« Mon père était un chercheur d'or, l'ennui, c'est qu'il en a trouvé. » Jacques Brel Plus de 30 ans après, les Islandais se sont rappelés du formidable coup de pub qu'il avait fait à leur capitale Reyjavick. Au plus fort de la guerre froide, Fischer se faisait un point d'honneur d'humilier les Soviétiques. La diplomatie parallèle venait de marquer un autre point. Les Islandais qui n'ont pas la mémoire courte lui ont rendu la monnaie de sa pièce. Ils l'ont reçu avec toute la solennité qui sied aux hôtes de marque. Mais lorsqu'il a foulé le sol islandais, on avait du mal à le reconnaître. Cheveux hirsutes, le regard perdu, muet comme une carpe, on était loin du joueur volubile et taquin qui ne se lassait jamais de plaisanter avec ses interlocuteurs. Trêve de plaisanterie. L'heure est grave. Fischer est voué aux gémonies depuis qu'il est poursuivi en Amérique pour violation de l'embargo imposé à l'ex-Yougoslavie en 1992, alors en pleine guerre civile. Fisher, avec son rival Boris Spasky a eu la sonnante idée d'y jouer quelques rondes. Traqué, Fischer fit alors le tour du monde, d'aventure en aventure. Il vécut clandestinement dans différents pays d'Asie, dont le Japon. Il fit quelques brèves apparitions médiatiques pour faire quelques déclarations très controversées, notamment à l'occasion de l'attentat du 11 septembre 2001 qui bouleversa le monde, ce qui aggrava son cas, qui devint encore plus compliqué lorsqu'il se laissa aller à des déclarations antisémites. Arrêté en juillet 2004 alors qu'il se rendait à Manille aux Philippines, il avait été placé en détention en attendant son expulsion aux Etats-Unis où il risque dix ans de réclusion. Entre temps, Fischer demande l'asile politique à l'Islande. La citoyenneté de ce pays lui a été accordée. Il y vit depuis la mi-mars. Né le 9 mars 1943 à Chicago, Bobby fut confronté dès son jeune âge aux vicissitudes de la vie. Son père Gerhardt Fischer, biophysicien allemand, divorça de sa mère Regina en 1945. C'est sa mère qui s'occupa de son éducation et de celle de sa sœur Joan, son aînée de six ans. Bobby ne verra plus son père. Regina et ses deux enfants déménagèrent dans l'Arizona puis s'installèrent deux ans plus tard à Brooklyn. Un jour de 1949, Joan pour distraire son petit frère lui acheta un jeu d'échecs au bazar du coin. Il apprit seul les règles à l'aide de la notice accompagnant le jeu. Au début, ce n'était qu'un jeu comme les autres pour le petit Bobby. Néanmoins la lecture d'un livre expliquant les parties d'échecs changea la donne. Pour preuve, Regina, sa mère, racontait que « lorsqu'il lisait ce livre, il était inutile d'essayer de lui adresser la parole ». Sa mère l'inscrivit ensuite au Brooklyn Chess Club. Il participa à son premier tournoi à l'âge de dix ans. En 1954 Bobby n'avait plus de concurrents à sa taille dans son club. Il s'inscrivit alors au prestigieux Manhattan Chess Club, fréquenté par les meilleurs joueurs du pays. Il se classe 4e en 1956 au championnat Open des Etats-Unis. Son premier réel grand succès fut le championnat juniors, des Etats-Unis qui le fit découvrir au grand public. Deux ans après, à 14 ans, il est champion incontesté des Etats-Unis, titre qui lui ouvrit les portes du championnat du monde et l'insigne privilège d'accéder au titre de grand maître international. Après ce fut une succession de succès couronnée par le titre de champion du monde en 1972, décroché en Islande face au Russe Boris Spasky. En 1975 il refusa les conditions du match face à Karpov, on le déchut alors de sa couronne mondiale. Il a y a deux moments dans la vie d'un homme où il ne doit pas spéculer : quand il n'en a pas les moyens et quand il en a les moyens Considéré par beaucoup comme le joueur d'échecs le plus brillant de tous les temps, il avait touché 3,35 millions de dollars pour jouer une « revanche » contre le