Le déclenchement de l'attaque a été fermement condamné par plusieurs pays qui craignent un chaos susceptible de donner une chance de rebond aux éléments dispersés de l'EI et qui plonge dans l'incertitude le sort des terroristes prisonniers des Kurdes. Malgré les mises en garde de la communauté internationale, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a fini par mettre à exécution sa menace d'attaquer les Kurdes syriens. Il a lancé hier une opération militaire contre les éléments des Forces démocratiques syriennes (FDS) et la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), alliés des Occidentaux et qui ont pourtant joué un rôle crucial dans la défaite militaire de Daech. Malgré cela, Ankara les considère comme des groupes «terroristes». Pourquoi ? Les Turcs estiment qu'ils constituent une menace pour leur sécurité en raison de leurs «liens» avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui livre une guérilla sur le sol turc. L'accusation n'est cependant pas étayée de preuves. «Les Forces armées turques (…) ont débuté l'opération ‘‘Source de paix'' dans le nord de la Syrie», a annoncé M. Erdogan sur Twitter. Cette opération vise, selon lui, «les terroristes des YPG et de Daech» et a pour objectif de mettre en place une «zone de sécurité» dans le nord-est de la Syrie. «La zone de sécurité que nous allons créer va permettre le retour des réfugiés syriens dans leur pays», a-t-il ajouté. Ankara, a confirmé l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), a mené tout particulièrement des «frappes aériennes» dans la région de Ras Al Aïn, située dans le Nord syrien à la frontière avec la Turquie. Des «raids aériens» mais aussi des tirs d'artillerie ont visé la ville de Ras Al Aïn et ses environs. Au moins deux civils ont été tués et deux autres blessés hier dans les bombardements turcs sur le village de Micharrafa, ont annoncé les FDS. Selon l'OSDH, des «milliers» de personnes ont fui les frappes aériennes d'Ankara. Un peu plus tôt dans la matinée, rapporte le New York Times, les troupes kurdes, pressentant une attaque imminente, avaient mis en garde contre «une catastrophe humanitaire», alors les forces turques se massaient le long de la frontière. Beaucoup craignent que «si les Kurdes sont contraints de se défendre contre les Turcs, il est probable qu'ils déplaceront leurs forces qui se battent actuellement contre Daech». Autre risque : «Les combattants (kurdes) qui surveillent les quelque 10 000 prisonniers islamistes qui se trouvent dans des centres de détention kurdes» risquent eux aussi d'être envoyés sur le front et de laisser ces djihadistes sans surveillance. Supplétifs syriens Cette offensive, que la Turquie menaçait depuis plusieurs mois de lancer, est la troisième que mène Ankara en Syrie depuis 2016. Au moins 18 000 combattants syriens supplétifs d'Ankara ont été mobilisés pour y participer, a affirmé hier un de leurs porte-parole. Ces combattants appartiennent à des factions regroupées au sein de l'Armée nationale syrienne (ANS), une coalition de groupes armés, financés et entraînés par Ankara. Le président américain, Donald Trump, a semblé donner son feu vert dimanche à une telle opération avant de revenir sur ses propos et d'assurer que les Etats-Unis n'avaient «pas abandonné les Kurdes». Mais au final, il s'avère que la Maison-Blanche les a bel et bien lâchés. Autrement, Ankara n'aurait pas mené son opération. Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l'Otan, organisation dont fait partie la Turquie, n'a d'ailleurs pas condamné l'offensive. Il s'est contenté d'appeler Ankara à la «retenue» et à ne «pas compromettre les succès réalisés» contre le groupe terroriste Daech. Hypocrisie occidentale Habituellement lente à la détente, la Ligue arabe, par le biais de son secrétaire général, Ahmed Aboul Gheit, a cette fois réagi avec célérité et véhémence à l'attaque turque. Elle a dénoncé une «violation flagrante de la souveraineté syrienne» et évoqué «une grave menace à l'intégrité territoriale de la Syrie». «Les projets turcs ouvriront également la porte à une plus grande détérioration des conditions humanitaires et sécuritaires en Syrie», a ajouté Ahmed Aboul Gheit. Le président en exercice du Conseil de sécurité de l'ONU, l'ambassadeur sud-africain Jerry Matthews Matjila, a appelé quant à lui la Turquie à «épargner les civils» et à «exercer un maximum de retenue» dans ses opérations militaires en Syrie. L'UE a exigé de son côté l'arrêt de l'offensive Turque en Syrie et menacé de couper ses financements. A l'instar de Bruxelles, la France a aussi condamné «très fermement» l'offensive turque. Le président russe Vladimir Poutine, dont le pays est très influent dans la région, a appelé de son côté son homologue turc Recep Tayyip Erdogan à éviter de «porter atteinte aux efforts communs visant à résoudre la crise syrienne». Vladimir Poutine a affirmé, à l'occasion, «l'importance, à l'heure actuelle, d'éviter toute action qui pourrait saper le règlement pacifique» de la crise syrienne, notamment dans le contexte de la formation récente d'un Conseil constitutionnel. La réaction la plus virulente est venue des Etats-Unis. Le Congrès américain va faire payer «très cher» au président turc Recep Tayyip Erdogan son offensive en Syrie contre des forces kurdes alliées de Washington, a prévenu l'influent sénateur républicain Lindsey Graham. «Priez pour nos alliés kurdes qui ont été honteusement abandonnés par l'administration Trump», a-t-il écrit sur Twitter. «Je vais mener les efforts au Congrès pour qu'Erdogan paie très cher», a ajouté celui qui est d'ordinaire un proche soutien du président Donald Trump. Au moment où nous mettions hier sous presse, nous avons appris qu'une réunion en urgence et à huis clos du Conseil de sécurité de l'ONU a été demandée pour aujourd'hui sur les opérations militaires de la Turquie en Syrie par les membres européens du Conseil. Cette réunion a été réclamée par la Belgique, la France, l'Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni.