La séparation du politique et du militaire est un slogan phare du hirak. Il façonne en profondeur la mémoire algérienne sachant qu'en Algérie, la question de l'histoire est fondamentale, essentielle. C'est par l'histoire que l'on peut comprendre comment la confiscation du pouvoir par une fraction de l'armée, pourtant en gestation et tapie aux frontières, fut possible. Certes, les jeux étaient faits avant l'indépendance mais il fallait attendre le 19 juin 1965 pour voir les hauts responsables de la hiérarchie militaire rentrer officiellement et publiquement dans la lutte des clans et s'accaparer du Pouvoir, tous les pouvoirs. Comble de l'ironie, le nouveau maître de l'Algérie, Mohamed Ben Brahim Boukharouba, alias Houari Boumediène, dans son allocution télévisée au lendemain du coup de force, annonçait «le redressement révolutionnaire» (Ettas-hih Ethawri). Rien que ça ! En d'autres termes, nos vaillants révolutionnaires et chouhada du devoir, source de notre indépendance, s'étaient trompés. 1954/1962 a été une sinécure comme celle passée aux frontières attendant le moment propice pour s'approprier l'Algérie : son sol avec les algériens que nous sommes et son sous-sol avec ses richesses. Les raisons du coup d'état Même si, depuis l'indépendance, le problème de légitimité et donc de représentativité populaire reste posé jusqu'à ce jour, il n'en demeure pas moins que le «redressement» du 19 juin 1965 fera date dans l'histoire postindépendance de l'Algérie. Il a mis à nu les limites de l'Etat-nation et le parti pris de l'armée, qui constitutionnellement a pour devoir de veiller à la sécurité et à l'intégrité territoriale du pays. L'ANP, héritière de la glorieuse ALN, à son corps défendant, venait de «choisir» la dictature d'un clan au mépris des idéaux de la Révolution. Elle venait de violer une constitution que ce même clan venait d'adopter. Trois ans après, que s'est-il réellement passé pour que ce groupe dit «d'Oujda», en apparence soudé, renverse celui qui était son zaïm incontesté ce 19 juin ? Ce clan «d'Oujda», on s'en souvient, cantonné durant la lutte armée aux frontières du pays jusqu'à la signature des Accords d'Evian, rentre à Alger pour prendre le pouvoir par la force grâce à son arsenal militaire puissant et jamais utilisé contre l'ennemi d'hier. N'était-ce la sagesse des dirigeants du GPRA, les ingrédients d'une guerre civile étaient là. Une situation conflictuelle profonde s'installe. Les rêves de l'indépendance chèrement payée sont confisqués. Le peuple, seul héros, est exclu. Ses représentants légitimes, fraîchement élus au sein de l'Assemblée nationale constituante, ne savent plus à quel saint se vouer : les débats politiques à l'intérieur de l'Assemblée n'avaient aucune suite et n'influaient guère sur le cours des événements. Impossible d'arrêter, dans l'état actuel des choses, la dérive totalitaire des «nouveaux seigneurs» de l'Algérie, comme l'explique Hocine Aït Ahmed, alors député de Sétif, lorsqu'il relevait, le 10 juillet 1963, l'incapacité de l'Assemblée nationale constituante de bloquer le totalitarisme du régime : «... J'ai décidé de mener une lutte politique ouverte contre le régime socialo- mystificateur... C'est le seul moyen de désamorcer la situation rendue explosive... » C'est l'opposition ouverte qui donnera naissance au FFS(1), alternative démocratique au régime militaire et arbitraire. La riposte du régime ne se fait pas attendre L'arsenal militaire et répressif des nouveaux seigneurs est déployé pour mater la nouvelle opposition constituée de véritables révolutionnaires et soutenue à bras-le-corps par les troupes de l'ALN fidèles aux idéaux de Novembre 1954. L'affrontement fratricide est inévitable. Mais la victoire militaire reste impossible pour les deux parties en conflit. La nécessité d'une négociation globale s'impose. Les premières tractations entre le FLN, parti-Etat, et le FFS débutent entre janvier et février 1965 et se concluent par l'accord du 16 juin de la même année qui prévoyait «la libération de tous les détenus politiques» et «l'intégration des militants du FFS dans la vie active»(2). La deuxième phase des négociations prévue pour la fin juin 1965, après la conférence afro-asiatique d'Alger, sera consacrée au volet politique. La fin du parti unique est consacrée. L'existence du FFS en tant que parti est reconnue. L'heure de la fin de la tutelle exercée sur le pays par le parti-Etat vient de sonner. Mais les ambitions démesurées du régime militaire, à sa tête le colonel H. Boumediène et son bras droit A. Bouteflika, n'ont donné aucune chance à l'ouverture démocratique qui se profilait à l'horizon. Le chantage « chauviniste » favorise le retour des vieux démons. La force supplante le droit. Ben Bella est déposé par le coup d'Etat militaire du 19 juin 1965. Les aspirations des Algériennes et des Algériens sont mises entre parenthèses et pour longtemps. Le pouvoir changea de main, le système survécut. Il a «ouvert la porte au banditisme politique»(3). Toutefois, un espoir demeure : le hirak à travers son slogan phare «Dawla madania machi askaria» renvoie à l'histoire de la guerre d'indépendance ou les manifestant(e)s, jeunes dans leur majorité, s'interrogent explicitement comment s'est opérée la militarisation de l'Algérie. Les portraits des Ben M'hidi, Abane, Didouche, Amirouche, Ben Boulaïd et d'autres héros sont brandis tous les mardis et vendredis pour crier haut et fort que l'histoire transmise par l'école algérienne ne correspondait pas à la réalité historique pluraliste. Elle procédait par retouches et occultations pour mythologiser notre histoire. Heureusement que les réseaux familiaux conjugués aux réseaux sociaux dans la transmission de cette mémoire historique ont mis à nu les clandestins : on sait qui est qui et qui fait quoi ! H. S. L. Par Hanafi Si Larbi
Notes (1) Voir El Watan du 28 septembre 2005 «L'inlassable combat du FFS» (2) Voir Le Peuple et Alger Républicain du 16 juin 1965 (3) Ferhat Abbas in L'indépendance confisquée