Cela fait plus d'une année que vous ne vous êtes pas exprimé dans les médias nationaux. Pour quelles raisons ? Après le coup d'Etat du 8 avril 2004, les Algériens ont bien compris qu'une page était tournée. Les médias publics étaient et demeurent privatisés, les médias privés ont dû prendre le temps de la réflexion pour se restituer dans un climat de répression politique et économique limitant considérablement leur liberté d'expression. Il a fallu reprendre les chemins de la communication directe. Depuis des mois, j'ai eu à rencontrer et à écouter des milliers de citoyens pour faire le point et dégager de nouvelles perspectives. Comme prévu, la charte pour la paix et la réconciliation nationale a été plébiscitée par un score que vous avez qualifié de « soviétique ». Quelle lecture faites-vous de l'issue de cette consultation référendaire ? Le résultat de la consultation référendaire a été à la mesure de la campagne : grotesque. Même l'Algérie profonde n'a pas voté et le score a été multiplié par quatre. Il est trop tôt pour tirer toutes les implications de cette opération mais on peut d'ores et déjà dire que cette débâcle politique aura des conséquences dans le régime, dans la société et sur la scène internationale. Les mécanismes par lesquels les services spéciaux cadenassaient et embrigadaient la société ont été inopérants. C'est une première. Concrètement, comment se traduiront ces conséquences ? A court terme, on peut anticiper trois problèmes : ils sont d'ordre politique, juridique et institutionnel. Au plan politique, nous sommes dans une situation inédite. Pour la première fois depuis 1962, la Présidence de la République, l'islamisme radical et les services spéciaux constituent le front au pouvoir. Sur le plan juridique, les familles des victimes du terrorisme et celles des disparus continuent à demander vérité et justice. Quant à ceux qui croient avoir protégé les services spéciaux algériens en décrétant l'immunité, ils se trompent. Vous devez savoir qu'après la justice belge, la justice espagnole s'est déclarée, cette semaine, compétente pour traiter tout dossier concernant les crimes contre l'humanité, quelle que soit la nationalité du mis en cause. Il n'y a pas meilleure façon de relancer les investigations internationales que de paralyser la justice nationale. Quid des conséquences institutionnelles ? J'y viens. Un pouvoir qui s'abîme dans de telles fautes est une proie idéale dans un monde de plus en plus régi par les rapports de force. L'illégitimité coûte cher. Nos partenaires ne se gêneront pas pour monnayer au prix fort leur silence face à des abus d'un autre âge. Mais il y a pire. Beaucoup d'Algériens ont été choqués par le désarmement des patriotes. Cette « charte » vient de désarmer psychologiquement les forces de sécurité algériennes. Il sera extrêmement difficile de les remotiver à l'avenir. Malgré une fraude dénoncée par l'opposition, ce scrutin a été salué par certaines puissances occidentales, la France notamment... Il n'y a pas eu tant d'applaudissements que cela. Et les Etats-Unis ont exprimé des réserves sur un référendum sans débat contradictoire. Mais la France a salué une consultation démocratique... J'ai noté la déclaration du gouvernement français et j'ai réagi. On peut trouver trois raisons à ce que, pour ma part, je considère être une faute politique. La crise morale que vit la France provoque un malaise identitaire qui se traduit par une certaine autoflagellation. De manière un peu volontariste, des responsables français veulent restaurer l'image de leur pays en valorisant toutes les séquences de leur histoire. C'est, je crois, cette tendance qui a poussé à toiletter le colonialisme et à saluer des fraudes électorales somme toute tolérables chez « l'indigène ». La France a pourtant d'autres valeurs à revendiquer dans le monde. Cette crise a probablement joué dans cette déclaration. La droite française au pouvoir ayant pu se dire que plus le régime est fragile à Alger, plus ses intérêts économiques sont préservés. Je suis sûr que les intérêts français pouvaient faire l'économie de ce dérapage. Enfin, il y a ce traité d'amitié auquel semble tenir le président français, autant pour des raisons de politique intérieure que de géostratégie. Cette perspective a, vraisemblablement, poussé les Français à la faute. Reste à savoir ce qui restera de la déclaration du Quai d'Orsay : les dividendes du traité ou les séquelles d'une sortie vécue par les