champion français d'origine russe, Boris Spasky, vingt ans après sur celui qui était alors, le meilleur représentant de l'Union soviétique. Les psychanalystes n'ont eu de cesse de tenter de cerner sa personnalité, ils ne purent définir les traits énigmatiques d'un personnage hors normes. Ainsi, à New York, il remporte en 1956 le prix de la partie la plus brillante en battant l'un des dix meilleurs joueurs américains. « Il faut surveiller ce gamin », déclare le Russe Botvinnik, champion du monde en titre. En 1958, le gamin est champion des Etats-Unis. Sans pitié, il aime humilier ses adversaires. « Je jouis lorsque je casse l'ego d'un homme », dira-t-il. Le match du siècle, qu'il livrera en 1972 à Reyjavick, restera un morceau d'anthologie, non seulement dans l'échiquier et les subtilités intelligentes de déplacer les pions, mais aussi autour de cet événement qui avait à l'époque pris une véritable dimension géopolitique. Car la paranoïa du bonhomme et son caractère fantasque ont failli tout gâcher, n'était la patience des organisateurs qui avaient dû se plier aux caprices de Bobby, plus provocateur que jamais. Fisher refuse de prendre l'avion. Il craint que l'appareil ne soit mitraillé par les agents du KGB. Il se plaint du trop faible montant du prix (250 000 dollars). Il faudra une intervention personnelle de Kissinger pour le décider à se rendre en Islande. A Reyjavick, il fait un grand numéro de cirque. Il exige qu'on enlève les caméras, proteste contre le bruit, trouve des prétextes dérisoires qui exaspèrent son adversaire qui finit par jeter l'éponge. Le succès est retentissant et dépasse la sphère de la capitale islandaise, car Fisher a atomisé la supposée puissance soviétique forte de 35 grands maîtres. C'est le summum de la gloire, mais s'il peut régner sur 64 cases il lui en manque toujours une. En 1992, il joue le match de trop. Un mauvais remake de 1972, une exhibition, entre Spas ky, sponsorisée par un milliardaire yougoslave. La suite est une sinistre fin de partie. Il perd sa mère puis sa sœur, sans pouvoir se rendre à leur enterrement. Puis pris de folie, il voit le mal partout, les espions à ses trousses. Il se fait retirer ses plombages dentaires de peur que les agents soviétiques n'y introduisent des microémetteurs. Il fuit alors au Japon. Après les attentats du 11 septembre, il déclare : « J'applaudis cet acte », ce qui, naturellement, met les Américains dans tous leurs états. Ils ruent dans les brancards et lui promettent une fin terrible. La déchéance est là, puisque arrêté et emprisonné à Tokyo où il n'a le soutien que de la présidente de la Fédération japonaise d'échecs, Mme Wataï, qui est également sa confidente. « Il est très fatigué, éprouvé physiquement. Il a perdu tout espoir et foi dans l'existence », a-t-elle commenté lors de l'une de ses visites à la prison où son ami est incarcéré. Les amis de Fisher accusent les Etats-Unis de persécution politique en raison de ses opinions, le grand maître s'était laissé aller à des remarques très tranchées sur les juifs et les Etats-Unis, qualifiant les attentats du 11 septembre 2001 « de nouvelle merveilleuse ». Pour une raison inconnue, mais qui tient probablement à la violence des diatribes antiméricaines « Mort aux Etats-Unis » et antisémites « Les juifs sont des criminels » proférées par Fisher ces dernières années, Washington a décidé de prendre le « kid de Brooklyn » comme on prend une pièce sur l'échiquier. La longue dérive paranoïaque, son voyage sur la diagonale du fou, pourrait donc s'achever sur la case prison. Sa haine pour les juifs alors que sa mère était juive - a empiré. Il lit Mein Kampf et le Protocole des sages de Sion. Le grand maître américain Larry Evans se souvient l'avoir accompagné pour voir un documentaire sur Hitler : « Lorsque nous sommes sortis du cinéma, Bobby dit qu'il