Excessif et révolté, l'écrivain et prix Nobel de littérature portugais José Saramago est mort sereinement vendredi à 87 ans entouré des siens sur l'île espagnole de Lanzarote, laissant une œuvre marquée par une imagination débordante et un goût prononcé pour la polémique. L'auteur de Le Dieu Manchot, L'Evangile selon Jésus Christ ou Le Radeau de Pierre est « parti d'une façon sereine et tranquille, entouré de sa famille, des suites d'une défaillance organique multiple, après une longue maladie », a annoncé un communiqué de sa Fondation. Victime d'une pneumonie en 2008, Saramago avait été hospitalisé à plusieurs reprises depuis lors, continuant toutefois d'écrire des romans mais aussi de crier son indignation sur l'état du monde. Ardent défenseur des déshérités et des opprimés, adversaire virulent de l'ancien président américain George W. Bush comme du chef du gouvernement italien Silvio Berlusconi, Saramago avait fait siennes les causes sahraouie et surtout palestinienne, allant jusqu'à comparer Ramallah à Auschwitz lors d'une visite en 2002 en Cisjordanie. En rupture avec son pays après le scandale provoqué en 1992 dans les milieux catholiques par son Evangile, qui dépeignait Jésus perdant sa virginité avec Marie-Madeleine, Saramago s'était « exilé » l'année suivante aux Canaries en compagnie de sa deuxième épouse, Pilar del Rio. Réconcilié depuis avec ce fils toujours rebelle, le Portugal a décrété deux jours de deuil national, samedi et dimanche, pour rendre hommage au seul écrivain du pays à avoir reçu le prix Nobel, en 1998. « José Saramago a été l'auteur portugais contemporain le plus traduit, avec des livres édités dans le monde entier », a souligné le gouvernement socialiste, réuni vendredi soir en Conseil des ministres extraordinaire. « José Saramago restera une référence de notre culture dont la vaste œuvre littéraire doit être lue et connue par les générations à venir », avait auparavant déclaré le président de centre-droit, Anibal Cavaco Silva, catholique pratiquant, peu suspect de sympathie politique avec l'écrivain, notoirement communiste et anticlérical. Au nom du Parti communiste portugais, son secrétaire général, Jeronimo de Sousa, a fait part de son immense douleur » après la mort de ce « grand militant » qui avait adhéré au parti dès 1969, sous la dictature d'Antonio Salazar. En Espagne, le chef du gouvernement socialiste, José Luis Zapatero, a rendu hommage à un écrivain considéré comme « l'un des nôtres » et qui a souvent porté « la voix des plus faibles ». Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, a lui aussi salué un « homme engagé en faveur des libertés ». Le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a qualifié de « perte » pour la communauté lusophone la mort de Saramago. « La communauté lusophone est très fière de ce qu'a apporté son talent pour grandir notre langue », a-t-il déclaré dans un communiqué. Pour le président de l'Union des écrivains et des artistes cubains, Miguel Barnet, Cuba « perd un grand ami et la littérature universelle un exemple de moralité et de créativité pérenne ». La dépouille de Saramago sera rapatriée samedi à Lisbonne à bord d'un avion militaire portugais, avant d'être exposée dans une chapelle ardente à la mairie, jusqu'à son incinération prévue dimanche à la mi-journée. Né le 16 novembre 1922 à Azinhaga, village du centre du Portugal, José Saramago a publié en soixante ans une trentaine d'œuvres, des romans mais aussi de la poésie, des essais et des pièces de théâtre. Depuis 2008, il alimentait régulièrement un blog dans lequel il commentait l'actualité et exprimait ses colères (http://caderno.josesaramago.org). Vendredi, le blog de Saramago affichait un dernier message « Penser, penser », mis en ligne par sa Fondation et se concluant par ces mots : « Il me semble que, sans idées, nous n'allons nulle part ».