forces démocratiques en Algérie comme une agression. Concrètement, quels sont les effets que pourrait provoquer cette déclaration ? Il faut attendre de voir si nous sommes face à une rechute dictée par la conjoncture ou si nous sommes devant un choix stratégique qui remet à l'honneur la doctrine « foccardienne » qui a marqué toute la politique post-coloniale africaine de la France. Vous avez estimé avant même le référendum que la charte de Bouteflika est un programme pour les crises à venir. Quelle sera la nature de ces crises et qu'est-ce qui a changé entre l'avant et l'après-29 septembre 2005 ? Jusque-là, les fraudes ont privé l'Algérie de ses élites qui auraient pu construire des institutions crédibles et fiables. Ce faisant, notre pays a été dépossédé de ses richesses naturelles. La fraude du 29 septembre 2005 a mutilé la nation de sa mémoire et pose des bombes à retardement qui ne manqueront pas d'exploser à la moindre tension. Le coup d'Etat de 1965 a installé l'Algérie dans une tradition de putsch. Le coup d'Etat du 8 avril 2004 a dilapidé des conquêtes citoyennes qui auraient pu faire de notre pays la première démocratie en terre d'Islam. Au vu de la campagne électorale, la demande de changement était réelle dans tout le pays. En commettant un coup d'Etat symbolique le 29 septembre dernier, Bouteflika veut éliminer tous les repères sur lesquels s'est construite l'espérance démocratique de la nation. Cela est dangereux. Comment voyez-vous la suite des événements en matière sécuritaire ? Aucun pays n'a réglé ce genre de crise par la censure et le reniement. L'Afrique du Sud a pris le chemin de la vérité. Elle vit son passé, particulièrement douloureux, de manière apaisée et se tourne vers l'avenir. Plus près de nous le Maroc, avec toutes les limites que l'on connaît à sa démarche, emprunte courageusement les voix de la justice et de la vérité. Après avoir refoulé le génocide arménien pendant près d'un siècle, la Turquie est rattrapée par l'histoire. Elle se voit sommée d'assumer son passé si elle veut intégrer l'UE. La démarche de Bouteflika vise autre chose que la paix et la réconciliation. Expliquez-vous... Les familles des victimes du terrorisme et celles des disparus n'ont pas cédé aux tentations de la revanche. Leur sagesse et leur patience ne seront jamais assez saluées. Elles demandent légitimement vérité et justice. Par contre, à ce jour, nous n'avons enregistré aucune demande de pardon émanant des membres des groupes terroristes. Le GSPC, pour sa part, revendique son affiliation à la nébuleuse Al Qaîda et se dit déterminé à poursuivre ses objectifs. Pourquoi donc ce référendum ? Jusqu'à preuve du contraire, le Premier ministre britannique Tony Blair n'a pas organisé un référendum pour amener les auteurs des attentats de Londres à meilleure composition. On le voit bien, le volet juridique de ce référendum ne règle rien. L'essentiel du document est dans sa substance politique. Justement, les avis sont souvent contradictoires sur le contenu de ce texte. Quelle lecture en faites-vous ? Les avis sont contradictoires parce que l'énoncé est délibérément confus, mais l'orientation générale est claire et confirme la tentation du pouvoir absolu. Les anathèmes du parti unique sont de retour. Je vous cite une phrase du texte : « Nul en Algérie où à l'étranger n'est habilité à utiliser ou instrumentaliser les blessures de la tragédie nationale pour porter atteinte aux institutions de la RADP, fragiliser l'Etat, nuire à l'honorabilité de tous ses agents... ou ternir l'image de l'Algérie sur le plan international. » Voilà ce sur quoi « le peuple algérien souverain... mandate le président de la République pour prendre toutes les mesures visant à en concrétiser les dispositions ». De tels ukases, baignant dans un climat de mysticisme, annoncent une régression que tout un chacun est en devoir de combattre. L'élection du 8 avril 2004 et le dernier référendum ont dessiné une nouvelle société politique avec de nouvelles alliances et de nouveaux rapports de force. Vous avez parlé d'une alliance entre les services spéciaux, l'islamisme radical et la Présidence de la République. Quelle est la base idéologique d'une alliance aussi hétéroclite ? Il n' y a pas d'alliance idéologique. Le dénominateur commun à ces trois segments réside dans une idée simple : le pouvoir, c'est la violence et le déni du droit. Pour les uns, le pouvoir occulte « garantit la stabilité », pour d'autres « la démocratie