Nasreddine Lezzar fait une lecture des textes de loi régissant les relations de travail et relèvent leurs insuffisances. Il relève l'usage sélectif des mécanismes juridiques par les magistrats qui donne ainsi la possibilité aux employeurs de refuser l'application des décisions de justice. Beaucoup de travailleurs licenciés abusivement se heurtent à un autre problème, qui est celui du refus des employeurs d'appliquer les décisions de justice de réintégration. Pourquoi selon vous la justice peine à faire appliquer ses propres décisions ? Pour bien comprendre cette problématique, il faut revoir certains textes de loi, notamment la loi du statut général des travailleurs. Ce texte permettait aux magistrats qui prononçaient la décision de réintégration des travailleurs, d'ordonner en même temps le paiement des salaires échus pour la période non travaillée et de condamner l'entreprise à continuer à payer le travailleur jusqu'à sa réintégration effective. Dans ce cas, l'employeur n'a pas le choix et il préfère exécuter la décision de justice. Dans ce cas, la loi accorde le droit aux travailleurs. La donne a changé avec l'avènement de la loi 90-11 et toutes les lois venues après sont celles de l'économie de marché. Car, ces textes donnent plus de droits aux entreprises au détriment des garanties offertes aux travailleurs. On a d'abord posé le principe selon lequel il n'est pas question de payer un salaire pour une période non travaillée. Mais, le magistrat, qui condamne l'entreprise à réintégrer le travailleur licencié abusivement, exige aussi un dédommagement au profit du travailleur. Ce dernier ne saurait être inférieur à la somme qu'aurait perçu le travailleur quand il était en poste. Cela pour la période qui précède le jugement. Pour la période qui suit le jugement deux possibilités sont offertes : la première est l'astreinte comminatoire qui est une sorte d'amende de dédommagement calculée sur une base journalière que l'entreprise est obligée de payer jusqu'à la réintégration effective du travailleur licencié. C'est-à-dire que l'entreprise, qui refuse d'appliquer une décision de justice, sera condamnée à payer un montant donné (entre 2000 à 5000 Da/jour) jusqu'à la réintégration du travailleur licencié. Mais c'est une méthode à laquelle les magistrats recourent de manière sélective. Un autre texte intervient également pour affirmer que les décisions de justice sont exécutoires sous réserve d'une sanction pénale, qui est le code pénal. Mais à ma connaissance aucune sanction dans ce sens n'a eu lieu ; on n'a jamais condamné un gestionnaire à une peine de prison. Car, on considère que la réintégration ou la non-réintégration d'un travailleur est un acte de gestion, pas un délit. Il y a une autre technique qui est proposée par la loi et qui est appliquée d'une façon maladroite : il s'agit de la technique qui dispense l'entreprise de la décision d'intégration en octroyant, en contrepartie, aux travailleurs indûment licenciés une indemnité de réparation pour la perte de l'emploi. Cette technique a été créée pour éviter des problèmes à l'intérieur des entreprises. Cette indemnité remplace-t-elle la perte d'un emploi ? Le texte de loi subordonne le versement de cette indemnité de dédommagement à l'acceptation du travailleur. De plus, le même texte exige à ce que la proposition de dédommagement émane de l'employeur pendant le procès et avant la prononciation de la sentence. C'est une sorte de rupture conventionnelle de la relation de travail. C'est une bonne technique, mais malheureusement, les magistrats l'appliquent d'une manière maladroite, dans la mesure où le recours à cette technique n'intervient qu'après refus de réintégration. C'est-à-dire que l'employé est obligé de revenir une nouvelle fois devant le tribunal pour obtenir un dédommagement. Et là, on ne se soucie pas du fait que cela constitue des charges supplémentaires pour le travailleur qui n'a pas les mêmes ressources que l'entreprise. Le deuxième problème qui se pose est l'évaluation du dommage. La loi n'a donné aucune indication. Toutefois, certains magistrats s'alignent sur le principe appliqué pour la perte d'emploi pour des raisons économiques : une année de salaire par mois de travail. Mais ce n'est pas la même chose. Car, quand on est indûment licencié, le travailleur est touché dans son amour propre. Ce problème devrait être pris en charge. Le travailleur indûment licencié et dont l'employeur refuse d'appliquer la décision de justice concernant sa réintégration est doublement lésé. Pourquoi, selon vous, cette double injustice ? En effet, il y a d'abord une action préliminaire qui oblige le travailleur à passer d'abord par l'inspection du travail avant d'intenter une action en justice. Nous n'avons pas de statistiques mais, malheureusement, l'observation le confirme : le passage par la procédure de conciliation devant l'inspection du travail est une procédure qui n'aboutit presque jamais. De plus, c'est une procédure qui prend plus de temps et pour laquelle l'employeur recourt, parfois, à son prolongement. Pour cela, je pense que c'est un préliminaire qui est parfois inutile, car les questions relatives aux salaires des travailleurs est une question qui urge. De plus, l'inspection du travail ne fait qu'enregistrer le conflit entre les deux antagonistes. Il faut également souligner que les employeurs ne se présentent même pas à cette séance de conciliation. Y a-t-il un texte de loi qui oblige la justice à suivre l'affaire jusqu'à l'application de la décision de réintégration ? Malheureusement, la justice ne joue pas son rôle. Les magistrats n'exploitent pas les possibilités techniques qui existent, notamment l'astreinte comminatoire et les poursuites pénales des employeurs récalcitrants. Il est vrai que la condamnation d'un responsable pourrait perturber le fonctionnement de l'entreprise. Mais on aurait pu réfléchir à la condamnation de la personne morale.