admirait Hitler. Je lui demandais pourquoi et il me répondit parce qu'il a imposé sa volonté au monde. » L'homme qui est raisonnable s'adapte au monde, celui qui ne l'est pas essaie d'adapter le monde à lui-même Il se dit spolié de tous ses biens et victime d'un complot fomenté par les juifs et les Américains. Sa paranoïa n'a cessé de croître. Il a quitté sa secte après que celle-ci eut lessivé son compte en banque, convaincu qu'elle était aux mains d'un « gouvernement mondial secret et satanique ».En juin 1990, le grand maître français Bachar Kouatly, qui préparait alors l'organisation du match Kasparov-Karpov à Lyon, rencontrera Fischer en Allemagne contre la somme de 5000 dollars. « Sa première réaction, raconte-t-il dans la revue Europe Echecs, fut de faire écrire sur un bout de papier - qu'il déchira de la table - que je n'exploiterai en aucun cas notre rencontre à des fins commerciales ! Je lui offris une sacoche en cuir qu'il sembla apprécier. Il me remercia à de nombreuses reprises, la touchant comme un enfant. » Le lendemain, Bachar Kouatly se promena avec le maître, qui finit par sortir son échiquier de poche, non pour jouer, mais pour montrer à son interlocuteur que les championnats du monde disputés par Karpov et Kasparov étaient, selon lui, arrangés à l'avance. Connaissant les parties par cœur grâce à sa fantastique mémoire, il insistait sur les coups étrangement faibles des deux Russes. Quant à Eric Birmingham, organisateur d'événements échiquiers, qui a réédité en 1995 le livre culte de Bobby Fischer, Mes 60 meilleures parties, ce comportement de tout ou rien s'explique par le fait que le champion américain était terrorisé par l'idée de jouer et de perdre. Une thèse relayée par le récent livre Bobby Fischer Goestowar, publié en anglais par Faber et Faber, des journalistes britanniques David Edmonds et John Eidinow, ceux-ci rappellent que, « enfant, si Fischer perdait une partie rapide, il remettait les pièces en place et demandait invariablement une autre partie ; cela cachait un besoin psychologique profond de reconstruire son image de lui - celle d'un vainqueur ». Peut-être sentait-il qu'en atteignant le but de sa vie, la couronne mondiale, il détruirait sa raison d'être. Ce qui expliquerait pourquoi il s'est, dans les années 1960, exclu lui-même de deux cycles qualificatifs pour le championnat du monde. L'un de ses proches, qui lui a gardé sa confiance, dira que « lorsque son esprit compulsif ne parvient pas à manipuler les autres comme il manipule ses pièces d'échecs, Bobby ne connaît pas la nuance et menace de ne pas jouer, à l'instar des gosses dans une cour de récréation, au risque de saboter sa propre carrière ». Parcours Né le 9 mars 1943 à Chicago, Bobby a eu une enfance difficile puique son père, un Allemand, divorça de sa mère, alors qu'il n'avait que deux ans. Joan, sa sœur aînée, l'aida à se construire une personnalité et l'orienta indirectement vers le jeu d'échecs en lui achetant un jeu alors qu'il n'avait que 8 ans. A 14 ans Bobby « le kid de Brooklyn » est champion des Etats-Unis. Ce fut alors une longue procession de titres et de distrinctions qui le classèrent parmi les maîtres les plus doués de tous les temps. Cette réputation allait déteindre sur son comportement, puisque Bobby devint agessif et associable, voire provocateur. Il a dû attentre 1972 pour décrocher le plus somptueux des titres en battant, pour la couronne mondiale, le Soviétique Spasky. Depuis, il ne se relèvera pas de la notoriété acquise. En 1992, il joue la revanche, malgré les interdictions en allant se produire en Yougoslavie en proie à la guerre civile. Il est interdit de séjour aux Etats-Unis où il est poursuivi. Il demande l'asile politique à l'Islande qui l'accepte sur son sol en lui décernant la nationalité islandaise. Il y vit depuis une quizaine de jours...