Etudiante comme nombre de ses camarades à l'Ecole des beaux-arts d'Alger puis à l'université de Tsinghua de Pékin, elle a d'abord une formation de designer, mais aujourd'hui elle se revendique d'abord peintre. Mais les frontières entre art et design sont-elles si étanches qu'on veut bien le penser ordinairement ? Le sentiment africain ne les transcende-t-il pas ? Parcours libre dans l'œuvre de cette artiste qui signe généralement ses œuvres Mya Mounia Lazali. L'Afrique et l'esthétique de la vie quotidienne Lorsqu'en 2006, l'artiste est partie pour la première fois en Afrique subsaharienne à l'occasion d'un salon où elle assure la coordination pour la représentation algérienne: le Mali, c'était déjà un rêve d'enfant. Partie pour une semaine, elle reste un mois à Bamako conquise par la culture africaine : elle commence à y rencontrer artistes plasticiens musiciens et est impressionnée par l'omniprésence de la culture, la qualité de l'artisanat qu'on trouve sur les marchés. Elle s'initie aux textiles, wax et bogolan, à la peinture sur étoffe, aux pigments. A Marrakech où elle avait vécu, elle avait noué des liens avec les artisans de la médina. De ces familiarités sont nées des créations textiles, des céramiques qui empruntent leurs motifs à la culture africaine et sont pourtant des objets du XXIe. Mounia Lazali est frappée par la beauté très contemporaine de cet artisanat, aux motifs sobres, dépouillés. Le premier voyage au Mali la conduira à en faire trois autres. Une galerie l'a marquée à Bamako, la galerie Medina dont l'ambition culturelle, notamment la volonté de mettre l'art à la portée de tous les Maliens, de faire revivre la culture dans tous ses aspects a été exprimée par son directeur Igo Diara dans un ouvrage intitulé Au cœur de Bamako. Mounia Lazali adhère fortement au projet et y expose en 2018 des portraits d'hommes et de femmes à l'occasion de la manifestation «Tafe fanga» «Pouvoir des femmes». Cette rencontre décisive avec l'Afrique subsaharienne est faite d'empathie et d'emprunts à sa culture et à sa vie. Si les portraits sont de facture classique, le choix des tons, la présence des couleurs qui suggèrent l'environnement, leur composition autour du regard des personnages qui fixe le spectateur, leur donnent une tonalité spécifique. Une peinture engagée Pour autant, l'influence de l'Afrique va s'exprimer encore davantage dans les peintures de Mounia Lazali. Comme peintre et comme dessinatrice, Mounia se laisse guider par les sujets que lui inspirent l'Afrique subsaharienne ou l'Afrique du Nord ; ses sujets sont la ville, les migrations ou récemment le hirak. Sa formation de designer lui donne une liberté totale dans le choix des supports et des techniques : dessin sur plâtre pour l'exposition du Mama, sur papier kraft ou sur toile. Les techniques ne sont pas moins variées : feutre, gouache, peinture à l'huile, sable, colle, pigments naturels… Bien que souvent elle privilégie une technique mixte, son medium préféré reste la technique à l'huile plus que l'acrylique même si la peinture à l'huile prend beaucoup de temps. Elle doit cette prédilection au professeur Said Hadjer qui l'a encouragée dans cette voie durant ses années de lycée. La composition des œuvres suit le sentiment profond que suscite la situation : la foule des migrants ou celle des manifestants semble anonyme de loin, un entrelacs de lignes mais qui laisse apparaître de près des figures. Or, c'est à partir de ces figures dessinées soigneusement que l'artiste compose ses fresques. L'œuvre exposée au Mama d'Alger We will not go back (2017) représente une foule qui avance ; c'est un dessin sur plâtre utilisant une technique mixte (crayon, craie, feutres, encres) : l'émotion de l'artiste l'a poussée à casser en deux le plâtre à l'image des embarcations des harragas en Méditerranée. Si la ligne est une composante importante des peintures de Mounia Lazali, elle n'est pas dissociable du geste que guident les affects : révolte, sentiment de solidarité avec les migrants, énergie avec le hirak qui donne lieu à une série de quatre tableaux qui ne sont pas des œuvres monumentales mais des concentrés d'énergie : silMYA, le premier, est très représentatif du sentiment de solidarité inspiré par le mouvement, tout comme celui acquis par la fondation Barjeel, United People of Algeria. Les tableaux de cette série matérialisent une nouvelle peinture d'histoire non fondée sur la représentation réaliste mais sur une gestuelle picturale étroitement unie au dessin. C'est là l'aspect le plus prenant des recherches de M. Lazali. Être artiste au XXIe siècle A l'originalité de cette recherche fondamentale, l'artiste ajoute l'originalité de son parcours. Sa formation de designer l'a habituée à penser les cadres de vie ; aussi, à côté des œuvres originales, propose-t-elle des prints sur des plateformes de marché en ligne. Ce choix dicté par une nécessité économique – comme l'a été pour elle il y a dix ans la vente de produits de design – est aussi une nouvelle façon de penser la relation à l'art dans le monde contemporain : comment l'immense majorité des personnes qui n'ont pas les moyens d'acheter une œuvre originale peuvent-ils en acquérir une qui porte l'empreinte d'une vision esthétique? Les mises en scène de Mya Lazali sont autant d'univers imaginés que chacun peut s'approprier selon sa sensibilité. Bien que cela ne l'empêche pas de poursuivre sa recherche fondamentale, il faut accepter, selon l'artiste, d'être humble, de consentir à un statut d'artiste qui doit travailler sur deux plans, celui de sa recherche et celui de sa survie économique en explorant les ressources du numérique. Les prints remplacent les lithographies que les artistes du XXe vendaient pour pouvoir vivre. Comme toute contrainte, cette exploration des réseaux sociaux et des plateformes est aussi productive, elle l'est notamment en donnant aux artistes contemporains la possibilité d'être connus internationalement et de penser de nouveaux espaces publics. Si le sentiment africain de Mounia Lazali demeure le sens profond de ce travail, c'est là une des possibilités de le partager largement.