« Ne perdons pas de temps, tu es arrêté par le Conseil de la Révolution », c'est ainsi que Tahar Zbiri signifia à Ben Bella la fin de son règne, en ce 19 juin, après que son commando ait envahi la résidence du président de la république. Le 19 juin à 1h30 du matin, Ben Bella est réveillé en sursaut par les cris de sa servante. La résidence présidentielle est envahie par des hommes armées, déterminés et dont les intentions ne présageaient rien de pacifique. Tahar Zbiri, un proche du sérail présidentiel, avait été mandaté par son ministre de tutelle, un certain Houari Boumediene, pour mener à bien cette opération. Il intime l'ordre à Ben Bella de s'habiller. Ce dernier tenta alors de faire appel à leur amitié passée mais c'était sans compter sur la détermination et la fidélité des hommes du ministre de la défense, le colonel Houari Boumediene. Des tirs se firent entendre à quelques encablures de la villa Joly. L'installation de la police judicaire à Hydra est attaquée, une compagnie de la Garde nationale faisait de la résistance. En quelques minutes, le pouvoir bascula et Ben Bella n'était plus Président. Le convoi escortant le captif présidentiel pris la direction d'une caserne à El Harrach, Tahar Zbiri, lui, pris la direction du ministère de la Défense pour informer Boumediene que “la mission est un succès ».Boumediene est entouré de ses fidèles, Medeghri, Bouteflika et Chérif Belkacem. A 3h du matin, Boumediène décide de prévenir tout le monde : Bachir Boumaza et Ali Mahsas, Omar Oussedik, le Commandant Azzedine, Mohand Ouelhadj, Ferhat Abbas, Khider, Boussouf et Boudiaf. Le nouveau Conseil de la Révolution en appelle aux ralliements, à commencer par les ambassadeurs en exercice. Outre Ben Bella, la “mission” comportait aussi l'arrestation de ses proches. Ainsi, le ministre de la Santé, M. Nekkache, est arrêté après avoir reçu trois balles dans la poitrine. L'autre fidèle de Ben Bella, Hadj Ben Allah, est mis aux arrêts, ainsi que le directeur de la police judiciaire Hamadache et enfin le ministre des Affaires arabes et ancien chef de cabinet de Ben Bella, Abdelahram Chérif. Les mêmes blindés qui ont porté Ben Bella à la tête du pouvoir, viennent de l'emporter en prison et envahissent la capitale. Comble de l'ironie, les Algérois pensèrent qu'il s'agissait du tournage du film La Bataille d'Alger, de Gillo Pontecorvo. A 12h05, la radio fait l'annonce du “redressement révolutionnaire” et la création du Conseil de la Révolution dont les objectifs étaient de mettre un terme “aux intrigues et à l'affrontement des tendances et des clans”, et de dénoncer “le narcissisme politique”, “le socialisme publicitaire” de Ben Bella, comme souligné dans son communiqué-programme annoncé par la radio le 19 juin. Le message passé à la population en est, en peu plus clair, l'armée décide et dirige. Le jeu se passait en haut lieu et le peuple exhiba un silence indifférent face à ce changement qui n'en n'était pas réellement un. La raison qui a lié Ben Bella à l'état-major général de l'ALN et le groupe d'Oujda en 1962, est la même raison qui a justifié le coup d'Etat de 1965, c'est-à-dire le pouvoir. Prémisses d'une déchéance annoncée Ben Bella se complaisait dans son rôle de « Zaïm » en s'assurant la mainmise sur l'appareil de l'Etat ainsi que sur son aura et ses amitiés trop affichées avec Gamel Abdelnasser. Une mainmise qu'il fallait consolider et pérenniser. Dans cette optique, le clan d'Oujda, sur lequel il s'est appuyé pour accéder au pouvoir, commençait à devenir une source de gêne pour son ambition. Il s'en prit alors à ses ministres du groupe d'Oujda, en les destituant de leurs postes. Il pousse Medeghri à quitter son poste de ministre de l'Intérieur, ainsi que Kaïd Ahmed à renoncer au ministère du Tourisme. Prochaine cible de Ben Bella, Cherif Belkacem, qu'il limogera de son rang de ministre de l'Orientation regroupant sous son aile l'Information, l'Education nationale et la Jeunesse. Ben Bella qui était président de la République, chef de gouvernement, et secrétaire général du FLN, élargit ses prérogatives en décembre 1964 en s'appropriant les portefeuilles de l'Intérieur, de l'Information et des Finances. Le 28 mai 1965, Ahmed Ben Bella s'attaque à l'autre membre du clan d'Oujda, Abdelaziz Bouteflika, à qui il ôta le portefeuille des Affaires étrangères à la veille de la Conférence Afro-asiatique qui devait se tenir à Alger fin juin de la même année. Bouteflika alerta Boumediene. Ce dernier qui était ministre de la Défense et vice-président de la République accuse, à son tour, la nomination à son insu de Tahar Zbiri comme chef de l'état-major. Sentant la menace de Ben Bella s'agrandir et se confirmer, Boumediene décide de passer à l'action. Il convoque ses compagnons du groupe