Si le cerveau du système politico-militaire de ces vingt dernières années a été le clan Bouteflika, Gaïd Salah fut manifestement un de ses plus fidèles artisans. Il le fut par le biais d'une allégeance remarquée à l'ex-chef de l'Etat, puis par la mise en place d'un dispositif politique et électoral de «sauvegarde» de ce système. A partir des années 2000, au fil du temps et au gré des luttes d'appareil, Gaïd Salah gagna de l'autorité et manifesta une certaine ambition pour le pouvoir. Il mit à profit tout particulièrement l'évolution négative de la maladie de l'ex-chef d'Etat avant, contre toute attente, d'évincer celui-ci de son poste de président de la République. Montant en puissance, il écarta ou mit en prison une large partie des alliés de Bouteflika dans la finance, la politique et le renseignement. Tout cela aurait pu rester une lutte féroce de pouvoir, comme il en a toujours existé dans le pays depuis l'indépendance – même avant – si Gaïd Salah ne s'était pas opposé frontalement à une bonne partie de la population. Alors que des millions d'Algériens déferlent dans les rues de villes et villages exigeant une rupture totale avec les mœurs et les hommes du passé, l'ex-chef d'état-major impose d'anciennes figures à la tête de l'Exécutif et refuse une période transitoire conduite par des personnalités indépendantes et consensuelles. Au fil des vendredis et des mardis, un bras de fer impitoyable opposa les manifestants toujours plus déterminés au chef d'état-major qui, tout aussi inflexible, n'hésita pas à s'afficher en premier plan, s'adressant directement à la population, relayé par l'écrasante majorité des médias, tant publics que privés. La première rupture avec le hirak intervient avec l'emprisonnement de centaines de manifestants et des condamnations, souvent lourdes, vite prononcées, ainsi que par l'emprisonnement de plusieurs personnalités politiques visées pour leurs opinions. La seconde fracture fut causée par le maintien coûte que coûte d'une élection présidentielle qui se solda par un niveau record de boycott et par l'élection, malgré tout, d'un président de la République en la personne de Abdelmadjid Tebboune. Celui-ci rendit un hommage particulier à Gaïd Salah lors de son intronisation, quatre jours avant le décès de ce dernier, une disparition qui pose maintenant certaines interrogations. L'intérimaire du chef d'état-major, le général-major Saïd Chengriha, est réputé pour être un pur militaire, sans penchant pour la politique. C'est peut-être là le signe que le futur patron de l'armée aura ce profil de neutralité et, qu'en d'autres termes, le reflux de l'institution militaire de la politique vers la caserne est un processus qui peut commencer. Ce désengagement de la vie politique est réclamé et attendu depuis 1962. Il est au cœur de la crise multidimensionnelle qui affecte le pays et une des revendications populaires clés. Pour qu'il soit effectif réellement, il faudrait que le président de la République confie la destinée de l'armée à un ministre de la Défense civil et que la révision constitutionnelle promise réaffirme de la manière la plus solennelle la primauté du politique sur le militaire, et que soit consacré définitivement l'Etat civil. C'est un des chantiers les plus délicats de Abdelmadjid Tebboune, qui devra rallier autour de lui toute l'institution militaire, dont la complexité n'est pas à démontrer, tant elle a toujours fonctionné d'une manière quasi autonome dans un pays où elle a été mêlée, sciemment ou contre son gré, à toutes les crises. Chacune a laissé des traces, souvent très lourdes, plus particulièrement la décennie 90′. Mais celles de ces derniers mois, d'une autre nature, ne sont pas à négliger, tant elles ont impacté une bonne partie de la société algérienne. Elles ont la particularité de toucher aux choix de la société, c'est-à-dire aux libertés publiques et individuelles et à la démocratie. Elles commandent un traitement particulier et délicat avec toutes les couches de la population et les acteurs de la vie politique non impliqués dans la gestion antérieure. Le préalable évident est l'installation, par les nouvelles autorités, d'un climat général de détente. Rien ne peut se faire ni se discuter, si les gêoles sont remplies de détenus d'opinion.