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2019 : Le formidable éveil populaire
Publié dans El Watan le 31 - 12 - 2019

Depuis la manif' historique du 22 février, le mouvement populaire n'a eu de cesse de renouveler son répertoire de mots d'ordre, enrichissant au fil des semaines sa batterie de slogans et faisant preuve à chaque fois d'une formidable créativité.
En passant en revue les principaux slogans qui ont jalonné cette impétueuse année 2019, le premier mot qui nous vient à l'esprit est «Silmiya !» (Pacifique !). A la moindre charge de la police, à la moindre attitude agressive d'un insurgé, on entendait «Silmiya ! Silimiya !» (Pacifique ! Pacifique !) Et c'est devenu la marque de fabrique du mouvement, ce qui explique l'appellation «Silmiya» dont l'a affublé une partie de l'opinion longtemps avant l'apparition du mot «hirak» dans le dico des manifestants.
Fruit d'un élan d'indignation massif contre le système Bouteflika, le mouvement s'est d'abord exprimé contre le 5e mandat de Boutef. Aussi, l'un des tous premiers slogans entendus dans les manifs aura été le truculent «Makache el khamssa ya Bouteflika, djibou el BRI ou zidou essaîqa !» (Pas de 5e mandat, Bouteflika, ramenez la BRI et les forces spéciales).
Il faut dire que ce couplet fracassant résonnait vigoureusement dans les stades avant d'investir la rue. On se souvient du très pertinent «Makache er-Raïs kayen tswira… !» (Il n'y a pas de Président, il y a juste une photo) qui résumait admirablement l'état de déliquescence de la fonction présidentielle qui n'était plus incarnée par la personne physique du Président mais par un cadre photographique trimballé de cérémonie en cérémonie dans une mise en scène ubuesque.
En évoquant les chants des stades qui enflammaient les manifs, la palme revient incontestablement à La Casa d'El Mouradia, un chef-d'œuvre signé Ouled El Bahdja qui est vite devenu l'hymne de l'insurrection populaire : «Saâte el fedjer ou madjani noum/ Rani n'consommi ghir bechouiya… !» (C'est l'aube, je n'ai toujours pas trouvé le sommeil, je consomme par petites doses).
Jusqu'au départ forcé de Abdelaziz Bouteflika, c'est principalement le président et sa bande, la fameuse «i3ssaba», qui subissent le feu de la contestation. A la tête du clan : Saïd Bouteflika. Les manifestants ne le ratent pas. «Hada echaâb la yourid, Bouteflika we Saïd !» (Ce peuple ne veut pas de Bouteflika et Saïd), scandent-ils. On pouvait entendre aussi : «Djoumhouria, machi mamlaka !» (C'est une République, pas une monarchie).
«Yetnahaw ga3 !»
Le 11 mars, sous la pression populaire, Bouteflika, de retour de Genève, annonce par le biais d'une énième lettre lue à la télévision qu'il renonce à briguer un 5e mandat. L'élection du 18 avril est annulée. Première grande victoire pour le mouvement populaire. Le soir de l'annonce, alors qu'une journaliste de la chaîne Sky News Arabia fait un live sur la rue Didouche pour recueillir les impressions des citoyens suite au retrait du Président, elle est interrompue par un jeune homme en colère qui lâche : «Yetnahaw ga3 !» (Qu'ils dégagent tous !).
Le dégagisme a désormais un slogan et un visage. Il faut reconnaître que la formule est d'une redoutable efficacité, un peu à la «Yes we can» qui a fait la fortune d'Obama. Elle est reprise à toutes les sauces : «Echaâb yourid yetnahaw ga3 !» (Le peuple veut qu'ils partent tous) «Hé, viva l'Algérie ! yetnahaw ga3 !» «Mzinou n'har el youm yetnahaw ga3 !» (Quel beau jour aujourd'hui, ils dégagent tous !)… Si Bouteflika ne brigue pas un 5e mandat, il ne démissionne pas pour autant, ce qui inspirera ce refrain caustique «Ma tzidche dqida ya Bouteflika !» (Pas une minute de plus, Bouteflika !)
Le thème de la corruption va rapidement s'imposer également, aux cris de «Klitou lebled ya serraquine !» (Vous avez pillé le pays, bande de voleurs). Autre slogan à succès durant cette première phase du mouvement : «El bled bladna we endirou rayna !» (Ce pays est le nôtre et on y fera ce qui nous plaît).
Après le départ de Boutef le 2 avril, feu Ahmed Gaïd Salah, qui était jusque-là épargné par les manifestants, va devenir progressivement l'une des cibles favorites des frondeurs. Cela commence doucement avec ce slogan plutôt sympa : «Sorry, sorry, Gaïd Salah, echaâb hada machi djayeh, goulna yetnahaw ga3 !» (Désolé Gaïd Salah, ce peuple n'est pas dupe, on a dit ils dégagent tous).