est kofr », pour d'autres, enfin, la pluralité et l'alternance au pouvoir sont une hérésie pour des « peuplades » comme nous. Mais vous avez raison de faire remonter cette dérive au 8 avril 2004. Comment en est-on arrivé là ? Au début 2004, l'Algérie était mûre pour une élection démocratique. Le code électoral a été changé, l'opinion internationale suivait avec intérêt cette évolution et l'armée avait annoncé sa neutralité. J'ai dit à Ali Benflis que si l'ANP n'annonçait pas publiquement son refus de cautionner un candidat et sa condamnation de toute pression sur les fonctionnaires, je pouvais me retirer à n'importe quel moment. Chacun se souvient que le chef d'état-major avait déclaré au Musée du moudjahid, au côté du chef de l'Etat, qu'il appelait les agents de l'administration à faire comme les citoyens qui luttaient contre le terrorisme en refusant toutes les instructions illégales... Or, le 8 avril, le DRS, encadrant les forces terrestres, a manipulé l'élection de bout en bout. Cet événement crée effectivement une nouvelle donne en Algérie. Il fallait prendre acte du fait que l'armée algérienne n'était ni capable ni disponible pour tolérer, encore moins accompagner un processus de démocratisation. Le 29 septembre 2005 révèle au grand jour une construction politique en gestation depuis le 8 avril 2004. On parle d'une révision de la Constitution pour permettre à Bouteflika de briguer d'autres mandats. Quel avenir pour l'exercice politique face à cette nouvelle situation ? Aujourd'hui, nous sommes dans un régime despotique. Ce qui est toutefois préoccupant depuis ce référendum, c'est cette dérive mystique par laquelle le chef de l'Etat se charge d'une mission messianique. Mais en 2005, des luttes se sont succédé et ont créé un capital politique que ni la corruption ni l'abus d'autorité ne peuvent éliminer. Ces manœuvres peuvent freiner la dynamique de démocratisation, elles ne peuvent pas la bloquer. Regardez ce qui s'est passé en Kabylie : quatre années de corruption institutionnalisée, de pollution de l'administration et de manipulation de la délinquance n'ont pas empêché la région de commémorer le 20 avril 2005, de manifester son opposition à Bouteflika et de répondre à l'appel au boycott lancé par les partis politiques. D'aucuns se plaisent à dire que ce boycott isole davantage la Kabylie... Mais c'est toute l'Algérie qui a boycotté. Si une différence doit être soulignée, elle réside dans le fait que dans cette région, les traditions de lutte ont permis l'émergence d'élites et de structures politiques qui valorisent et assument la contestation citoyenne. C'est à la construction de structures équivalentes sur l'ensemble du territoire national que les forces patriotiques doivent s'employer. Comment voyez-vous cette alternative démocratique dans un climat de régression générale ? Le 8 avril 2004 a montré que tant que le DRS reste le centre du pouvoir, sans contrôle institutionnel et sans limite de moyens, il est illusoire de vouloir changer quoi que ce soit par une consultation électorale de portée nationale. Soyons réalistes et évaluons de manière critique nos expériences respectives. Chaque catégorie sociale, chaque région, quand cela est possible, doit procéder à l'élargissement des espaces d'expression et de représentation autonomes. La Kabylie a beaucoup fait pour la nation. Il ne faut pas l'épuiser par des sollicitations qui dépassent ses possibilités. Chaque région doit s'organiser, identifier ses problèmes et mandater des cadres loyaux, capables de s'émanciper du pouvoir. Et ils existent. La multiplication des foyers de démocratie de proximité permettra, dans une seconde étape, de rassembler ces espaces pour constituer la matrice démocratique nationale. Tant que le système reste verrouillé par les services spéciaux, il n'y aura pas d'élection nationale qui mènera à la démocratie. Restons en Kabylie. Les élections partielles du 24 novembre 2005 sont, selon vous, la première application de la charte. Il s'agirait d'éliminer politiquement et sociologiquement cette région. Pourquoi alors y participez-vous ? Il ne faut surtout pas laisser le régime disposer du pouvoir local en Kabylie. Il veut faire de ces institutions l'instrument de désintégration d'une région qui a toujours anticipé les problèmes et les solutions de la nation. A chaque fois que la Kabylie a rassemblé ses énergies, l'Algérie a connu aussitôt des dynamiques porteuses de changement démocratique. Cela