Sur fond d'élections du chef de l'Etat et de la mise à mal de la majorité au pouvoir, la Mannshaft est éliminée de la Coupe du monde. Mais elle aura permis aux Allemands de retrouver un peu de nationalisme, avec toute la retenue qui s'impose à un peuple qui sait vers quel inconnu peut aller l'amour immodéré de la patrie. Avenue du 17 Juin. Elle traverse la grande forêt centrale de Berlin pour buter contre l'imposante porte de Brandenbourg, limite entre Berlin Ouest et Est. Ici, dans ce « fan mile », grand boulevard fermé pour accueillir les milliers de supporters qui visionnent les matchs sur les écrans géants installés par la ville, la tristesse de l'élimination a succédé à la liesse des quarts et huitièmes de finale. En Algérie, on connaît les drapeaux et le regain de nationalisme issu de la qualification à la Coupe du monde. Mais à Berlin, c'est un peu plus compliqué ; si le nationalisme algérien a conduit à l'indépendance, on sait où a mené le nationalisme allemand, et les Allemands eux-mêmes le savent très bien. « Tout est dans la taille », explique Michael, fan et gérant d'un restaurant de Berlin Ouest : « Pas de grands drapeaux, ça rappelle de trop mauvais souvenirs. » C'est d'ailleurs sous cette monumentale porte de Brandenbourg que les bunkers hitlériens étaient implantés. Officiellement jamais retrouvés, détruits, selon l'armée soviétique, seul le bunker du chauffeur de Hitler a été identifié, mais fermé pour ne pas servir de lieu de recueillement pour l'extrême droite, bien implantée à Berlin-Est. Mais comme à Alger où la liesse populaire liée au football a effacé l'islamisme pour quelque temps, à Berlin, l'extrême droite s'est désamorcée toute seule devant ce regain de nationalisme footballistique. Enfin, ce n'est pas terminé pour autant, même si l'extrême droite fait ici les scores les plus bas d'Europe, elle reste autour de 10%, avec en tête le NPD, national-démocrate, bien placé dans les scrutins locaux avec 6% en 2009. 2 tours et une finale Un premier tour, puis des huitièmes, quarts et demi-finales. Mais ce n'est pas du football. Le 3 juillet dernier, en pleine Coupe du monde, les Allemands retenaient leur souffle. Pas pour un match de l'équipe allemande mais pour l'élection du Bunderprésident, le président fédéral (chef de l'Etat). Si sa fonction est surtout symbolique, le chef de l'Etat allemand n'a pas beaucoup de pouvoir mais signe quand même les lois et reste le bon indice des équilibres au pouvoir. Il aura fallu trois tours (trois fois la majorité relative) pour que la coalition au pouvoir dirigée par la chancelière Angela Merkel du CDU-CSU passe et fasse élire Christian Wulff, mais en se retrouvant en difficulté. Pour les médias allemands, « c'est à cause de sa mentalité de bunker » et pour les commentateurs politiques, « c'est sa plus lourde défaite » (les sondages post-élection donnent une avance de 22% pour l'opposition à la coalition Merkel). Mais dans la foule d'organisations politiques, Die Party, une petite formation naissante, a trouvé la faille. Ce parti populiste d'extrême centre comme il se définit lui-même, fondé par le politologue Martin Sonneborn, est hors catégorie. Il milite pour la protection des fumeurs, a vendu son temps de parole télévisé à un opérateur commercial et demande, surtout, la reconstruction du mur de Berlin. A ce titre, il a lancé une campagne d'affichage représentant le mur de Berlin et deux équipes nationales, une de l'Est et une de l'Ouest. Avec ce slogan, « Avec deux équipes, on a deux fois plus de chances de gagner la Coupe du monde ». Ironie qui se justifie après l'élimination de la Mannshaft ? Provocation ? « Bien sûr, explique Dustin Hoffman (c'est son vrai nom), le vice-président du parti. Mais selon les sondages, un cinquième des Allemands sont pour la reconstruction du mur de Berlin, il faut en tenir compte. » Si Die Party ne représente pour l'instant que 1% des votants, Angela Merkel est encore au pouvoir. Die Party avait d'ailleurs lancé une autre campagne sur le thème « Une chancelière oui, mais au moins qu'elle soit belle ». Dans un cabaret de Hambourg, Die Party avait donc organisé de nuit un concours de beauté pour élire sa représentante afin d'accéder au poste de chancelière fédérale. Après casting (« Cherche femme, belle, entre 20 et 35 ans » disait l'annonce) c'est la pulpeuse Samira El Ouassil, d'origine marocaine, qui a été élue. C'est un jeu ? Oui, mais dans une post-démocratie un peu usée par le sérieux des institutions traditionnelles et des vieux partis, il peut rapporter gros. L'argent du foot C'est un quart de finale entre l'Allemagne et l'Argentine. La porte de Brandenbourg est fermée et aux quatre coins de la ville, des voitures vertes de police sont stationnées pour éviter les dérapages. Berlin Ouest, Kurfurten Strasse, près de la vieille église, seul vestige resté debout après le bombardement allié qui a détruit 80% de la ville. Dans ce Pferdeweten, casino pour joueurs invétérés, on parie sur tout, et bien sûr, sur les matchs de football. Au milieu d'une trentaine d'écrans de toutes tailles et de bières allemandes de toutes marques, les joueurs sont dans une totale concentration. La cote ? Les parieurs ne sont pas nationalistes et l'Argentine est donnée gagnante à 1 contre 2,40 (1 contre 3,30 pour l'Allemagne). Le premier but est suivi d'une formidable ovation. Dehors, les vuvuzelas vendues par les Chinois (ce sont les plus rapides) retentissent, tandis qu'à l'intérieur, on ne sait pas si ce sont des joueurs gagnants où des supporters heureux qui explosent de joie. Dans ce casino, toutes les nationalités sont présentes (on compte 150 nationalités différentes à Berlin) et le nationalisme est difficile à voir. Plus tard, l'un d'entre eux est heureux, il avait pronostiqué la victoire allemande. Est-ce vraiment du hasard ? Dans l'aquarium d'Oberhausen, à l'ouest du pays, Paul le poulpe ne s'est en tous les cas pas trompé. Ce poulpe qui depuis l'Euro 2008 pronostique les matchs de l'équipe allemande, est devenu tout un symbole. Le principe est simple : Paul se voit présenter la même nourriture dans deux boîtes en plastique ornées du drapeau de chaque équipe. En fonction de la nourriture qu'il prend, c'est la victoire ou la défaite pour l'Allemagne. Il avait pronostiqué les trois victoires de la Mannshaft et sa défaite lors des précédents matchs d'Afrique du Sud. Les parieurs ont suivi. Il y a quelques jours, Paul le poulpe avait pris la boîte à aliments ornée du drapeau espagnol. L'Allemagne est éliminée. Les poulpes ont toujours raison.