«Pas de chantage, libérez les otages !»
Toutefois, l'interdiction du drapeau amazigh et les campagnes d'arrestation, qui vont s'abattre sur plusieurs manifestants et autres figures du hirak, vont nourrir quantité de slogans hostiles au pouvoir de fait incarné par AGS : «Dawla madania, machi askaria !» (Etat civil, non militaire), «Had echaâb la yourid hokm el askar min djadid !» (Ce peuple ne veut pas d'un nouveau régime militaire), «Les généraux à la poubelle, wel Djazaïr teddi l'istiqlal !» «Y en a marre des généraux !» «El Djeich dialna wel Gaïd khanena !» (C'est notre armée mais Gaïd nous a trahis)…
A partir des arrestations massives du 21 juin, il ne se passera plus un seul vendredi ni un seul mardi où les foules n'exigent la libération des détenus d'opinion en martelant : «Harrirou el moataqaline !» (Libérez les détenus), «Harrirou el massadjine, ma baouche el cocaïne !» (Libérez les détenus, ils n'ont pas vendu de cocaïne), «Makache echantage, libérez les otages !»
A noter aussi la montée des slogans anti-élection dès que la date du 4 juillet a été cochée sur le calendrier pour la tenue de l'élection présidentielle. Le slogan «Makache intikhabate ya el issabate !» (Pas d'élections avec les gangs) fait alors son entrée bien avant le scrutin du 12 décembre. Le 5 juillet, pour le 57e anniversaire de l'indépendance, qui coïncidait avec le 20e vendredi du hirak, un cri cinglant va fuser furieusement : «Echaâb yourid el istiqlal !» (Le peuple veut l'indépendance).
Tebboune, nouvelle cible des manifestants
Autres chants répétés avec ferveur : ceux scandés à la gloire de deux figures de la Révolution : Ali Ammar, dit Ali La Pointe, et le Colonel Amirouche. Dans les deux hymnes, ces mots de détermination : «Makache marche arrière !» Chronologiquement, il y a eu d'abord cette complainte adressée au héros de la Bataille d'Alger : «Ya Ali Ammar, bladi fi danger. Nkemlou fiha la Bataille d'Alger. Makache marche arrière eddoula fourrière. El yed fel yed neddou l'istiqlal !» (Ali Ammar, mon pays est en danger.
Nous allons continuer la Bataille d'Alger. Pas de marche arrière, le gouvernement est à la peine. Main dans la main, on arrachera l'indépendance). Après, il y a eu ce serment ardent : «Ahna ouled Amirouche, marche arrière ma n'ouellouche, djaybine el houria !» (Nous sommes les enfants de Amirouche, pas de marche arrière, on arrachera la liberté).
A l'approche de la rentrée, les manifestants brandissent une nouvelle arme : la désobéissance civile. On entend alors les foules crier : «Rahou djay, rahou djay, el issyane el madani !» (La désobéissance civile arrive).
Et lorsque Abdelkader Bensalah, le chef de l'Etat par intérim, convoque une nouvelle fois le corps électoral en fixant l'élection pour le 12 décembre, le rejet du scrutin va s'exprimer avec énergie pendant trois mois : «Dégage Gaïd Salah, had el âme makache el vote !» (Pas de vote cette année), «Makache intikhabate maâ el issabate !» (Pas de vote avec les gangs), «Dirouna les menottes, makache el vote !» (Mettez-nous les menottes, pas de vote), pouvait-on entendre dans les marches.
Après la disparition du chef d'état-major, Ahmed Gaïd Salah, le 23 décembre, terrassé par une crise cardiaque, c'est le nouveau locataire d'El Mouradia qui est devenu la cible principale des manifestants, comme on a pu l'entendre vendredi dernier : «Dégage Madjid Tebboune, had echaâb machi aggoune !» (Dégage Tebboune, ce peuple n'est pas idiot), «Tebboune m'zewar, djabouh el askar !» (Tebboune est un «président truqué», il a été ramené par les militaires), «Allah Akbar ma votinache, Tebboune dialkoum ma yehekemnache !» (Dieu est grand, on n'a pas voté, votre Tebboune ne nous gouverne pas)…
A retenir enfin ce nouveau slogan entonné en boucle, et où l'on retrouve le mot «silmiya», l'ADN de l'insurrection pacifique : «Enkemlou fiha ghir be silmiya, ou ennehou el askar mel Mouradia !» (On poursuivra notre lutte pacifiquement, et on boutera les militaires du palais d'El Mouradia).


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