Votre journal m'a ouvert aimablement ses colonnes dans l'édition du 6 juin 2010 dans le cadre du dossier sur les licenciements abusifs et la non-exécution des décisions judiciaires de réintégration. Le journaliste Madjid Makedhi m'a cordialement présenté comme spécialiste des affaires sociales. Je souhaite commencer par préciser que je n'ai aucune prétention à cela, il m'est arrivé de prendre en charge quelques affaires sociales dont j'ai tiré de modestes enseignements. Cela ne fait pas de moi un spécialiste de cette matière complexe, loin s'en faut . L'objet de la contribution que je souhaite présenter est un complément relatif à l'astreinte comminatoire, évoquée dans l'article, question technique qui joue un rôle cardinal dans l'exécution des décisions judiciaires. La théorie de la conversion d'une obligation de faire en une obligation de payer où la jurisprudence d'une politique : Les juges du travail ont cherché une solution au droit du travail dans les techniques du code civil, cette errance aura naturellement des inconséquences. La transposition manque de rigueur. Cette adaptation est la suivante : L'employeur qui entendait refuser l'exécution d'une décision judiciaire de réintégration se verrait condamné à payer une somme d'argent, comme obligation de substitution. Cette somme serait le dédommagement du travailleur pour l'inexécution et donc la perte abusive d'un emploi. Cette conversion d'une obligation de faire en une obligation de payer est prévue par le code civil devant une impossibilité d'exécuter et non devant le refus de la faire, comme c'est le cas des employeurs qui s'offrent le luxe d'écarter allégrement les décisions judicaires, tout comme ils prennent des libertés avec le droit. Ainsi naquit une pratique qui se consacra rapidement et qui consistait, pour les magistrats, face à une inexécution d'une décision de réintégration, à procéder à une substitution d'une somme d'argent consommable et fongible à un emploi permanent et viager, et ainsi solder d'une façon inéquitable et inique les comptes d'un travailleur que la justice imposait. La décision a sa sagesse et la technique pertinente ; tout comme on ne peut forcer une vie conjugale, il est impossible et inconcevable d'obliger un employeur et un travailleur à une relation de travail forcé. Le problème est que le dédommagement accordé est souvent disproportionné. Le solde de tout compte ne couvrait pas tous les dommages. Il faut rappeler que cette jurisprudence, ou plutôt pratique, trouve son origine dans une instruction de M. Ouyahia, qui déclara qu'il n'y avait pas de possibilité d'obliger les employeurs à exécuter les décisions de réintégration. Le Premier ministre avait le souci des entreprises, forcées par le programme d'ajustement structurel à licencier des foules de travailleurs. L'incompétence d'une part et l'urgence de l'autre ont fait que ces opérations se faisaient souvent dans des irrégularités formelles d'où des décisions de réintégration difficilement exécutoires. Le ministre de la Justice, M. Adami, fera une déclaration allant dans le même sens. Les magistrats ont découvert une théorie et consacré une pratique, et c'est ainsi que germa la jurisprudence de cette politique. Quelque temps plus tard, le même Premier ministre (connu pour dire et faire la chose et son contraire) promulgua un texte pénal coercitif en direction des gestionnaires qui s'opposaient aux jugements de réintégration. Ce texte eut une application sélective par la jurisprudence et la pratique. Revenons maintenant à l'astreinte comminatoire qui, tout en touchant le même domaine, à savoir l'exécution, ou plutôt l'inexécution des décisions judiciaires de réintégration, est une mesure et une technique judiciaire d'une tout autre nature. L'astreinte comminatoire, pression sur l'employeur ou réparation au travailleur : Une autre mesure appliquée par certains magistrats est la condamnation de l'employeur à une astreinte ou amende comminatoire qui consiste à condamner l'employeur récalcitrant au paiement d'une somme déterminée pour chaque jour d'inexécution ou de retard d'exécution. L'astreinte comminatoire est un moyen de coercition pour forcer la main aux récalcitrants face aux décisions judiciaires. Le sens en français de cette astreinte a la qualité d'une mesure révocable, destinée à faire pression sur le débiteur, et qui est ou n'est pas appliquée selon les circonstances. Jugement, sentence comminatoire (Ac. 1798-1932). L'expression en arabe est plus évocatrice « ghrama tahdidia », en ce sens qu'elle constitue un menace. Les modalités de son calcul, une somme/jour applicable depuis la date du jugement devient exécutoire jusqu'à son exécution, confirment cette tendance. Les dispositions du code civil en la matière sont édifiantes et sans équivoque Art174.