d'Oujda ainsi que ceux du groupe de Constantine qui étaient Tahar Zbiri, Saïd Abid, Ahmed Draïa, Salah Soufi et Abdelaziz Zerdani. Le consensus pour le renversement de Ben Bella est atteint. Au-delà de la menace sur le groupe d'Oujda, Boumediene craignait le rapprochement opéré entre Ben Bella et le Front des forces socialistes (FFS) notamment à travers l'accord signé le 16 juin 1965. Hocine Aït Ahmed avait été arrêté le 17 octobre 1964, suite au mouvement insurrectionnel initié en 1963 en Kabylie contre le pouvoir de Ben Bella. Condamné à mort le 10 avril 1965, après un procès qui a duré 3 jours, il fut gracié 2 jours après, le 12 avril, à la faveur du passé historique et nationaliste de Hocine Aït Ahmed. En fait, ce dernier avait surtout laissé entrevoir un possible rapprochement lors de la signature d'un communiqué commun avec Ben Bella. Ce qui ne manqua d'irriter Boumediene et de le décider à engager rapidement son action de prise de pouvoir par la force. C'est le chef d'état-major fraîchement désigné par Ben Bella, Tahar Zbiri, qui mit à exécution l'ordre de destitution du premier président de la République, accompagné d'Ahmed Draïa, directeur de la Sûreté et choisi aussi par Ben Bella pour commander sa garde prétorienne des compagnies nationales de sécurité, et de Saïd Abid, commandant la 1re Région Militaire du Grand-Alger. Le même Zbiri qui tenta un coup d'Etat en 1967 contre Boumediene l'accusant d'avoir adopté les mêmes travers de gouvernance de Ben Bella. Boumediene, en fin stratège, avait prévu le cas où les évènements prendraient une tournure différente que celle prévue. Ainsi un avion fut préparé à l'aéroport de Boufarik pour partir en cas d'urgence avec une valise pleine de devises. Finalement, l'avion ne décollera pas et Boumediene n'aura besoin de cette valise d'argent. Autopsie d'une démocratie naissante Le clan « d'Oujda » cantonné durant la lutte armée aux frontières du pays, jusqu'à la signature des accords d'Evian, rentre à Alger pour prendre le pouvoir par la force. La sagesse des dirigeants du GPRA fit rempart contre une guerre civile dont les ingrédients étaient réunis. Une situation conflictuelle profonde s'installe dès lors et précipite le pays vers un destin inconnu. Les rêves de l'indépendance chèrement payée sont confisqués. Le peuple, seul héros, est exclu. Ses représentants légitimes, fraîchement élus au sein de l'Assemblée nationale constituante, ne savent plus à quel saint se vouer : les débats politiques à l'intérieur de l'Assemblée n'ont aucune suite et n'influent guère sur le cours des événements. Impossible d'arrêter, dans l'état actuel des choses, la dérive totalitaire des « nouveaux seigneurs » de l'Algérie, comme l'explique Hocine Aït Ahmed, alors député de Sétif, lorsqu'il relevait, le 10 juillet 1963, l'incapacité de l'Assemblée nationale constituante de bloquer le totalitarisme du régime : « … J'ai décidé de mener une lutte politique ouverte contre le régime socialo- mystificateur… C'est le seul moyen de désamorcer la situation rendue explosive… » C'est l'opposition ouverte qui donnera naissance au FFS, alternative démocratique au régime militaire et arbitraire. La riposte du régime ne se fait pas attendre. L'arsenal militaire et répressif des nouveaux seigneurs est déployé pour mater la nouvelle opposition constituée de véritables révolutionnaires et soutenue à bras-le-corps par les troupes de l'ALN fidèles aux idéaux de Novembre 1954. L'affrontement fratricide est inévitable. Mais la victoire militaire reste impossible pour les deux parties en conflit. La nécessité d'une négociation globale s'impose. Les premières tractations entre le FLN, parti-Etat, et le FFS débutent entre janvier et février 1965 et se concluent par l'accord du 16 juin de la même année qui prévoyait « la libération de tous les détenus politiques » et « l'intégration des militants du FFS dans la vie active ». La deuxième phase des négociations prévue pour la fin juin 1965, après la conférence afro-asiatique d'Alger, sera consacrée au volet politique. La fin du parti unique est consacrée. L'existence du FFS en tant que parti est reconnue. L'heure de la fin de la tutelle exercée sur le pays par le parti-Etat vient de sonner. Mais les ambitions démesurées du régime militaire, à sa tête le colonel H. Boumediene et son bras droit A. Bouteflika, n'ont donné aucune chance à l'ouverture démocratique qui se profilait à l'horizon. Le chantage « chauviniste » favorise le retour des vieux démons. La force supplante le droit. Ben Bella est déposé par le coup d'Etat militaire du 19 juin 1965. Les aspirations des Algériennes et des Algériens sont mises entre parenthèses et pour longtemps. Le pouvoir changea de main et le système survécut : le « banditisme politique »