Loin de moi l'idée de rendre jaloux les hommes, j'ai toujours pensé que la belle langue était du côté des femmes . Elles en sont les dépositaires, les transmetteuses . Il semble que la belle littérature est de leur côté aussi . Rabha Aïssou vient d'en donner la preuve à travers son recueil de nouvelles Timeriwt (L'attente) publié aux éditions Achab. De formation littéraire et férue des belles lettres, cette auteure a su en tirer profit pour bâtir ses textes dans une langue si bien ciselée que le lecteur ne risque pas de s'en lasser. Composé de neuf nouvelles, le recueil met en scène des personnages féminins dans l'attente : dans l'attente d'un fils disparu, d'un amant imaginaire, d'une vie meilleure… Qui mieux qu'une femme pour décrire sa propre condition ? L'auteure fait une description poignante de ses personnages féminins et met le doigt là où ça fait mal : les femmes portent le poids d'un ordre familial et social qui les écrase, les réduit au silence. Ecrire sur leur condition apparaît ainsi comme une manière de leur donner voix. N'est-ce pas l'une des fonctions de la littérature que de donner la parole à celles et ceux qui en sont privés ? Sans verser dans le féminisme, ni dans le pathos, sans se donner le rôle de porte-parole de la femme kabyle, l'auteure scrute sa condition et donne à voir de l'intérieur les multiples souffrances qui l'empêchent d'être, les subtilités qui échappent très souvent au regard de l'homme, ce qui engendre des malentendus aux retombées parfois tragiques. Les nouvelles donnent à vivre, le temps de la lecture, le quotidien de femmes prisonnières de traditions anciennes, un quotidien fait d'humiliations, de violences physiques et psychologiques tacitement admises par la société comme dans Tamwarebt (La répudiée) où dans Tiziri où la femme répudiée se voit impuissamment arracher ses enfants. Lemri (Le miroir) et Tamera (Les noces) dépeignent les vaines aspirations de la femme à la modernité, des aspirations qui se heurtent au mur de la réalité d'une société clivée parfois jusqu'à la schizophrénie. Le choix du genre de la nouvelle n'est pas anodin, il permet à l'auteure de dépeindre ses personnages en suggérant, plus qu'elle ne le dit explicitement, les déboires qu'ils vivent, des déboires si pesants au point de tomber dans l'errance, à l'image de Ferruatamsat (Ferroudja l'errante), ou de sombrer dans la folie à l'instar d'une mère dans Ttxil-k a mmi… (Je t'en supplie, mon fils). Outre la maîtrise de sa narration, la richesse de la langue est sans nul doute un trait stylistique chez Rabha Aïssou. Les phrases, même lorsqu'elles sont courtes, sont d'une densité sémantique intense, d'une richesse qu'alimente une connaissance très fine d'expressions idiomatiques. Sous la plume de Rabha Aïssou ressortent bon nombre de trésors lexicaux et stylistiques que recèle la langue kabyle. Au delà de l'expérience esthétique que le recueil fait vivre au lecteur, les textes donnent à réfléchir sur les rouages sociaux dont on peut être inconsciemment prisonniers. La littérature kabyle, à l'image des textes qui composent Timeriwt, contribue à nous en libérer. Même si elle n'en est qu'à son premier recueil de nouvelles, Rabha Aïssou s'annonce comme une valeur sûre de la littérature kabyle écrite.