Alors que la vie politique nationale ne se remet pas encore de la trêve estivale, la vie militaire, quant à elle, connaît un été des plus mouvementés. Le chef d'état-major l'ANP, Ahmed Gaïd Salah, lui, apparaît comme l'homme le plus actif en cette période pré-présidentielle chargée d'incertitudes telle une «nuit de doute». Dans la foulée des limogeages brusques des chefs de la police et de la gendarmerie nationale et de quelques hauts gradés, le ministère de la Défense nationale s'est séparé des chefs de Régions militaires en poste depuis plus d'une décennie. Sur «ordre du président de la République et chef suprême des forces armées», le chef d'état-major s'est chargé d'accompagner à la porte de sortie les chefs de la 1re et de la 2e Régions militaires, Habib Chentouf et Saïd El Bey. Dans un mouvement aussi inattendu qu'inédit, ces deux généraux-majors ont vu d'un coup leur carrière basculer. Ce sont désormais des ex, et ce, depuis le 16 août. Le premier était «destiné» à remplacer l'actuel chef d'état-major. Depuis la reconduction de Abdelaziz Bouteflika à la tête de l'Etat en avril 2014, ce général-major qui dirige la stratégique 1re Région militaire lorgnait les Tagarins. Il avait les yeux rivés sur le fauteuil qu'occupe Ahmed Gaïd Salah depuis 2004. Les tentatives d'introniser le major Chentouf ont buté sur le refus catégorique de l'actuel homme fort de l'armée. Depuis, les deux hommes se regardaient en chiens de faïence. Entre eux, la méfiance régnait. Appliquant à la lettre les paroles du Prophète, «la guerre c'est la ruse», Ahmed Gaïd Salah semble attendre le moment «idéal» pour sacrifier celui qui voulait lui ravir le «haut siège». Et quel contexte ! Celui induit par la «cocaïnegate». Le temps de la suspicion générale. A tort ou à raison, l'opinion publique lie tout limogeage civil ou militaire à cette scabreuse affaire. Il était évident dès le départ que la saisie des 701 kg de cocaïne au port d'Oran allait être «exploitée à fond». Quant à Saïd El Bey, retranché dans sa 2e Région militaire, sa mise à la retraite ne semblait pas à l'ordre du jour. Une surprise ! En tout cas pas de cette manière. Lui qui a dirigé la 1re Région en pleine guerre contre le terrorisme avant de prendre les commandes du Nord-Constantinois (5e Région) nourrissait l'ambition de finir chef d'état-major ou tout au moins général de corps d'armée. Il n'aura ni l'un ni l'autre. Sa frustration est totale, mais il est forcé de ravaler sa colère. Ainsi, ces deux changements majeurs vont inaugurer visiblement un mouvement plus large au sein de la grande muette. Point d'orgue d'une série de limogeages et de «recasements». C'est la valse des généraux. Fin d'une époque Contre toute attente et au lendemain de la fête de l'Aïd où les Algériens étaient occupés à dissocier le «mouton», on apprend le limogeage du patron de la Direction centrale de la sécurité de l'armée (DCSA), le général-major Mohamed Tirache, dit Lakhder. Une autre surprise. Selon des sources, l'homme aurait appris la nouvelle de sa «mise au repos» à la télévision. En poste depuis 2013 en succédant à Djebbar Mhenna, le désormais ex-patron de la DCSA était un haut gradé discret et qui ne faisait pas de vague. Il a hérité d'une tâche aussi sensible que délicate dans une période particulièrement agitée, notamment au plan opérationnel, au regard des foyers de tension qui cernent les frontières nationales. Au plan interne, sa mission n'était pas non plus aisée, dès lors qu'il arrive au moment d'une forte méfiance et d'accusations graves au sein de l'armée, qui avaient conduit à «la mise à la retraite» du puissant patron du Département du renseignement et de la sécurité, le général de corps d'armée Mohamed Mediène, dit Toufik. De toute évidence, ce mouvement au sein de l'appareil militaire n'en est qu'à ses débuts. D'autres hauts gradés vont «perdre leurs étoiles». On évoque avec insistance la mise à la retraite des commandants des 3e et 4e Régions dirigées respectivement par les généraux-majors Saïd Chengriha et Cherif Abderrazak. D'autres hauts dignitaires militaires sont également sur la liste. L'annonce de leur départ semble bien agencée. Pas tous à la fois pour ne pas provoquer des «dysfonctionnements». Cependant, cette grande vague de «licenciements» ne manquera pas de soulever nombre d'interrogations. La raison du «rajeunissement et de l'alternance dans les responsabilités» ne peut, à elle seule, expliquer ce mouvement. S'il est évident que tous ceux envoyés à la retraite ont largement dépassé l'âge légal (64 ans pour le général de corps d'armée et 60 ans pour le général-major), leurs successeurs appartiennent à la même catégorie d'âge. Des quasi-septuagénaires. Il est vrai que dans le statut général des personnels militaires, le président de la République s'est arrogé une prérogative stipulant qu'une «dérogation d'âge peut être accordée par le président de la République aux officiers généraux et supérieurs occupant de hautes fonctions de la hiérarchie militaire». Une exception devenue la règle depuis près de deux décennies. En somme, ces changements opérés au sein de l'ANP ne peuvent pas exclure de toute évidence une interprétation politique. Le temps choisi s'y prête en effet. Le chef d'état-major Ahmed Gaïd Salah semble tirer son épingle du jeu. Il apparaît comme un chef qui tient ses troupes et qui est à la manœuvre pour «injecter du sang neuf» dans son institution. Mais une question agite tous les esprits : sera-t-il concerné par ce mouvement qu'il a lui-même enclenché ? D'évidence, ce «renouvellement» qui touche le haut commandement signe la fin d'une génération, d'une époque, mais pas forcément celle d'une «culture».