où le libre débat et la dispute constructive sont réappropriés par l'ensemble des compatriotes présents, sans aucune exclusion. Certes, tous les avis et opinions ne se valent pas, mais ils ont le mérite d'être exprimés, débattus et contredits dans un esprit d'ouverture et de fraternité. Dimanche dernier, sous une légère pluie de printemps, des milliers de manifestants étaient encore au rendez-vous dominical, succédant à la grande journée de mobilisation de vendredi en Algérie. «Au bled, ils ont inventé le verbe ‘‘vendredire'', nous celui de ‘‘dimancher''», s'amuse à lancer un quadragénaire semblant très content par sa trouvaille ! Si le terme «vendredire» est désormais accepté comme un néologisme, du moins par les dictionnaires en ligne, dont le sens est de manifester d'une façon joyeuse et pacifique, que serait alors la signification de «dimancher» !? C'est plutôt synonyme de discourir et de délibérer d'une manière participative et à ciel ouvert. Le principe est de débattre de l'évolution de la situation politique dans le pays et, surtout, d'éclaircir aux yeux des manifestants les véritables enjeux de la période de transition, enclenchée de fait par la démission du président Bouteflika. La hantise des leaders de la contestation, issus de nombreuses formations politiques de l'opposition et d'associations indépendantes – qui se sont retrouvées pour la plupart dans un seul collectif baptisé «Libérons l'Algérie !» – est que les techniques de manipulation utilisées par le pouvoir, via les médias ainsi que la justice, réussissent à diviser le mouvement et à détourner les contestataires des questions essentielles. «Par exemple, nous expliquons à nos compatriotes qu'il faut être cohérent dans l'engagement. On ne peut pas être pour le changement démocratique et en même temps pour une justice aux ordres, instrumentalisée par le chef du commandement militaire, qui veut diriger la transition d'une manière autoritaire», lance Omar Bouraba, militant d'Agir pour le changement et la démocratie en Algérie (ACDA), l'une des organisations membres de «Libérons l'Algérie !». Et d'enchaîner : «L'enjeu aujourd'hui est de dire qu'on s'oppose aux manœuvres du régime qui veut absolument maintenir son agenda sans tenir compte des revendications de la rue. Il faut continuer à mobiliser tous les Algériens où qu'ils soient, dans la pluralité et le pacifisme. Nous, militants de la démocratie, continuons à se concerter, à se coordonner et à s'auto-organiser pour créer les conditions d'un compromis historique, rassemblant toutes les franges de la société autour du projet de l'édification d'un vrai Etat de droit.» Ornée en couleurs par des centaines de drapeaux algériens et berbères, se mêlant à des fanions de supporters de football, la place de la République est organisée par ses occupants algériens en stands, en cercles de réflexion et de débat ou, encore, en petits groupes festifs. Les protestataires ne s'interdisent aucun sujet de discussion et ne fixent pas de tabous ! Si la majorité des organisateurs et des débatteurs présents ce jour-là étaient plutôt membres de la grande famille de la gauche algérienne, on pouvait néanmoins assister à des échanges souvent courtois entre citoyens de sensibilités politiques et idéologiques parfois irréconciliables. Par exemple, entre des islamistes et des militants du Mouvement pour l'auto-détermination de la Kabylie (MAK), qui ont d'ailleurs pu installer un chapiteau sans qu'ils soient inquiétés par personne. Bien au contraire ! «Dans la mesure où le pouvoir ne veut pas répondre favorablement aux revendications du peuple algérien et tente d'alimenter toutes sortes de polémiques afin de pouvoir imposer sa feuille de route, les Algériens ont pris conscience de la nécessité de laisser de côté ce qui nous divise, pour l'instant, et se concentrer sur ce qui nous unifie. Ils essayent, comme ce que nous faisons ici à Paris, de construire tous ensemble notre propre alternative démocratique», souligne Tahar Si Serir, membre du mouvement «Les Humanistes», faisant partie également de «Libérons l'Algérie !». Dans le même sillage, Ilyas Lahouazi, militant politique et membre du même collectif unitaire, affirme que «l'objectif principal est de maintenir la pression populaire et politique sur le régime. La diaspora dispose de grandes têtes pensantes, pouvant apporter un plus et proposer des solutions concrètes de sortie de crise ; sur les plans politique, social et économique. L'une des ambitions fixées pour notre action est de permettre l'émergence d'idées innovantes et rassembleuses. Ceci dit, nous restons conscients qu'il ne s'agit pas d'unanimisme ! Une fois le processus de transition est achevé convenablement, chacun défendra son projet de société librement et le peuple algérien tranchera par voie électorale.» En attendant, il va de l'avenir du mouvement que l'«unité dans la parole» soit traduite en «action dans l'unité» (voir l'entretien avec le politologue Nedjib Sidi Moussa). – Tahar Belabbas… l'invité surprise ! Enfin libre de voyager, le syndicaliste et militant des droits de l'homme, Tahar Belabbas, de passage à Paris, s'est dit «fasciné par le sens d'organisation, la fraternité et le dévouement de notre communauté pour l'Algérie. Cela prouve que les Algériens, où qu'ils se trouvent dans le monde, partagent avec leur peuple le bonheur et le malheur ! Ils savent que leur avenir, même loin du pays, est indissociable de celui-ci. Dès le début du hirak, et aussi avant, ils se sont engagés pour défendre la démocratie et les droits de l'homme». Il a, à ce propos, remercié tous ceux qui se sont mobilisés pour la levée de l'interdiction de quitter le territoire qui le frappait depuis 2015 jusqu'à la semaine dernière. Il a également lancé un appel pour se mobiliser afin d'exiger la libération de Hadj Ghermoul, l'un des premiers activistes à avoir exprimé son refus d'un cinquième mandat à travers une pancarte publiée sur les réseaux sociaux. L'enfant terrible de Ouargla, ancien porte-parole du Comité national de défense des droits des chômeurs (CNDDC), a conclu en émettant le souhait que «la mobilisation populaire se poursuive afin d'éviter un retour à l'avant 22 février. Maintenant que la peur a changé de camp, il faut profiter pour construire nous-mêmes notre avenir et éviter de tomber dans le piège de la division, orchestré par le pouvoir selon le même procédé colonial ‘diviser pour régner'». S. G.