fut vrai dans le mouvement national, pendant la guerre d'indépendance et durant la période d'après-guerre. La stratégie de démolition programmée en Kabylie est d'abord le signe d'un rejet obstiné de toute perspective d'émancipation pour la nation. Pouvez-vous donner plus de détails ? Cette stratégie peut tenir en trois mots : corruption, répression, pollution. Repérage et recrutement de corrompus pour les installer dans les rouages de l'administration régionale, négation des droits les plus élémentaires aux acteurs politiques et pollution des valeurs et acteurs et autour desquels s'est construite la mémoire de la région, ont constitué le trépied sur lequel a reposé la politique du pouvoir depuis 2001. Pendant que Ben Bella recevait le doctorat honoris causa de l'université de Tizi Ouzou de manière clandestine, le pouvoir organisait des campagnes de diffamation qui n'épargne rien ni personne. Abane est décrié comme traître, Amirouche n'est qu'un vulgaire sanguinaire dont le fils a tué Matoub, et Krim Belkacem a bradé l'Algérie à Evian... Les insultes et les agressions outrancières ne connaissent aucune limite. Comment voyez-vous les prochaines élections partielles ? Le pouvoir en est à sa troisième génération de manœuvres dans cette région. Dans un premier temps, le DRS a cru pouvoir greffer une caste au lieu et place des structures politiques qui ont encadré les luttes menées dans cette région depuis des décennies. La déroute du chef du gouvernement, maître d'œuvre de l'opération, a montré les limites de la manipulation. Seconde démarche, les services ont voulu profiter de ces élections pour imposer des « listes indépendantes » et contrôler la région par le pouvoir local. La réhabilitation de l'action politique, menée notamment depuis le 20 avril 2005, n'a pas permis le recrutement du nombre de candidats requis. La troisième opération est en cours. Le report de la date du dépôt des listes de candidature est destiné à remettre en selle le FLN via l'administration et, de fait, les quelques « indépendants », glanés ici et là, sont sommés de rallier le FLN. Est-ce à dire que le RND est hors service ? C'est une interprétation possible, mais les guerres du sérail ne doivent pas nous occuper outre mesure. C'est donc pour ces raisons que le RCD et le FFS ont accepté l'idée d'une jonction entre les bases des deux formations politiques ? J'ai parlé de volonté de « riffisation » de la Kabylie face à cette entreprise diabolique. Un parti politique ne peut, seul, contrecarrer, non pas l'abandon d'une région, mais un projet de contre-développement. Pour une fois que le RCD et le FFS ont eu la même position, les populations de Kabylie ont suivi avec une discipline exemplaire le mot d'ordre du boycott. Nous savons que l'initiative inquiète sérieusement les forces de l'ombre et que les provocations sur les deux formations ne manqueront pas. En ce qui concerne le RCD, nous n'aurons de cesse de travailler à la meilleure convergence possible. Il y va de l'intérêt de la Kabylie et de l'Algérie démocratique. Qui a été visé selon vous par la déclaration de Bouteflika à Constantine. La Kabylie toute entière, les archs ou le chef du gouvernement ? Au risque de vous surprendre : aucun des trois, étant entendu que les deux derniers ne font qu'un. La déclaration de Constantine s'adressait aux autres régions d'Algérie que Bouteflika appelait à s'unir contre « l'ennemi intérieur », en l'occurrence la Kabylie. Voilà ce qu'il répondait à un haut responsable du FLN lorsqu'il avait lancé son premier « jamais » à Tizi Ouzou : « Je sais que cela ne me fera pas de bien là-bas, mais ça rapportera beaucoup ailleurs. » Opposer les régions, opposer les institutions, opposer les catégories sociales, voilà la formule de base de la politique du chef de l'Etat. Sur le fond, Bouteflika n'a jamais pensé à officialiser tamazight. Au demeurant, nous savons maintenant que la co-officialité ne fait pas partie de son périmètre de connaissance. Les réserves de change s'accumulent et le prix du baril de pétrole se négocie à plus de 60 $ US. La loi de finances est toujours calculée sur la base de 19 $ le baril. Que signifie pour vous ce décalage ? La censure politique se double de plus en plus d'une opacité économique. Jusque-là, un député ne peut pas connaître les affectations des recettes d'une société telle que Sonatrach. Même le CNES subit une rétention d'informations qui dégrade son image et disqualifie son travail. Les