- Lorsque l'exécution en nature n'est possible ou opportune que si le débiteur l'accomplit lui-même, le créancier peut obtenir un jugement condamnant le débiteur à exécuter son obligation, sous peine d'une astreinte. Si le juge trouve que le montant de l'astreinte est insuffisant pour vaincre la résistance du débiteur, il peut l'augmenter chaque fois qu'il jugera utile de le faire. Art. 175.- Lorsque l'exécution en nature est obtenue ou lorsque le débiteur persiste dans son refus d'exécuter, le juge fixe le montant de l'indemnité que le débiteur aura à payer, en tenant compte du préjudice subi par le créancier et de l'attitude injustifiée du débiteur. En somme et selon l'article 175, l'astreinte comminatoire peut être appliquée même lorsque l'exécution en nature puisqu'elle peut être payée même « lorsque l'exécution en nature est obtenue ». Une complication au détriment de la simplicité technique : Les juges du social compliquant la question en dépit de la simplicité technique, ont converti, ou plutôt perverti, cette pression en un dédommagement accordé en contrepartie de l'inexécution d'une décision judiciaire de réintégration. Cette position, ou cette conversion, s'exprime lorsque vient le moment de liquidation de l'astreinte. La liquidation est une procédure qui vient après une certaine période calculer en monnaie le montant auquel est arrivée l'astreinte . Le calcul est pourtant simple, « montant x, nombre de jours », mais c'est là que les applications divergent pour des raisons inexpliquées. Certains magistrats ont cru devoir écarter le caractère progressif et durable en ordonnant en une seule fois une liquidation définitive alors qu' en fait cette liquidation ne peut être que provisoire et doit être renouvelée tant que durera la résistance. Dans d'autres cas, des juges se sont arrogé un droit discrétionnaire d'évaluer le montant en écartant carrément le montant de celle-ci et considérant que la réparation doit être ramenée à un montant raisonnable . Le « raisonnable » que les juges déterminent d'une façon discrétionnaire a consisté dans un cas d'espèce dans un tribunal de l'Algérie profonde à ramener le montant fixé au1/20 de la somme déterminée par une liquidation . En outre, cette liquidation a été définitive, alors qu'elle ne devait être que provisoire, et a soldé les comptes d'un grave préjudice découlant d'une perte abusive d'un poste de travail. Là où le bât blesse, c'est que c'est le même juge qui a fixé l'astreinte dans un premier jugement qui a décidé de la ramener à un montant aussi dérisoire. Deux problèmes se posent : 1 - Le déni de justice qui a consisté, pour un juge, à remettre en cause l'exécution de son propre jugement. 2-L'insignifiance du montant accordé pour la réparation d'un double préjudice et d'un double abus : la perte abusive d'un emploi et la non-exécution d'une décision judiciaire de réintégration. Pour parler clairement et parler chiffres, le montant de la liquidation provisoire avoisinait les deux millions de dinars. Le juge ramena ce chiffre à une réparation définitive de 100 000 DA Insignifiante sanction d'un employeur qui viola toutes le lois du travail protégeant la dignité des travailleurs de ce pays et qui bravera la justice en refusant allègrement d'exécuter une décision judiciaire. Insignifiante et insultante réparation de tous les dommages matériels et moraux d'une perte d'un emploi permanent. Nous ne comprenons vraiment pas où les magistrats sont allés puiser les ingrédients d'une interprétation pareille. Une question : A combien un magistrat évaluerait-il les dommages causés par une perte de son poste de travail ? La jurisprudence du droit du travail est toujours l'expression et la consécration d'une politique. Le juge social, comme tous les autres juges, se forme une conviction morale pour laquelle il se met à chercher inconsciemment un soubassement juridique. Par leurs interprétations tendancieuses des règles du droit du travail, les magistrats se retrouvent les instruments d'une politique réductrice des droits de la citoyenneté dans le monde du travail. Seule la justice peut conforter la citoyenneté dans le monde du travail (et aussi ailleurs) devant la précarité grandissante et l'insécurité de l'emploi. En tolérant et en encourageant, par une lecture inappropriée des textes, l'inexécution des décisions judiciaires de réintégration, les juges sapent l'autorité de la justice . L. N.- E. : Avocat