opérateurs économiques nationaux survivent dans le système bancaire le plus archaïque du bassin méditerranéen. Vous imaginez qu'avec un tel tableau, nos partenaires étrangers ne se bousculent pas pour les investissements hors hydrocarbures. Pour masquer un marasme économique que rien ne justifie, le gouvernement avance le taux de croissance comme critère d'appréciation de sa « performance économique ». Mais les observateurs et les partenaires savent bien que ce taux est dû à une hausse du prix des hydrocarbures échappant à toute décision nationale. Quelles seraient à court terme les conséquences sociales de ce marasme économique ? Quand un pouvoir est sans projet économique, quand les organisations syndicales autonomes sont privées de leurs droits constitutionnels, le monde du travail se défend de façon imprévue et, souvent, exaspérée. Ajoutée à la crise politique, la tension sociale peut mener à des situations difficilement gérables. De la même façon que le DRS ne peut pas être un substitut viable à l'organisation politique du pays, l'UGTA qui en est le bras social ne peut plus contenir l'exigence d'une libre organisation syndicale. On le voit sur tous les fronts, les artifices du pouvoir s'épuisent et le pression sociale est investie par des initiatives qui échappent à l'embrigadement du régime. La démocratie de proximité, en marche dans plusieurs secteurs d'activité, doit aussi s'étendre sur le terrain social. C'est à partir des conquêtes catégorielles que le travailleur algérien pourra construire des instances à même de lui garantir la justice sociale qui, ne l'oublions jamais, fut une revendication emblématique du combat libérateur. Comment voyez-vous la suite du combat opposant les démocrates au régime actuel ? Le front constitué entre le DRS, l'islamisme radical et Bouteflika crée, paradoxalement, une ouverture salutaire. Jusque-là, il y avait confusion entre le démocrate et l'anti-islamiste. On se souvient que l'islamisme a divisé, voire déchiré le camp démocratique. Certains estimant que seul ce courant pouvait débarrasser la nation d'un régime militaire prédateur, se sont laissés tenter par le compagnonnage que l'on sait ; d'autres ont priorisé la stabilité de l'Etat, y compris lorsqu'ils savaient que certains de ses organes manipulaient la crise. Aujourd'hui, il ne s'agit pas de juger du bien-fondé des positions des uns et des autres. L'islamisme radical, pomme de discorde, fait partie de l'alliance au pouvoir. Cela ouvre de vraies perspectives à la nation. La décantation s'impose d'elle-même. Soyez plus clair... On peut et on doit manifester notre condamnation devant la déclaration française. On a le droit de combattre toutes les dérives de Bouteflika, mais nous devons aussi, si nous voulons être entendus dans notre pays et crédibles à l'extérieur, nous déterminer selon nos objectifs et convictions. Le démocrate ne peut plus se permettre de dire : j'adhère au programme démocratique, mais je vote « utile » parce que le candidat démocrate aurait peu de chance. C'est en renforçant son propre camp que l'on pèse dans l'équilibre général. Un dernier mot ? Autour de nous, de modestes nations, auxquelles le pouvoir algérien a souvent prétendu donner des leçons, sont en train de s'émanciper de leurs propres turpitudes. Le Soudan vient de consacrer l'anglais comme deuxième langue officielle. La Mauritanie vient de cadrer l'exercice politique en se protégeant de toute dérive islamiste. Le Maroc affronte courageusement et sereinement les pages sombres de son histoire. Le monde reconnaît enfin le sacrifice du peuple algérien et combat le terrorisme comme un fléau planétaire. Pendant ce temps, le chef de l'Etat, remontant l'histoire en sens interdit, cultive abandon de souveraineté, alliances dangereuses, amnésie, déni de justice et refus de réformes. Aucun pouvoir ne peut tenir longtemps à coup de corruption, de kermesse électorale et d'autoritarisme. Contrairement à ce que l'on entend trop souvent, ces abus témoignent plus de la fragilité d'un système politique que de cette assurance que l'on veut afficher. Le peuple algérien s'est battu pour sauver la nation, vivre dans la sécurité, la dignité et la justice. Il sait que le pouvoir actuel n'accédera pas à ces légitimes aspirations en dépit des moyens importants dont dispose le pays. Le 29 septembre 2005 met les patriotes algériens en demeure de se rassembler pour honorer leur sacrifice et être, enfin, les maîtres de leur destin.